Résumé du livre Gordon R.A.(1990).Anorexia and bulimia, anatomy of a social epidemic. Oxford and Cambridge. Basil Blackwell

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Anorexia and bulimia, anatomy of a social epidemic Richard A. Gordon

Gordon est un psychiatre américain et, sauf indication, toutes les recherches dont il fait état prennent place dans le contexte nord-américain.

Chapitre 1: culture et psychopathologie: la notion d’un “trouble ethnique” (ethnic disorder)

Dans le premier chapitre, l’auteur nous donne un bref aperçu historique du trouble de l’alimentation qu’on appelle aujourd’hui anorexie mentale. Il semblerait que cette maladie ait été identifiée en tant que telle dès 1870, en Europe de l’ouest (Paris et Londres). C’est la première fois qu’on mettait un nom sur ces comportements de « self starvation », autrefois assimilé à de l’hystérie. Un concept un peu « fourre-tout », principalement féminin, sous lequel on rangeait bon nombre de comportements déviants dont la cause restait mysterieuse.

L’anorexie est donc devenu une « maladie », mais connue sporadiquement, par quelques médecins. Les patientes étaient vues comme des « cas rares », et ce jusque dans les années 70-80. A partir de ce moment là, l’incidence de l’anorexie augmente, une littérature scientifique se fait plus abondante sur le sujet, des systèmes de prise en charge particuliers se créent, des associations de soutien aux victimes également. L’anorexie devient de plus en plus médiatique. Cependant, l’image proposée par les médias est assez ambivalente : en même temps, on parle de « disorder of the 80s » (trouble des années 80), comme quelque chose de « widely publicized, glamorized, and romanticized » (largement publié, glamourisé et romantisé), et de l’autre côté, on fait grandl bruit de la chanteuse américaine Karen Carpenter, mort d’un arrêt cardiaque par suite d’anorexie.

L’auteur fait référence à G. Devereux, un psychiatre français, ayant élaboré la notion de « trouble ethnique », ou « culture-bound syndrom ». Il voit en effet l’anorexie mentale comme un « ethnic disorder », dans le sens ou il est unique à une culture particulière, à savoir la société occidentale contemporaine. C’est dans cette perspective que Gordon se propose de développer l’anorexie et la boulimie en tant qu’épidémie sociale.


Chapitre 2: Les troubles de l’alimentation : anorexie mentale et boulimie

Le deuxième chapitre pose un regard historique plus approfondi sur l’anorexie, principalement, ainsi que sur la boulimie. Les symptômes d’inanition ont été relevés dès 1689, par un médecin anglais Thomas Morton. Il parlait alors de « wasting disease » (maladie débilitante). En 1870, des médecins londoniens et parisiens parlent de « self-starvation ». Dès lors, la communauté scientifique comment à se pencher sur le problème. On l’associe dans les années 20 au « Simmond’s Disease », une maladie endocrinienne. Une décennie plus tard, et porté par l’école psychanalytique, l’accent était mis sur l’origine sexuelle des troubles. Ce n’est qu’en 1973, avec la publication de Eating Disorder, par Hilde Bruch, une psychanalyste ayant beaucoup travaillé avec les anorexiques, que cette maladie est vue comme résultant d’un conflit psychologique. Les travaux de Bruch furent étayés quelques années plus tard par le DSM III, qui reprendra la liste des symptômes de la maladie énoncés par Bruch, en y ajoutant l’aménorrhée. A remarquer que, tout au longe de l’histoire, et dans la plupart des cas étudiés, il s’agissait d’adolescentes.

L’auteur dresse ensuite un tableau clinique de la maladie. Quels sont les symptômes qu’on lui reconnaît aujourd’hui, et de quelle manière peuvent-ils être expliqués ? La société est-elle responsable ? Dans quelle mesure ? Gordon distingue plusieurs facteurs enivronementaux, comme la fragmentation de notre alimentation, le « style culturel » d’impulsivité et de conduites addictives, ou encore la baisse des prix sur les produits allégés. Mais quelle est la cause et quelle est la conséquence ? Ne revenons-nous pas là au serpent qui se mord la queue ? C’est une des questions que l’auteur se propose d’explorer.

Enfin, il fait une comparaison de ces deux syndromes que sont l’anorexie et la boulimie. Souvent interreliés, ces deux maladies se distinguent pourtant sur plusieurs points, comme le rapport à la nourriture, ou les conditions familiales des patientes. Cependant, les différents auteurs cités dans le livre, accordent comme point commun à ces deux maladies, « an obsession with food, weight, and body shape that becomes a defensive substitute for dealing with the conflicts assiociated with the achievment of an identity » ( une obsession de la nourriture, du poids et de la forme du corps, comme manière de faire face aux conflits associés à la quête identitaire)


Chapitre 3: Les dimensions sociales d’une épidémie

Tout d’abord, les chiffres le montre, il s’agit d’une prévalence essentiellement féminine, une constante depuis le Moyen-Age et les « holy anorexiques » (les saintes anorexiques, des ferventes chrétiennes pratiquant le jeûne comme « purification de l’âme »). Quand bien même les hommes apparaissent plus préoccupés par leur image corporelle, l’anorexie masculine reste un phénomène marginale.

Gordon explique discute ensuite de la prégnance de cette maladie dans les société occidentales. De nombreuses études, menées aux USA ou en Europe, ont montré l’ampleur que prend ce phénomène. Pour quelle raisons ? L’auteur en discute quatre :

  • une abondance de nourriture
  • un rôle féminin changeant (voir chapitre 4)
  • une préoccupation de l’apparence et de la forme du corps (chap. 5)
  • une préoccupation culturelle du poids et de l’obésité (chap. 6)

Il essaie de distinguer ensuite les variables religieuses, ethniques et socio-économiques. L’anorexie se trouverait plus fréquente chez les « Caucasians » (les blancs), se caractérisant par des attitudes puritaines envers la sexualité des femmes, et ceci majoritairement dans les classes sociales favorisées.

Chapitre 4: Une identité féminine changeante

Pourquoi l’anorexie touche-t-elle principalement les femmes ? Certes, elles ont certaines prédispositions biologiques qui les distinguent des hommes (prennent plus facilement du poids, tiennent mieux la privation, changement hormonal de la puberté), mais la société pèse également d’un grand poids dans l’explication de l’anorexie. En effet, cette dernière exerce une certaine pression sur l’image de la femme. Pression d’autant plus difficile à supporter qu’elle est ambiguë. En même temps qu’on vante la femme indépendante, cumulant avec une facilité déconcertante boulot, marmots et perte de kilos, le corps, à la puberté, se féminise, et l’adolescente prend conscience de sa sexualité. A partir de ce moment, ou se situer ? Devenir un rival à « l’homme moderne » ou devenir une « femme », mais accepter à ce moment-là la soumission masculine, institutionnalisée.

Gordon résume donc l’anorexie en terme de conflit identitaire, une confusion des valeurs d’identification inhérente à l’image paradoxale de la femme que donne la société. Il n’est pas étonnant alors que, dans cette période critique de construction identitaire qu’est l’adolescence, on retrouve la quasi-totalité des cas d’anorexie mentale.


Chapitre 5: Le corps mince

La perception du corps joue un rôle déterminant dans la construction de soi. Or, chez les anorexiques, cette vision est déformée, puisque ces dernières sur estime leur « body size » (volume de corps).

L’auteur explique ensuite pourquoi notre société met tant en avant la minceur, pourquoi les régimes sont-ils devenus une « obsession culturelle de masse ». Il s’agit d’un phénomène certes récent, mais qui a des racines bien plus lointaines. Depuis toujours, et ce jusqu’à la société industrielle, les rondeurs étaient valorisées, car symboles de fécondité, dans un monde ou les ressources abondaient, et ou on avait besoin de bras pour soutenir la communauté. Cependant, lors de période de famine, ce sont les corps maigres qui étaient vénérés. Il en est allé ainsi jusqu’à la fin du XIXème siècle. L’homme maîtrise mieux son environnement, et ainsi les périodes de disette se font plus rares. La minceur devient maintenant l’apanage d’une classe sociale bourgeoise. L’idéal féminin évolue, il devient carrément « anti-maternel ». Cette nouvelle image est véhiculée notamment par le cinéma encore tout récent (nous sommes dans les années 20), un consumérisme émergent ainsi qu’une démocratisation de la mode. Aujourd’hui, notre société est dite « de consommation ». Un certaine idéal de vie, de mode de consommation est véhiculé à travers les médias : allez au fitness, consommez allégé, etc. La minceur est un marché. La minceur est une norme. Elle est associée, comme dit précédemment, à la femme qui réussit professionnellement, en opposition à la future mère, qui affiche ses rondeurs. La femme forte est associée à des stéréotypes négatifs, alors que la femme mince, tout lui sourit. Gordon voir un parallèle direct entre cette image de la réussite sociale, et le corps sans forme, presque masculin de ces patients anorexiques. Elle sont constamment tiraillées entre ces deux images de la femme totalement opposées.

Chapitre 6 : La guerre contre le « fat » : obésité, régime et exercice

L’embonpoint est aujourd’hui associé à l’obésité, et par là aux troubles de santé, ainsi qu’à la stupidité, la flemmardise, etc. Cela pourrait expliquer, toujours dans leur volonté d’indépendance et d’auto-affirmation, que les anorexiques aient une peur intense de l’obésité. Selon Gordon, l’obésité est un phénomène endémique au processus d’industrialisation (abondance de nourriture, alimentation plus riche en graisse et en sucre, sédentarisation). D’un côté, on dévalorise l’obésité, la prise de poids, mais d’un autre, nous vivons dans uns société qui pousse à la surconsommation. Les individus, et surtout les adolescentes, sont pris dans ce paradoxe : entre consumérisme et self-control.

Cette notion de contrôle, self-control, se manifeste par la rigueur drastique des régimes que suivent les anorexiques. Souvent est associé un sentiment d’impuissance, de dévalorisation de soi. Le contrôle qu’elle exerce sur leur alimentation est un subsitut au contrôle qu’elle souhaiterait avoir sur leur propre vie. Il en va de même pour les hyperactives, celles qui se dépensent à outrance. Encore une fois, on retrouve la tension existante entre une image positive que l’on donne du sport, et l’usage excessif et détourné qu’elles en font. Contrôler son poids, son alimentation est une forme de « self mastery » vers lequel les anorexiques aspirent.

--Stéphaniebauer 25 avr 2006 à 21:48 (MEST)


Chapitre 7 : Les modèles d’une maladie

« dont’go crazy, but if you do, you should behave as follows » Georges Devereux, Basic problems in Ethnopsychiatry

Selon Gordon, un comportement déviant sera renforcé s’il est associé à une figure prestigieuse, ou à des pairs qui reçoivent un renforcement positif pour leur comportement symptomatique.

  • l’anorexie par procuration

L’auteur remarque que l’anorexie est de plus en plus simulée. Selon lui, les facteurs d’imitation et de compétition jouent un rôle dans cette course à la maigreur. Beaucoup de ses patientes ont commencé pour « faire comme elle », « être aussi mince ». les adolescentes, plus influençables, cherchent à s’identifier à ces modèles-là, modèles dits « à la mode ».

  • le rôle des mass médias

Encore une fois, Gordon met en relief le paradoxe soulevé par la médiatisation de l’anorexie. D’une part, on « glamourise » cette maladie : elle est mystérieuse, difficile, admirable. On cherche à comprendre ces filles déviantes dont le comportement, presque ascétique, impressionne. Et d’autre part, on entend la voix de quelques médecins s’insurger contre ces pratiques, réellement dangereuses pour la santé. Ce discours est repris par certaines personnalités qui se vantent de s’en être sorti, à travers de nombreuses autobiographies. Mais tout le paradoxe est là : on condamne un comportement qu’on met pourtant en valeur.

Pour finir, Gordon revient sur le conflit « anorexie-boulimie », jeûne versus dévorage. Pourquoi ces troubles sont-ils à la fois contradictoires et complémentaires ? En réalité, ces comportements problématiques de l’alimentation reflètent la tension qui existent dans notre société de consommation : consommez, consommez et maigrissez.


Chapitre 8 : Les politiques de l’anorexie

D’après l’auteur, les « troubles ethniques » sont des formes de rebellion face aux attentes de la société. Une société qui veut réintégrer ces marginaux dans la norme. Il dresse ensuite un bref portrait des « précurseurs historiques », que sont les « saintes anorexiques, les artistes de la faim et les grévistes de la faim ». Il met en évidence les points communs entre ces précurseurs et les anorexiques actuelles (poursuite narcissique de la perfection à travers la maîtrise de l’appétit pour les artistes, de même que pour les anorexiques ; forme de protestation, politique pour les grévistes, à un certain rôle de la femme pour les anorexiques)

Gordon fait état ensuite de l’ « addiction to control ». Les régimes draconiens sont des instruments de contrôle de son propre corps. Ce « mastering » génère un sentiment de pouvoir et d’indépendance. Cette quête de « mastering » serait en lien avec les politiques des familles. Il relève que les familles d’anorexiques sont souvent de tradition assez puritaine, où une forte pression pèse sur les épaules de la jeune fille, souvent issue de bonne famille. Il existe de plus, un déséquilibre de pouvoir au sein de la famille, qui entraverait l’affirmation de l’indépendance de l’adolescent.

L’auteur cite à nouveau Devereux qui parle des troubles ethniques comme « le comportement antisocial social ». Pour ce dernier, les symptômes d’un trouble ethnique sont à la fois une affirmation et un reniement des idéaux d’une société. La réponse à ces troubles est donc ambivalente. Gordon illustre ce paradoxe en évoquant à la fois l’admiration que suscitent l’apparence et le « mastering » des anorexiques. De même que pour l’hystérie, une des fonctions de l’anorexie est la provocation. Critique d’un discours sur les aléas des régimes pour les unes, critique de la répression sexuelle pour les autres. Dans tous les cas, les troubles ethniques se caractérisent par une lutte de pouvoir vis-à-vis d’une société leur imposant un modèle dans lequel elles ne se reconnaissent pas, ou vers lequel elles ne veulent pas aspirer.

Pour finir, Gordon cite Chermin (un auteur américain), pour qui le « marketing de l’idéal de la minceur reflète un effort conspiratoire pour garder les femmes à leur place, dans une période où l’assurance des femmes menace la pérennité du contrôle masculin ». Il s’agirait de comprendre la politique des troubles alimentaires en terme de conflit de genre.

--Stéphaniebauer 26 avr 2006 à 21:45 (MEST)