Renevey Fry, Chantal (dir.) (2001) Pâtamodlé, l'éducation des plus petits, 1815 à 1980, Service de la recherche en éducation et Musée d'éthnographie, Genève

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Résumé

Ce livre retrace l’histoire des crèches et de l’école enfantine, de différents acteurs sociaux et des idées concernant l’éducation des tous petits en trois parties. Premièrement, l’ouvrage s’intéresse à l’influence des médecins pendant la période de 1815 à 1950, à celle des pédagogues pendant la même période, et à celle des psychologues depuis 1950 à 1980.

Dans la première partie (1815 à1950), la relation entre la mère et son enfant est analysée à partir de la question de l’allaitement, de la mise en nourrice, de l’exposition des enfants et de l’infanticide, avant d’aborder le changement introduit par le biberon. L’ouverture des premières crèches à Genève en 1874 veut favoriser l’allaitement maternel et amène également des changements dans la prise en charge des tous petits. Les médecins ont un rôle particulièrement actif dans « l’histoire de cette lutte victorieuse contre la mortalité infantile » (p. 14) : ils prônent l’allaitement maternel, de nouvelles règles d’hygiène et de puériculture et demandent aux mères un dévouement sans faille à leurs enfants. Les crèches sont l’alternative – forcément moins adéquates – pour les situations où les mères ne peuvent pas s’en occuper pendant la journée.

La deuxième partie étudie la même période de 1815 à 1950 à travers l’influence des pédagogues sur l’histoire des crèches. Les crèches émergent d’un mouvement philanthropique européen qui cherche à s’occuper des enfants considérés comme négligés par leur mère, des enfants de classes populaires et qui aboutit à la création des « poêles à tricoter » du pasteur Oberlin en Alsace et des « Infant Schools » d’Owen en Angleterre. Owen considère que les enfants acquièrent leurs défauts de caractère de façon très précoce et qu’il est nécessaire de les éduquer en dehors de leurs familles «pour prévenir et autant que possible pour contrecarrer ces premiers maux auxquels les pauvres et les classes laborieuses sont exposés durant leur enfance » (p. 96). A Genève, un même mouvement philanthropique crée des écoles de l’enfance à partir de 1826 qui sont intégrées dans l’école enfantine publique dès 1872. En 1874, la première crèche fondée à Genève prend le relais et les crèches fondées par des riches philanthropes continuent la démarche d’accueillir les enfants des classes populaires. L’idée de l’importance du rôle de la mère, tant soulignée par les médecins, est reprise par les pédagogues et enrichit de nouvelles théories pédagogiques, comme celle de Froebel et de ses jardins d’enfants qui commencent à s’ouvrir en Suisse à partir de 1860. Claparède et l’Institut Jean-Jacques Rousseau qu’il crée à partir de 1912 cherche à donner une base scientifique à l’éducation des tous petits. Ces approches pédagogiques visent à influencer surtout l’école enfantine, destinée à tous les enfants, et ne trouvent leur entrée dans le quotidien des crèches qu’indirectement. Les crèches restent destinées aux enfants des classes populaires qu’il faut plutôt soustraire à l’influence néfaste de leurs familles et discipliner.

La troisième partie retrace la période de 1950 à 1980 et analyse l’arrivée des théories psychologiques dans l’éducation des tous petits et de leur intérêt pour le rôle de la mère. Dès les années 1950, tant l’école enfantine que les institutions telles que les crèches et les jardins d’enfants connaissent un essor important. Cet essor reste inséré dans une tension entre l’assistance aux mères qui travaillent et l’importance donnée à la présence de la mère par les théories psychologiques et psychanalytiques en cours. Il en ressort une mise en question des crèches, qui continuent cependant leur essor, et une culpabilisation des mères. Cette tension aboutit à une demande pour une prise en charge de meilleure qualité, qui tient compte des développements mis en place par les approches pédagogiques développées dans les écoles enfantines et des nouvelles théories psychologiques. Les lieux d’accueil se modifient progressivement est ne s’adressent plus aux enfants des classes populaires uniquement, mais élargissent leur offre à tous les enfants. Les théories du développement des enfants connaissent également un essor, à travers les travaux de Piaget sur la construction de l’intelligence, de Spitz et de Bowlby sur l’importance de l’attachement, et de Emmi Pikler et de l’institut de Loczy qui développe une véritable « pédagogie du soin » (p. 176). Ces théories psychologiques et celles, plus psychanalytiques, de Winnicott ou de Dolto notamment, trouvent leurs entrées dans des conseils donnés aux parents, à la radio, par des livres ou la presse. Il s’agit d’offrir à l’enfant le plus de possibilités à s’épanouir, et les crèches et leur offre pédagogique en font désormais partie. Vu le développement important des institutions de la petite enfance qui s’adressent de plus en plus à toutes les couches sociales, l’Etat met en place une surveillance de ces institutions (Loi genevoise de 1963) et renforce les formations du personnel (Création de l’école des jardinières d’enfants en 1961).

Concepts clés

La relation mère – enfant prise dans des enjeux de société

La relation entre une mère et son enfant n’est pas dans une bulle isolée, à son départ. Elle est influencée fortement par la société dans son ensemble et par ses différents acteurs. De l’injonction de ne pas allaiter elle-même son enfant faite par le médecin de famille en 1871 pour les femmes de la bourgeoisie (p. 29) à la lutte d’autres médecins contre la mise en nourrice pendant la même période (p. 44), de l’injonction des psychologues demandant un dévouement complet (p. 172) en 1951 en passant par celle d’être « suffisamment bonne » (p. 182) jusqu’à la demande de laisser de la place au père (p. 233) en 1971, la relation entre une mère et son enfant se trouve face aux experts, à leurs demandes parfois contradictoires, changeant dans le temps, et aux prises d’enjeux sociétaux dépassant la seule question de l’éducation des petits enfants.

La négligence – le jugement sur l’éducation d’une classe sociale

Au départ, à partir de 1874, les crèches accueillent les enfants des classes populaires, enfants négligés par leur mère parce qu’elle doit travailler. L’intérêt pour l’éducation des tous petits amène à de nouvelles théories pédagogiques, psychologiques et psychanalytiques qui soulignent l’importance des premières années de vie pour le développement futur des enfants. Ces théories influencent les approches pédagogiques de l’école enfantine surtout, suite aux travaux de Froebel et plus tard de Claparède, et progressivement également les approches pédagogiques des crèches. L’augmentation du travail des femmes, conjuguée avec une démarche de plus en plus pédagogique des institutions de la petite enfance amènent à une « démocratisation » de ces institutions qui ne s’adressent plus uniquement aux classes populaires mais aux enfants de toutes les classes sociales.

Les différences entre les classes sociales dans les pratiques éducatives se retrouvent ainsi à l’intérieur des crèches, de plus en plus, à partir des années 1960. « L’amélioration de la qualité de l’encadrement au sein des institutions pour les tout-petits s’est accompagnée de mesures destinées à dépister et prévenir les handicaps émotionnels, relationnels et affectifs ». La surveillance et le dépistage incombent au Service santé de la jeunesse dès 1968, tandis que le service de guidance infantile offre un dépistage des troubles de comportement dès 1975.

La surveillance des institutions – la bonne volonté ne suffit plus

L’Etat se charge de la surveillance des institutions à partir de 1963. Il ne suffit dès lors plus d’appartenir à un mouvement philanthropique, d’avoir les moyens et la volonté d’aider les enfants des pauvres, il faut pouvoir assurer des « conditions propres à favoriser le développement physique et mental des enfants » (Ordonnance fédérale de 1977).

(Marianne)