« Droits des prisonniers » : différence entre les versions

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Notre conclusion nous amène à réfléchir sur l'avenir : que faut-il faire maintenant pour améliorer le respect des droits des détenus? Les différents textes que nous avons avons lu ainsi que nos deux entretiens se rejoignent tous sur un point : il faut rendre la prison visible. Comment agir pour les détenus si personne ne sait exactement comment ils sont traités? Foucault, au travers de ses réflexions sur le système carcéral, parle de ce changement : « Le passage des supplices, avec leurs rituels éclatants, leur art art mêlé de la cérémonie de la souffrance, à des peines de prisons enfouies dans des architectures massives et gardées par le secret des administrations, n'est pas le passage à une pénalité indifférenciée, abstraite et confuse; c'est le passage d'un art de punir à un autre, non moins savant que lui. Mutation technique. De ce passage, un symptôme et un résumé : le remplacement, en 1837, de la chaîne des forçats par la voiture cellulaire. »<ref>Foucault, M. (1975). Surveiller et punir. Paris : Gallimard. Page 300</ref>. On est passé d'un régime de peines publiques, visibles et comme faisant partie intégrante de la société, à une logique du silence, de l'inconnu. La prison s'éloigne de plus en plus de la société. Muriel Testuz va aussi dans ce sens lorsqu'elle préconise qu'il faut continuer à lutter « [[Entretien Muriel Testuz|pour que la prison ne se renferme pas sur elle-même]] ».
Notre conclusion nous amène à réfléchir sur l'avenir : que faut-il faire maintenant pour améliorer le respect des droits des détenus? Les différents textes que nous avons avons lu ainsi que nos deux entretiens se rejoignent tous sur un point : il faut rendre la prison visible. Comment agir pour les détenus si personne ne sait exactement comment ils sont traités? Foucault, au travers de ses réflexions sur le système carcéral, parle de ce changement : « Le passage des supplices, avec leurs rituels éclatants, leur art art mêlé de la cérémonie de la souffrance, à des peines de prisons enfouies dans des architectures massives et gardées par le secret des administrations, n'est pas le passage à une pénalité indifférenciée, abstraite et confuse; c'est le passage d'un art de punir à un autre, non moins savant que lui. Mutation technique. De ce passage, un symptôme et un résumé : le remplacement, en 1837, de la chaîne des forçats par la voiture cellulaire. »<ref>Foucault, M. (1975). Surveiller et punir. Paris : Gallimard. Page 300</ref>. On est passé d'un régime de peines publiques, visibles et comme faisant partie intégrante de la société, à une logique du silence, de l'inconnu. La prison s'éloigne de plus en plus de la société. Muriel Testuz va aussi dans ce sens lorsqu'elle préconise qu'il faut continuer à lutter « [[Entretien Muriel Testuz|pour que la prison ne se renferme pas sur elle-même]] ».


[http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Combessie Philippe Combessie], dans son livre<ref>Combessie, P. (2001). Sociologie de la prison. Editions La Découverte & Syros, Paris : 2001.</ref>, en parle lui aussi. Il énonce même deux pistes d'actions afin de rendre la prison visible. Dans un premier temps, il faut diminuer le plus possible le recours à la prison afin de limiter ses dégâts collatéraux. Il faut en faire usage uniquement lorsque c'est indispensable à la sécurité publique. Ensuite, il faut diminuer la pénibilité de la prison.«Tout ce qui abaisse la dignité d'un homme rejaillit sur les individus qui y coopèrent, sur l'institution qui le tolère, et sur la société qui l'accepte et qui, pour ce faire, l'occulte.» (p. 109)
[http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Combessie Philippe Combessie], dans son livre<ref>Combessie, P. (2001). Sociologie de la prison. Editions La Découverte & Syros, Paris : 2001.</ref>, en parle lui aussi. Il énonce même deux pistes d'actions afin de rendre la prison visible. Dans un premier temps, il faut diminuer le plus possible le recours à la prison afin de limiter ses dégâts collatéraux. Il faut en faire usage uniquement lorsque c'est indispensable à la sécurité publique. Ensuite, il faut diminuer la pénibilité de la prison.« Tout ce qui abaisse la dignité d'un homme rejaillit sur les individus qui y coopèrent, sur l'institution qui le tolère, et sur la société qui l'accepte et qui, pour ce faire, l'occulte. » (p. 109)


Mais la questionnement qui demeure est : avons-nous réellement envie de rendre la prison visible? Dans une démocratie, il revient au peuple de faire des choix quant aux droits et devoirs des citoyens qui la composent. Sommes-nous alors prêts à assumer notre responsabilité dans le traitement des personnes déviantes? Ou préférons-nous occulter cette zone d'ombre de la société et l'enterrer au plus profond de nos esprits?
Mais la questionnement qui demeure est : avons-nous réellement envie de rendre la prison visible? Dans une démocratie, il revient au peuple de faire des choix quant aux droits et devoirs des citoyens qui la composent. Sommes-nous alors prêts à assumer notre responsabilité dans le traitement des personnes déviantes ? Ou préférons-nous occulter cette zone d'ombre de la société et l'enterrer au plus profond de nos esprits ?


== Notes et références ==
== Notes et références ==

Version du 14 janvier 2014 à 09:52


Historique

Durant l'Antiquité et le Moyen-Âge, les sanctions pénales consistaient principalement en un châtiment corporel. La liberté n'était pas encore considérée comme un bien appartenant à l'individu. Par conséquent, les prisons n'étaient pas utilisées comme mode de punition, mais, elles permettaient, par exemple, de s'assurer qu'un condamné serait présent le jour de son procès.

Jusqu'au 17ème siècle, cette mentalité n'évoluera pas. Au siècle des lumières, apparaît alors la conception de la liberté. Celle-ci se révèle être le bien le plus précieux dont peut disposer un individu. Rapidement, l'idée d'utiliser la prison comme mesure punitive - car privative de liberté - est proposée : les peines ne s'appliquent plus au corps, mais à une valeur constitutive de l'individu: la liberté.<ref>Emine Eylem Aksoy Rétornaz. (2011). La sauvegarde des droits de l'Homme dans l'exécution de la peine privative de liberté, notamment en Suisse et en Turquie. Schulthess Médias, Juridiques SA : Genève</ref>

La réforme pénale initiée par le texte de Cesare Beccaria, Des délits et des peines, paru en 1764, dénonce le recours à la torture comme moyen d'instruction, la cruauté totalement disproportionnée des châtiments, tels que la peine capitale, l'inégalité de traitement des condamnés en fonction de leur classe sociale ou encore l'arbitraire des juges dans la décision des peines. Il préconise alors la mise en œuvre d'un système de peines fixes garantissant l'égalité entre les condamnés et empêchant ainsi toute appréciation des juges.

John Howard, philanthrope britannique, est l'un des premier à s'intéresser au statut juridique des prisonniers. Son livre sur "L'État des prisons européennes" (1777) souligne la nécessité d'un traitement carcéral respectant les droits élémentaires de l'humanité. À la fin du 18ème siècle, Jeremy Bentham va plus loin et défend la position que les détenus doivent avoir exactement les mêmes droits que les personnes en liberté mis à part celui d'aller et venir<ref>Emine Eylem Aksoy Rétornaz. (2011). La sauvegarde des droits de l'Homme dans l'exécution de la peine privative de liberté, notamment en Suisse et en Turquie. Schulthess Médias, Juridiques SA : Genève</ref>.

Il faut attendre le 19ème siècle pour que l'on donne un autre but aux peines. « Le détenu devrait être complétement transformé, tant dans son corps et ses habitudes que dans son esprit et sa volonté. La volonté d'améliorer le détenu durant sa détention ou l'idée d'une réinsertion possible dans la société transparaissent en filigrane » <ref>Emine Eylem Aksoy Rétornaz. (2011). La sauvegarde des droits de l'Homme dans l'exécution de la peine privative de liberté, notamment en Suisse et en Turquie. Schulthess Médias, Juridiques SA : Genève. Page 14</ref>. On passe à une pénalité de la détention. Michel Foucault analyse ce nouvel "art de punir" à travers ce qu'il appelle une micro-physique du pouvoir permettant une constante soumission de l'individu au regard des gardiens. La justice moderne va alors chercher à transmettre l'idée que l'essentiel n'est pas de punir, mais de redresser. Ce que l'on vise désormais, c'est la liberté de l'individu. Par exemple, avec l'introduction de la notion de "circonstances atténuantes", on fait entrer dans le verdict une appréciation portée sur le criminel et sur ce que l'on peut attendre de lui dans l'avenir. « Trouver pour un crime le châtiment qui convient, c'est trouver le désavantage dont l'idée soit telle qu'elle rende définitivement sans attrait l'idée d'un méfait »<ref>Foucault, M. (1975). Surveiller et punir. Paris : Gallimard.</ref>.

Le 19ème siècle apporte son lot de réformes. Des mécanismes de réduction de peines apparaissent et surtout, la libération conditionnelle et le régime du sursis sont instaurés, respectivement en 1885 et 1891 en France.<ref>Favard, J. (1994). Les prisons. Flammarion : France.</ref>

Jusqu’en 1945, la condamnation à une peine de prison correspond encore à la perte des droits individuels, mais, après la Seconde Guerre Mondiale, une volonté d’humaniser les prisons apparait en même temps qu'une volonté de reconnaissance des droits des personnes détenues. Malgré ce mouvement, l’incarcération reste encore, à ce moment-là, assimilée à un châtiment.

Il faut alors attendre les années 1970 pour considérer que les détenus restent, malgré leur privation de liberté, des sujets détenteurs de droits.


Les années 1970 sont déterminantes dans le débat sur les droits des prisonniers

Comme nous l'explique le texte de l'ENA (l'école nationale d'administration), «Ce n’est qu’à partir des années 1970 qu’il est admis que la qualité de détenu n’exclut pas celle de sujet détenteur de droits, évolution résumée par la formule « la prison, c’est la privation d’aller et venir et rien d’autre » prononcée par le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing. Des droits sont progressivement reconnus aux personnes détenues, les dotant d’un statut juridique qui reste cependant partiel car un écart perdure entre la capacité de jouissance et la capacité d’exercice des droits dont les détenus sont titulaires.»

En effet, en 1975, les détenus récupèrent leur droit de vote, en 1983, ils sont autorisés à porter des vêtements civils, en 1985, la télévision est autorisée dans les cellules et ainsi de suite. Ce processus de reconnaissance comme des sujets à part entière, détenteurs de droits perdure pendant plus d'un demi-siècle jusqu'à la mise en place de la loi du 24 novembre 2009 qui introduit, entre autres, un chapitre consacré aux droits et devoirs des personnes détenues et s'inscrit ainsi dans l’amélioration de l’accès aux droits des personnes détenues et du développement des contrôles externes. De plus, cette loi opère "un renversement symbolique des missions qui sont assignées à l’administration pénitentiaire, la réinsertion du détenu étant énoncée avant l’exigence de sécurité".<ref>ENA. (2011). L'administration pénitentiaire et les droits des personnes détenues. Lettre de mission - Groupe 9. Page 7.</ref>

Droit à l’intégrité physique et morale

La prison a donc beaucoup changé au cours du temps et, avec cette évolution, l'ont été ses valeurs et les droits des prisonniers, à savoir: le droit à des conditions de vie appropriées, le droit à la santé mais également le droit à l'intégrité physique et morale. C'est d'ailleurs sur ce dernier point que nous avons choisi de développer dans le prolongement de l'intérêt pour l'évolution de la nature des sanctions et des peines dans l'histoire des prisons.

« Par le prononcé d'une peine privative de liberté à son égard, l'individu purgeant cette peine est privé de l'un de ses principaux attributs, il perd sa liberté. Le problème majeur réside dans le fait de savoir s'il s'agit d'une perte de liberté ou des libertés et dans quelle mesure cette privation est compatible avec les droits et libertés de l'individu. »<ref>Emine Eylem Aksoy Rétornaz. (2011). La sauvegarde des droits de l'Homme dans l'exécution de la peine privative de liberté, notamment en Suisse et en Turquie. Schulthess Médias, Juridiques SA : Genève. Page 17.</ref>

Les individus qui sont détenus conservent tous leurs droits sauf ceux dont la perte est une conséquence directe de la privation des libertés. L’interdiction universelle des actes de torture et des mauvais traitements trouve sa source dans la dignité inhérente à la personne humaine. Les prisonniers et détenus doivent être traités en toute circonstance de façon humaine et digne et ce du jour de leur admission jusqu'au jour de leur libération. Ainsi tout acte de torture ou de traitement inhumain ou dégradant est interdit et impardonnable. L'interdiction de la torture a force de loi. Cette interdiction trouve sa source dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dont l'article 5 stipule que : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »<ref>Les droits de l'homme et les prisons. (2004). Manuel de formation aux droits de l'homme à l'intention du personnel pénitentiaire. Série sur la formation professionnelle n°11. NATIONS UNIES, New York et Genève. Page 38.</ref>. Ainsi le paragraphe 1 de l’article premier de la Convention contre la torture et autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant définit la torture comme : « Tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ».<ref>Les droits de l'homme et les prisons. (2004). Manuel de formation aux droits de l'homme à l'intention du personnel pénitentiaire. Série sur la formation professionnelle n°11. NATIONS UNIES, New York et Genève. Page 38.</ref>

De même, lorsqu'une personne détenue ou emprisonnée disparaît ou décède, il faut que la cause de cette disparition ou de ce décès fasse l’objet d’une enquête indépendante. Le principe 34 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement prévoit que :

« Si une personne détenue ou emprisonnée vient à décéder ou à disparaître pendant la période de sa détention ou de son emprisonnement, une autorité judiciaire ou autre ordonnera une enquête sur les causes du décès ou de la disparition, soit de sa propre initiative, soit à la requête d’un membre de la famille de cette personne ou de toute personne qui a connaissance de l’affaire...»<ref>Les droits de l'homme et les prisons. (2004). Manuel de formation aux droits de l'homme à l'intention du personnel pénitentiaire. Série sur la formation professionnelle n°11. NATIONS UNIES, New York et Genève. Page 41.</ref>

Prenons l’exemple des conditions de détention dans une prison genevoise : Champ-Dollon qui ouvre ses portes en 1977. Déjà au centre de l’actualité à cause de sa surpopulation, cette prison préventive de Genève a fait la une, en avril 2006, pour de toutes autres raisons. En effet, 200 détenus ont signé une lettre dénonçant l’emploi disproportionné de la force policière et des détentions préventives excédant les peines prononcées. Suite aux protestations de 2006, les rapports ont mis en évidence en évidence des violations des droits humains au sein de la prison (allégations de pratiques d’immersion de la tête sous l’eau) par la suite confirmées. Malgré cela, en 2007, toujours pas de réaction des autorités.<ref>Plateforme d'information humanrights.ch sous http://www.humanrights.ch/fr/Suisse/interieure/Poursuite/Detention/idart_4174-content.html</ref>

Pour la Ligue Suisse des Droits de l'Homme (LSDH), qui a présenté son rapport le 16 avril 2007, les droits fondamentaux des détenus ne sont pas respectés dans la prison genevoise de Champ-Dollon. De même, le rapport de la commission d'experts du Grand Conseil genevois, présenté le 18 avril 2007, a été très sévère envers les pratiques de la police et de la justice.<ref>Plateforme d'information humanrights.ch sous http://www.humanrights.ch/fr/Suisse/interieure/Poursuite/Detention/idart_4174-content.html</ref>

Les experts de la commission ont auditionné 125 détenus et ils ont eu accès aux données de la police judiciaire et de la justice. 30% des détenus auditionnés (soit 38 sur les 125) se sont plaints de mauvais traitements physiques et de propos racistes, voire de rançons; dans 14 des cas, des lésions ont été constatées par les médecins. Les brutalités ont consisté en coups de pieds à terre, tête frappée contre le mur, gifles, coups lors de l'interrogatoire, et un mineur a raconté avoir subit le sous-marin (tête dans l'eau).

Dû à la surpopulation, certaines conditions de détention deviennent inacceptables. Le rapport de la LSDH a confirmé certains problèmes, comme un accès restreint aux soins, aux parloirs, à la formation ou aux places de travail. Les experts ont confirmé la promiscuité, la mixité, le mélange de détenus (p.ex avec des détenus perturbés) et certaines restrictions.<ref>Plateforme d'information humanrights.ch sous http://www.humanrights.ch/fr/Suisse/interieure/Poursuite/Detention/idart_4174-content.html</ref>

Lors d'une conférence de presse le 3 mai 2007, les autorités ont exprimé leur inquiétude tout en relativisant les allégations. Le ministre genevois en charge de la police, Laurent Moutinot, a pointé le fait que les allégations de détenus n'avaient pas fait l'objet de vérification et que les policiers accusés n'avaient pas été entendus. Toutefois, les autorités ont présenté un plan de réformes de la police censé mettre un frein à ces dysfonctionnements. Le plan d'action comprenait l'amélioration de la formation des policier, la réunion en un seul corps de la gendarmerie et de la police de sécurité internationale, une nouvelle répartition des compétences, des caméras de surveillance (y compris dans les postes de police et les salles d'interrogatoires), la réforme des procédures disciplinaires et la création d'une police des polices intercantonale.<ref>Plateforme d'information humanrights.ch sous http://www.humanrights.ch/fr/Suisse/interieure/Poursuite/Detention/idart_4174-content.html</ref>

Bien qu'on puisse la croire disparue des prisons, la violence envers les détenus est toujours présente. Il est certain que c'est un point particulièrement important dans le respect du droits à l'intégrité physique et morale des détenus. Mais il y en a d'autres, en apparence moins importants, mais pour qui il est justifier de se battre. Lors des entretien effectués avec Mesdames Testuz et Bercher, apparaît l'importance des liens avec l'extérieur. En effet, pour Mme Bercher, le détenu n'existe que par ce qu'il entend de l'extérieur. Si l'on souhaite respecter le droit à l'intégrité morale, il faut donc mettre en place des moyens permettant cet accès. Un problème surgit immédiatement : la punition du détenu est justement celle d'être mis de côté, coupé du monde. Quel sens y aurait-il à le mettre en contact avec l'extérieur? Il faudrait ici aussi distinguer la prison préventive lors de laquelle les détenus en attente du procès ne peuvent être en lien avec l'extérieur pour des raisons de collusion de la prison de détention où il purge sa peine.

Nous pouvons avancer trois réponses à ceux qui soulèvent cette question. Dans un premier temps, en reprenant la citation en début de chapitre, nous appuyons le fait que la prison consiste en une perte d'un droit, celui d'aller et venir où bon nous semble, et non de tous les droits. Cela n'est donc pas incompatible avec la possibilité d'être en contact avec l'extérieur. Ensuite, il convient de définir le but de la prison. Si ce dernier est bien de permettre un jour la réintégration de ses détenus, alors les détenus doivent pouvoir se tenir au courant de se qu'il s'y passe. Enfin, tout simplement parce que les détenus ont droit à leur intégrité physique et morale et qu'en les coupant de leur famille, de l'information, des moyens de communication, on viole ce droit.

Finalement, les grands victoires de ces dernières années ne sont peut-être pas celles qui ont fait le plus de bruit. Pour nous, il est par exemple difficile d'imaginer l'importance d'avoir deux heures de parloir par semaine au lieu d'une. Mais pour les détenus c'est une victoire. En tant que militant pour les droits de détenus, il fallait se battre pour ces "petites choses" comme le dit Muriel Testuz: les parloirs intimes, le courrier, la télévision, internet, ... Car chacune d'elles permettaient d'améliorer l'intégrité physique et morale des détenus.

Institutions et associations défendant le droit des prisonniers

Le GAP

Le Groupe Action Prison : GAP

Ce groupe a été créé, en 1975 par Michel Glardon, à la suite de la mort de Patrick Moll. Il militait au travers d’un journal, nommé Passe-Murailles, qui publiait des dossiers sur des « thèmes brulants ». Ce groupe avait la volonté de créer une profonde modification de la détention préventive. Il a énormément lutté « pour briser l’isolement dans les prisons et pour défendre un vrai salaire pour les prisonniers, supprimer la censure, soutenir les luttes »<ref>-, - (Hrsg.). (2006). Luttes au pied de la lettre, Editions d’en bas, Lausanne. pp 12-129</ref> dans différentes prisons suisses telles que Witzwil ou encore Saint-Antoine devenue Champ-Dollon.

Depuis 1986, le groupe Action Prison a disparu et a laissé la place à d’autres associations qui luttent pour le respect des prisonniers. Notamment, l’Association de Défense des Prisonniers en Suisse qui a vu le jour en 1986 et qui souhaitait « soutenir les luttes des prisonniers au niveau national et dénoncer l’ensemble du système carcéral ».<ref>-, - (Hrsg.). (2006). Luttes au pied de la lettre, Editions d’en bas, Lausanne. pp 12-129</ref>

ADPS (Association de défense des prisonniers de Suisse)

Un syndicat de prisonniers, appelé l’Association de Défense des Prisonniers de Suisse, s’est crée en 1986 et prit, ainsi, le relais du Groupe Action Prison. Dans son live Yvonne Bercher. (1995)<ref>Yvonne Bercher. (1995). Au-delà des murs: témoignage et recherche sur l’univers carcéral suisse romand, éditions d'en bas, Lausanne. pp 45-48</ref> retrace son histoire. C'est le 1er août que Jacques Fasel, le fondateur, dépose la demande de création de l’ADPS à la conseillère fédérale Elisabeth Kopp. L’Office fédéral de la justice ne s’y est pas opposé concrètement, mais a transmis le message suivant : « Rien n’empêche en principe des détenus de fonder une association. Toutefois la direction de l’établissement peut soumettre l’activité de ladite association à des conditions, voire la restreindre. »

Cette association était essentiellement composée de détenus et ne comprenait que quelques rares membres non incarcérés, ceux-ci servant de relais avec l’extérieur.

L’ADPS a évolué du simple syndicat de prisonniers à un groupe actif hors de l’enceinte des prisons. C’était les membres extérieurs à la prison qui recevaient les demandes d’aide des détenus et qui essaient de les traiter, sans toutefois y arriver au vu des nombreuses sollicitations. L’ADPS est alors perçue par les détenus comme inefficace et se voit discréditée. Il s’en est suivi le départ de Jacques Fasel qui a préféré œuvrer en solitaire.

Groupement Infosprisons

Le Groupe Infoprisons est un groupe de travail qui s'est créé après la fin tragique de Skander Vogt qui est survenue en mars 2010, suite à l’incendie de sa cellule dans le canton de Vaud. Cet événement a déclenché plusieurs interrogations sur le monde des prisons et à ce qui pouvait être fait afin d’éviter que ce type d'événement dramatique ne se reproduise. Le groupe info prison a décidé d’élaborer et de diffuser un bulletin électronique trimestriel avec pour objectif de permettre la prise de parole des détenus et la mobilisation des professionnels impliqués dans le système carcéral.

Le groupe se compose, d'une part, de plusieurs personnes chargées de la responsabilité principale de la rédaction, à savoir: Marie Bonnard (ancienne journaliste à Tout-Va-Bien et à l'Hebdo), Patricia Lin (assistante sociale en milieu carcéral durant de nombreuses années), Anne-Catherine Menétrey-Savary (ex-conseillère nationale) et Muriel Testuz (active déjà dans le Groupe Action Prison). D'autre part, Joëlle Pascale Ulrich, chargée de la relecture des bulletins. Tous ces acteurs travaillent bénévolement pour la rédactions des divers textes ainsi que la recherche d'informations.

Afin de recevoir les bulletins électroniques, il suffit de s'inscrire sur le site-web du Groupe Info prisons.

AAFIP (Association des Amis de la Fraternité Internationale des Prisons)

"Partout dans le monde les prisons sont un enfer. Aidez-nous à en faire des lieux de résurrection"<ref>Site de l'AAFIP sous http://www.aafip.ch/fr/</ref>

L'AAFIP est une association suisse qui a été créée en 2005. Elle agit auprès des détenus, anciens détenus, victimes, enfants et familles touchées par le crime dans de nombreux pays parmi les plus défavorisés.

L'un de leurs axes prioritaires est la justice réparatrice qui a été une vision minoritaire au XXème siècle, au profit d'une justice rétributive ou répressive, mais qui revient en force actuellement. Car c'est ce type de justice qui est porteur d'espoir pour une réelle réinsertion des détenus au sein de la société. En effet, le crime ne se réduit pas à la transgression de la loi, mais il affecte aussi les relations entre les individus. Ainsi, ce n'est pas le fait de simplement appliquer des peines aux coupables qui compensera la souffrance des victimes, et cela peut même conduire à un désir de vengeance chez le coupable. Concrètement, la justice réparatrice aide donc le coupable à réparer ou tenter de réparer le mal qu'il a fait dans la mesure du possible.

Il y a 124 associations à travers le monde et toutes ont les mêmes objectifs : elles s'impliquent dans la visite des détenus, la formation professionnelle en prison, l’accompagnement des victimes, des familles et enfants de prisonniers, la mise en place de programmes de réinsertion Chronologieprofessionnelle et la promotion du concept de justice réparatrice.

Chronologie

Chronologie sur les droits des prionniers en France


Méthodologie

Afin d'étayer les apports de notre article, nous avons décidé d'interviewer deux personnes qui ont milité pour le droit des prisonniers. Pour ce faire, nous avons décidé d'adopter une posture semi-directive dans nos entretiens de recherche. L'objectif de ces entretiens était de "favoriser la production d’un discours de l’interviewé sur un thème défini dans le cadre d’une recherche"<ref>Blanchet A., et Al (1985). L'entretien dans les sciences sociales. Bordas, Paris. Page 7.</ref>, dans ce cas-ci il s'est agit pour les deux interviewés de partager leurs souvenirs et expériences afin que nous puissions mieux comprendre la situation passée et actuelle concernant la prison. A partir de ces témoignages, nous avons essayé de mieux comprendre grâce à leur récit notre sujet et le thème du droit à l'intégrité physique et morale des détenus en Suisse.

Questions d'entretiens

L'idée proposée et partagée était de laisser la personne raconter, ainsi nous voulions laisser de l'espace et de la liberté aux personnes interviewées. Par conséquent, nous n'avons pas posé de questions fermées mais des questions ouvertes et générales choisie en commun par la communauté de travail. Lors des deux entretiens, nous avons accorder un long temps de réponse afin de laisser à Muriel Testuz et Yvonne Bercher la possibilité de se souvenir et de raconter l'histoire et leur histoire, notre but étant de véritablement comprendre comment s'est construite la lutte pour les droits des détenus en Suisse.

Concernant l'entretien de Mme Bercher, nous nous sommes confrontés à quelques difficultés méthodologiques puisqu'il ne nous a pas été possible de poser nos questions d'entretiens telles quelles. En effet, il était parfois difficile de la recadrer, bien que nous ayons essayer. Néanmoins, tout au long de l'entretien, elle nous a apporté quelques éléments de réponses pour nous permettre de compléter chacune de nos questions. Nous avons donc choisi de ne pas poser les questions telles que nous les avions rédigées afin de ne pas enlever de la spontanéité aux réponses apportées par Mme Bercher. De plus, ayant déjà envoyé les questions par courriel à cette ancienne militante, cette dernière nous avait déjà apporté des informations pertinentes pour chacune de nos questions. A ce propos, nous pensons qu'il a été bénéfique d'envoyer les questions par avance, car ceci nous a permis de laisser une plus grande place à la spontanéité de Mme Bercher, ce qui a enrichi encore davantage l'entretien.

Les questions d'entretien étaient les suivantes : questions

Présentations des personnes interviewées

Les deux personnes interviewées ont été Madame Muriel Testuz et Madame Yvonne Bercher.

Pour la présentation des personnes interviewées, voir l'index

Retour sur les entretiens

Entretien avec Muriel Testuz -- Transcription

Entretien avec Yvonne Bercher -- Transcription

Mise en relation des deux entretiens

Depuis quand et avec qui (quel groupe) vous êtes-vous engagé/e dans la lutte pour les droits de la personne et quel était à ce moment votre statut (ou fonction)? Dans quel contexte s'est inséré cette démarche ?

Mme Testuz a initié son engagement en 1976 avec le Groupe Action Prison. Elle avait alors un statut «d'étudiante en rupture», pour reprendre ses propres mots, et était âgée de 19 ans. Elle parle aussi de Michel Glardon, « le fondateur des Editions d’En bas et qui va être le fer de lance du mouvement sur les prisons, l’intellectuel, le Foucault d’ici » avec qui elle va s'engager dans le combat pour le droit des prisonniers.

Concernant Mme Bercher, elle a répondu à cette première question dans le mail qu'elle nous avait envoyé : « De 1987 à 1991, j’ai milité à l’ADPS (Association de Défense des Prisonniers de Suisse), syndicat de détenus engagés dans la défense de leurs droits auxquels s’étaient adjoints des personnes sensibles à la question (médecins, juristes, proches de détenus). L’ADPS représentait l’héritier du GAP (Groupe Action Prison), groupe militant présidé par feu Michel Glardon, ancien président de la LDDH VD et fondateur des Editions d’En-Bas où ont été publiés Droit de révolte, de Jacques Fasel et Au-delà des murs d’Yvonne Bercher. Ces éditions critiques représentent un peu l’équivalent suisse des Editions Maspero en France.»

La période est similaire pour les deux femmes et on remarque aussi la présence des mêmes personnes, notamment Michel Glardon. Nous précisons ici que, bien qu'elles aient milités durant la même période et pour le même combat, elles ne se sont jamais rencontrées. Néanmoins, elles se connaissent de nom.


Il y a-t-il un événement originel? Pourriez vous nous raconter un ou des événement/s marquant/s que vous avez mené ou qui vous ont frappé dans cette période en faveur de ces droits ?

Les motivations de nos deux interlocutrices ont plusieurs points communs. Aussi bien Mme Bercher que Mme Testuz ont ressenti un sentiment d'injustice liée à la population carcérale qui les a poussé à se battre. On sent une colère, voire une honte, vis-à-vis du système et un besoin intarissable de militer pour le respect des personnes. Bien qu'elles énoncent différents éléments qui les ont poussés à se lancer dans le combat, on sent que c'est quelque chose qu'elles avaient en elles. Mme Bercher le dit :"vous savez le fait d’être militante, c’est quelque chose qu’on a ou qu’on a pas en soi, mais ce n’est pas un sacrifice".

Elles se rejoignent aussi lorsqu'elles évoquent leur entrée dans les associations militantes : "c'est par le bouche à oreilles, par certaines rencontres, fortuites ou non, qu'elles ont pu s'investir. Il existait un flou autour des acteurs du combat pour les droits des prisonniers." Daniel m’a présenté d’autres personnes qui m’en ont présentées d’autres ça été un jeu de l’avion si vous voulez..." (Mme Bercher). Mme Testuz, quant à elle, précise : "[...] qu'on n’entrait pas dans cette association action prison, d’autant plus qu’il se passait la même chose en France. Ce sont des gens qui se rencontraient et il y a eu à un moment donné une convergence."

Comme événement originel, Mme Testuz parle de l'affaire Skander Vogt et Mme Bercher parle de sa lecture du livre La bande à Fasel.


Quels ont été les changements les plus importantes auxquels vous avez assistés?

Mme Testuz, parle de sa victoire lors de la fermeture de la maison d'éducation de Vennes en 1979. Elle parle aussi de sa déception lorsqu'elle a appris sa réouverture au printemps prochain. Ainsi, elle identifie le retour en arrière que nous évoquons plus loin et qui est, sans doute, l'un des gros changements des ces dernières années.

Quant à Mme Bercher, elle nomme deux changements principaux: « L’irruption d’une population étrangère aux références culturelles complètement différentes des nôtres, ainsi que l’accroissement fulgurant de la population pénale représentent les deux éléments prégnants ». Ces deux points sont, eux aussi, de grands difficultés rencontrées aujourd'hui et qui mettent à mal le combat pour les droits des prisonniers.


Y a-t-il des valeurs que vous avez eu le sentiments d'avoir porté en avant et si oui, lesquelles étaient-elle?

Il n'a pas été facile à nos interlocutrices de répondre à cette question. Mme Testuz a proposé « Le respect des personnes. Il faut les considérer comme des personnes, car c’est quand même de la disqualification, ça, je ne peux pas, tout ce qui est l’humiliation, qu’on considère qu’il y a des gens qui ont moins de valeur, je ne peux pas ». Concernant Mme Bercher, elle a identifié « la transparence car nous nous sommes systématiquement appliqués à démontrer la fausseté du discours sur la réinsertion, notamment, ainsi que le fossé que l’on observe entre le faire et le dire. Débusquer les très nombreuses zones de non-droit a représenté un travail de titan (par exemple pourquoi les plaintes déposées par des détenus contre des brutalités n’aboutissent pratiquement jamais.)»


Qu'en est-il aujourd'hui de cette lutte et des acquis et des risques de retour en arrière? Sur quoi faudrait-il continuer de se battre de lutter? Est-ce que vous continuer aujourd'hui de vous engager et sur quoi?

Il ressort des ces deux entretiens que le monde de la prison, durant les années où Mme Bercher et Mme Testuz ont oeuvré, n’était pas le même qu'aujourd hui. En effet, Mme Testuz évoque le fait que : " Pour les moments de lutte, il y a des pics et après ça redescend. Faut réussir à maintenir. On voulait supprimer la prison à Genève. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas quoi faire."

Elles parlent aussi d'un retour en arrière. Comme nous l'explique Mme Testuz avec l'exemple de la maison d'éducation de Vennes. Cette maison avait été fermée suite à une lutte acharnée du Groupe Action Prison et qui va réouvrir au printemps 2014. Ce retour en arrière est surtout dû selon Madame Testuz au fait qu': " Il n'y a pas de mémoire. Aujourd hui on ne pense que par le contrôle." En effet, nous pouvons voir qu'il n'y a plus de réflexion autour de ce sujet. C'est un milieu qui n'a pas évolué depuis plusieurs des années, alors que la société, elle se voit évoluer de manière fulgurante.

A cette perte de mémoire, nous pouvons lier le rôle de la presse qui a énormément évolué. Dans les années 1975-1985, il y avait une revue intitulée "Passe-Murailles" qui permettait de mettre en lumière ce qui se passait à l'intérieur des prisons, mais maintenant plus personne ne le fait réellement. Cette perte de mémoire peut être reliée aux changements de la société dans laquelle nous vivons. La "société permet moins les gens en marge. On nous met dans une case dès qu'on sort de la norme."

Ce sont principalement ces deux aspects qui ont été évoqués lors des entretiens.

Ci-dessous, sont listées d'autres thématiques que nous avons trouvé intéressantes


Objectifs du travail militant

Mme Bercher et Mme Testuz s'accordent sur le fait que leur travail consistait à rendre visible les prisons et à faire le lien entre l'intérieur et l'extérieur. Mme Bercher, insiste plus sur ce qu'elle amenait de l'extérieur pour les prisonniers :"Le détenu, il existe qu’à travers ce qu’il va capter de l’extérieur, il en est complètement dépendant, il est dans un espace où il n’a plus de recul, où il est aux mains d’autrui. C’est un endroit très sonore la prison, vous avez tout le temps des bruits. Il faut comprendre ce que vivent les gens". Concernant Mme Testuz, c'est le mouvement inverse. Avec la revue "Passe-Murailles", elle tentait de transmettre au monde extérieur ce qu'il se passait à l'intérieur même des prisons.

Le but de leur travail était bien d'empêcher la prison de se renfermer sur elle-même. D'empêcher que le monde extérieur n'ait plus aucun regard sur ce qu'il s'y déroulait et d'empêcher les détenus de se sentir totalement abandonnés et évincés de la société. Elles se battaient pour que la prison et les prisonniers continuent à faire partie de la société, comme toute autre institution.

Enfin, leurs actions se devaient, non seulement, d'avoir un impact sur l'époque où elles prenaient place mais aussi, elles visaient à s'inscrire dans les mémoires afin que le combat ne soit pas fait en vain. Nous revenons sur ce point un peu plus loin.


Difficultés rencontrées

Parmi les difficultés rencontrées, mise à part les difficultés liées au militantisme - le fait de se heurter à des institutions qui refusent toute discussion, par exemple -, nous avons retenu celle liée directement aux prisonniers et à ce qu'il représente. Est-ce réellement une cause justifiable que celle de se battre pour des détenus? On peut imaginer les incompréhensions que cela peut générer pour l'entourage proche d'une personne militante mais aussi aux yeux de toute autre personne de la société. Mme Bercher répond parfaitement à cette problématique:"L’idée du peuple est qu’ils doivent être punis, c’est des salauds, donc il faut leur enlever des droits. Ce qui est une absence de réflexion, une vision à court terme. Tôt ou tard, ces gens vont sortir, en principe, et ils vont être appelés à se réinsérer et s’ils sortent dix fois plus révoltés qu’ils ne sont entrés, c’est dix fois plus nuisible. Personne n’a rien à gagner. Et moi, combien de fois j’ai fais signer des pétitions et les gens me disaient mais vous y pensez aux victimes? Et je leur répondais, mais justement Monsieur nous y pensons. Tout le monde a intérêt que ces gens soient pris en charge d’une manière ou d’une autre".


Réflexions sur la prison

La prison est un sujet délicat à traiter car il touche à des personnes qui sont enfermées dans des conditions pouvant se révéler très difficiles.

Lors de notre entretien avec Muriel Testuz, il est ressorti que pour elle :"Ce n’est pas un statut d’être détenu, c’est un statut administratif, mais ce n’est pas une identité contrairement à d’autres groupes sociaux victimes d’exclusions." Ceci nous amenant à nous poser la question du réel but de la prison.

En effet, il existe un paradoxe autour de la prison. Ceci vient du fait qu'il y ait d'un côté le souhait des gouvernements de réinsérer les prisonniers à leur sortie de prison (dans les dires) alors que rien n'est véritablement mis en place au sein des institutions carcérales pour leur permettre de se réinsérer (pas de formation). Ce paradoxe est parfaitement illustré dans le film Thorberg. Nous pouvons y voir l'un des détenus de la prison de Thorberg, Janis, qui dénonce "l'absurdité de la prison" en expliquant que cette dernière limite les possibilités des prisonniers tout en espérant qu'ils deviennent meilleures et se réinsèrent correctement dans la société.

Madame Testuz étaye ses propos en ajoutant : "On ne peut pas faire d’institutions coercitives sans qu’elles dégagent de la violence, de manière visible ou de manière beaucoup plus subtile, c’est propre à la prison. Tant qu’on n’aura pas une direction qui a une vision des détenus comme des personnes ayants le droit au respect".

Lors de l'entretien avec Yvonne Bercher, cette notion a elle aussi été mise en lumière. Elle nous a expliqué que : "Ce à quoi il faut être attentif, c’est que le discours et la pratique ne sont pas séparés par un fossé car on a une hypocrisie et un mensonge là-dedans. Si on dit, on est dans un état répressif ça fonctionne comme ça et qu’on l’annonce aux gens au moins ce n’est peut-être pas sympa mais ça a le mérite de l’honnêteté. Mais là, on a un discours suave dans les demies teintes à la Suisse et on a une pratique où on laisse moisir les gens pendant des années. On a toute une zone grise, si vous voulez, contre laquelle on luttait."

Nous en retirons le fait suivant : On espère qu'ils deviennent meilleurs sans leur en donner les moyens.

Conclusion

La prison fait aujourd’hui partie du paysage politique et médiatique et ce depuis plusieurs années. Nous avons pu constater à travers ce travail que de nombreux livres, brochures, rapports et autres textes tentent de dénoncer l’état du système carcéral. Cependant, nous avons pu remarquer qu’à ce jour, la véritable connaissance sur la prison par la population reste limitée et révèle une vision critique, libérale et intéressée. L’opinion publique reste très éloignée des problèmes pénitentiaires réels et prône la tolérance zéro quant à la nature des peines et à leurs modes d’exécution et d’aménagement. À travers les différentes étapes de la création de cet article, nous avons aussi pu voir que le droit des prisonniers n’était pas une cause facile à défendre. L’importance de cette lutte n’est pas encore très démocratisée et comprise par l’ensemble de la population. Ainsi, la prison demeure encore un lieu où l’on considère les êtres humains comme des individus morcelés et éclatés. Ils ont donc beaucoup de mal à exister comme des personnes à part entière. En effet, nous nous arrêtons souvent au crime commis et avons tendance à les stigmatiser, leur coller des étiquettes. L’humiliation et le non respect de la dignité sont toujours très présents en prison. De ce fait, nous pouvons alors nous demander quelle est la véritable place pour le droit de l'être humain dans un contexte déjà très difficile à vivre à la base.


« Mon désir n'est pas de créer l'ordre, mais le désordre au contraire au sein d'un ordre absurde, ni d'apporter la liberté, mais simplement de rendre la prison visible » Paul Claudel

Notre conclusion nous amène à réfléchir sur l'avenir : que faut-il faire maintenant pour améliorer le respect des droits des détenus? Les différents textes que nous avons avons lu ainsi que nos deux entretiens se rejoignent tous sur un point : il faut rendre la prison visible. Comment agir pour les détenus si personne ne sait exactement comment ils sont traités? Foucault, au travers de ses réflexions sur le système carcéral, parle de ce changement : « Le passage des supplices, avec leurs rituels éclatants, leur art art mêlé de la cérémonie de la souffrance, à des peines de prisons enfouies dans des architectures massives et gardées par le secret des administrations, n'est pas le passage à une pénalité indifférenciée, abstraite et confuse; c'est le passage d'un art de punir à un autre, non moins savant que lui. Mutation technique. De ce passage, un symptôme et un résumé : le remplacement, en 1837, de la chaîne des forçats par la voiture cellulaire. »<ref>Foucault, M. (1975). Surveiller et punir. Paris : Gallimard. Page 300</ref>. On est passé d'un régime de peines publiques, visibles et comme faisant partie intégrante de la société, à une logique du silence, de l'inconnu. La prison s'éloigne de plus en plus de la société. Muriel Testuz va aussi dans ce sens lorsqu'elle préconise qu'il faut continuer à lutter « pour que la prison ne se renferme pas sur elle-même ».

Philippe Combessie, dans son livre<ref>Combessie, P. (2001). Sociologie de la prison. Editions La Découverte & Syros, Paris : 2001.</ref>, en parle lui aussi. Il énonce même deux pistes d'actions afin de rendre la prison visible. Dans un premier temps, il faut diminuer le plus possible le recours à la prison afin de limiter ses dégâts collatéraux. Il faut en faire usage uniquement lorsque c'est indispensable à la sécurité publique. Ensuite, il faut diminuer la pénibilité de la prison.« Tout ce qui abaisse la dignité d'un homme rejaillit sur les individus qui y coopèrent, sur l'institution qui le tolère, et sur la société qui l'accepte et qui, pour ce faire, l'occulte. » (p. 109)

Mais la questionnement qui demeure est : avons-nous réellement envie de rendre la prison visible? Dans une démocratie, il revient au peuple de faire des choix quant aux droits et devoirs des citoyens qui la composent. Sommes-nous alors prêts à assumer notre responsabilité dans le traitement des personnes déviantes ? Ou préférons-nous occulter cette zone d'ombre de la société et l'enterrer au plus profond de nos esprits ?

Notes et références

<references/>


Bibliographie

  • Bercher, Yvonne. (1995). Au-delà des murs: témoignage et recherche sur l’univers carcéral suisse romand, éditions d'en bas, Lausanne.
  • Blanchet A., et Al (1985). L'entretien dans les sciences sociales. Bordas, Paris.
  • Les droits de l'homme et les prisons. (2004). Manuel de formation aux droits de l'homme à l'intention du personnel pénitentiaire. Série sur la formation professionnelle n°11. NATIONS UNIES, New York et Genève.
  • Emine Eylem Aksoy Rétornaz. (2011). La sauvegarde des droits de l'Homme dans l'exécution de la peine privative de liberté, notamment en Suisse et en Turquie. Schulthess Médias, Juridiques SA : Genève.
  • ENA. (2011). L'administration pénitentiaire et les droits des personnes détenues. Lettre de mission - Groupe 9.
  • Favard, J. (1994). Les prisons. Flammarion : France.
  • Foucault, M. (1975). Surveiller et punir. Paris : Gallimard.
  • -, - (Hrsg.). (2006). Luttes au pied de la lettre, Editions d’en bas, Lausanne.


Filmographie

Thorberg, DVD 1: Kinofilm, 104 Min., Untertitel: d/f/e/i, Trailer 2 Min., Untertitel d/f/e DVD 2: 18 filmische Kurzporträts über Insass en aus 12 Nationen, je ca. 8 Min. Untertitel d/f


Auteurs de ce chapitre

Daubord Alix

Grosjean Elodie

Martins Pinto Diana

Messina Stéphanie

Toninato Sebastien