Résumé du livre Darmon M.(2003).Devenir anorexique, une approche sociologique. Paris. La découverte.

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Introduction

L’ouvrage de Darmon M. aborde les thématiques de l’anorexie et de la boulimie sous l’angle sociologique. Alors que depuis des années les recherches menées tentent de comprendre et d’expliquer ce phénomène des troubles du comportement alimentaires (TAC) par des facteurs psychologiques ou biologiques. Un nouveau facteur vient à s’imposer : le facteur social. Les thèses médiatiques pour expliquer ce problème social sont rares mais sont entrain de voir le jour progressivement. Cet ouvrage en est la preuve. Il date de 2003 et se centre uniquement sur l’implication et le rôle de la société dans la construction du phénomène de TAC. Elle classe (comme de nombreux psychiatres et médecins) les TAC dans la catégorie « pathologie sociale ». Darmon compare ces maladies à des épidémies et souligne le fait que tous les traitements proposés pour y remédier ont un effet inverse aux résultats attendus. Alors que la logique voudrait qu’on stoppe le fléau. Les démarches mises en place n’ont fait que mettre le feu aux poudres. Les spécialistes formés pour endiguer le problème sont de plus en plus nombreux, les institutions et les clinques pour anorexiques et boulimiques fleurissent et les résultats ne sont pas concluants ! De plus en plus d’ouvrages paraissent dans les librairies. Ils décrivent la maladie et les moyens d’y faire face (Lutter contre la boulimie). Hors l’auteur touche un point sensible, elle démontre que le social n’est plus seulement pathologique, dans la mesure où il est un des facteurs des troubles mentaux mais que le médical n’a pas la solution pour stopper ce problème (les rechutes chez les personnes atteintes de TAC sont fréquentes). Alors que l’on prend conscience que le problème est à l’origine social et que le malaise découle directement des normes et des valeurs établies par les sociétés occidentales, les critères ne semblent pas avoir changés. En effet, on ne naît pas anorexique ou boulimique, on le devient lorsqu’on est pris dans un processus. Le sujet met en place des actions qui sont d’abord des conduites addictives, mais qui se transforment à long terme en pathologie. Nombreux sont les individus susceptibles de se livrer à certaines conduites addictives par rapport à leur alimentation. On ne peut cependant pas les classer dans la catégorie : personne atteintes de TAC (cf. la thèse d’H. Becker sur la consommation Marijuana). Darmon essaie de mener la même démarche que Becker pour analyser les causes sociales des TAC. Elle se centre sur le processus, plus que sur la structure du problème, car une fois qu’il y a rituel, répétition d’actions et établissement d’habitudes, on se situe au niveau des solutions pour faire face. Plutôt que d’envisager l’anorexie comme un état ou une personnalité, il s’agit d’analyser les séries d’actions entreprises qui mènent à « l’être anorexique ».

Historique (du 19ième siècle à nos jours)

En guise d’introduction, l’auteur s’interroge sur l’ancienneté des troubles alimentaires. A-t-on affaire à une apparition récente du diagnostic de la maladie, ou à une découverte diagnostique tardive d’une maladie très ancienne ? Fin du 19ième siècle : La question des saintes anorexiques (Holy anorexia)

La pratique du jeûne et l’étiquetage pathologique de certaines pratiques médiévales de piété sont au cœur des débats en sciences humaines (notamment entre les historiens). Les saintes médiévales étaient-elles des anorexiques ? De nombreuses religieuses avaient pour habitude de consommer de très petite quantité de nourriture, de jeûner durant de longues périodes et de se nourrir essentiellement de l’eucharistie. Motif religieux ou maladie réelle ? Quelle tolérance et qu’elles normes étaient établies entre ces groupes de femmes ? Y avait t-il déjà une sous-culture déviante à l’époque ? Etait-elle masquée par des discours éminemment religieuses. La femme mystique semble vivre de l’abstinence et se nourrir du spirituel. Manger la nourriture terrestre revient à souiller son âme, en souillant d’abord ses organes (appareil digestif). Quelle analogie y a-t-il entre les jeûneuses médiévales et modernes ? L’idée est de montrer qu’il y a une recherche d’identité et d’autonomie dans des sociétés qui oppriment les femmes par le biais du jeûne. Darmon présente deux courants qui s’opposent : « les continuistes » et les « discontinuistes ». Les premiers affirment qu’il y a une continuité entre l’anorexie religieuse médiévale et l’anorexie mentale moderne. Les seconds pensent que cela n’a pas de sens d’appliquer un diagnostic moderne sur des pratiques médiévales.

Dernier tiers du 19ième siècle

Le refus d’un acte religieux de nourriture devient le premier symptôme de la maladie et la médecine relève le défi d’y faire face. C’est la naissance de nouvelles maladies, « Anorexia nervosa » en Amérique ou « l’anorexie hystérique  » en France. Les jeunes filles de bonnes familles commencent à être touchées. Elles réduisent leur nourriture et augmentent leurs déplacements et activités physiques. Le diagnostic d’hystérie se popularise et l’on crée une catégorie de « maladies mentales transitoires ». Les pratiques de jeûnes sont dénoncés et exploités au service des causes anticléricales. On dénonce les dangers de ces pratiques et la forme de maltraitance qu’impliquent des jeûnes sévères et des restrictions alimentaires sur le physique et le mental des jeunes filles (plus sujettes que les hommes aux maladies nerveuses). L’observation médicale et rationnelle, son évaluation à l’aide de critères chiffrés contribue au développement de normes (poids, taille). Les messages sur l’hygiène alimentaire se multiplient. La surveillance et le contrôle dans les familles bourgeoises s’accentuent. En parallèle, on valorise socialement la maigreur, c’est l‘apologie romantique du jeûne (teint blafard, l’air poitrinaire, l’air languide etc.). Il faut se montrer immatériel et mourant, séraphique et diaphane. C’est la période du romantisme. On commence à valoriser le corps des danseuses de ballets. C’est l’époque de la pâleur, de la fragilité et de la minceur. La haute société tente de se distinguer des classes populaires en se montrant réservée et peu avide de nourriture, à l’inverse des couches populaires et de la femme des bas quartiers qui est gloutonne et immesurée.

Le modèle féminin actuel

Aujourd’hui, la perfection (le bien), c’est la jeune femme svelte (alimentation saine et hygiène de vie), sportive (plutôt compétitive), cultivée et active. L’imperfection (le mal) c’est la femme gourmande (idée du péché capital, de l’oisiveté, de la vulgarité). A notre époque la dimension religieuse n’est pas tout à fait éteinte. La femme sédentaire, qui ne séduit pas ou qui sort de la norme sera moins reconnue dans la société. Concrètement, Darmon avance que la majorité des personnes ne correspondant pas à ces normes, pourtant médiatiquement valorisées. Jusqu’à quel point la société encourage ce phénomène ? Les nouveaux canons de la mode abandonneraient-ils les formes au profit des anorexiques ?

Abondance/ restriction/ consommation

Les personnes choisissent de réduire et/ou de sélectionner leur nourriture en fonctions des normes esthétiques et sociales liées au genre, à la classe sociale, à l’âge et à ses goûts (influence du contexte socioculturel). Les sociétés modernes endoctrinent les populations en allant toucher ce qu’il y a de plus primaire chez l’homme : la sexualité. Comment séduire, plaire, attirer l’attention en société ? Les médias, par le biais de la publicité s’appliquent à véhiculer une image du beau, à travers des individus prototypes (ex : Barbie). Les progrès et la technique, ne nous ont pas éloignés d’un précepte antique : « Un corps sain dans un esprit sain ». Tous les moyens sont bons pour atteindre cet idéal. Les médias sont présents pour nous transmettre les images de la perfection. Ils sont aussi là pour nous donner les outils nécessaires pour atteindre cet idéal (régimes, crèmes amincissantes, programmes de sport, adresses de fitness).Nous évoluons dans une société rationnelle, le contrôle doit se faire à tous les niveaux, y compris alimentaire. Dans le cas des personnes anorexiques, l’objectif à atteindre est la déconstruction de l’appétit féminin. Autrement dit par l’auteur:

« Notre société fournit un modèle narcissique, infléchit les habitudes alimentaires, prolonge et aggrave la dépendance, et confère à la femme, première « candidate » aux troubles des conduites alimentaires, une place et un rôle inconfortables ». (Darmon 2000, p73)

Les femmes veulent se démarquer mais paradoxellement recherchent par tous les moyens à atteindre cet idéal de minceur. Voici l'extrait d’entretien d’une patiente qui affirme que les médias sont une des causes de ses troubles alimentaires :

« Puis bien sûr c’est (l’anorexie) dû aux médias… On voit dans les magazines, y a plus un magazine qui va pas parler de régime ! Ca devient une obsession, toutes les "nanas" qu’on voit dans les magazines, elles sont toutes à moitié anorexiques. » (Darmon 2000, p63)

Normes esthétiques versus féminité

La nature anatomique de la femme (son corps) est modelée de manière à ce que celle-ci puisse enfanter. Toutes tentatives pour contrer cette réalité vont engendrer des souffrances multiples chez les personnes qui vont aller contre cette réalité biologique. Sans rentrer dans le discours psychanalytique, on peut relever le commentaire suivant : « l’anorectique brise l’enchaînement corporel de la lignée féminine ». (Darmon 2000, p74) Pour ce faire la personne anorexique maltraite son corps à bien des égards (privation/ excès/exercices physiques à outrance etc.). Enfin, les tendances anorexiques des mannequins nous poussent à nous poser la question suivante : Une personne, à la limite du pathologique peut elle incarner la norme ? Toute l’ambiguïté réside dans ce nœud, alors que la personne est au plus mal, elle incarne l’idéal de la minceur, voire de la maigreur. Alors qu’elle connaît de nombreuses souffrances sur tous les plans (physiques, psychiques, intellectuels), ses efforts sont récompensés par le fait d’avoir atteint l’idéal de la maigreur. Darmon nous montre dans son historique que les normes esthétiques et l’image féminine valorisée à une époque donnée sont les racines du problème. Que faire lorsqu’on tend vers un idéal valorisé socialement qui est contre la nature de la femme ? Dans l’espace social des cultures occidentales, les pratiques, les jugements sont liés au corps et à sa représentation.

Ordre temporel et social (institutions) versus les expériences individuelles

Pour Darmon (2003) tout processus est une imbrication d’interactions. Quelles sont les marques laissées sur les individus par les ensembles d’interactions dans lesquelles ils s’inscrivent ? C’est le dialogue du groupe déviant avec les « entrepreneurs de morale » (famille, agent du circuit médical, psychiatrique et autres patients). L’auteur reprend un terme utilisé par H. Becker, celui de carrière (dans le sens, comment la personne s’engage dans le processus ?). Depuis le début du 19ième siècle, la société porte un regard plus ou moins moralisateur sur les personnes fortement atteintes de TAC. Ce phénomène d’étiquetage a quel effet sur ce public considéré comme déviant ?

La carrière déviante des personnes atteintes de TAC

L’auteur utilise volontairement le terme de carrière pour éviter de porter des jugements appréciatifs ou dépréciatifs par rapport au parcours des patientes qu’elle rencontre. Elle développe toute une réflexion sur la notion de déviance, en utilisant des citations de sociologues comme Goffman et Becker. Elle semble adhérer à l’idée de Goffman, qui serait que le normal et le stigmatisé sont deux faces d’une même réalité. Pour Goffman et Strauss, le concept de déviance a une utilité purement institutionnelle. Il affirme cependant que c’est nier les variations qui sont propres à chaque individu. Il existe des variations importantes parmi les déviants.

Les indices de « visibilité sociale » chez les TAC sont : La présence d’un psychiatre dans la famille, un poids étiqueté comme déviant dans une société donnée par le monde médical et la famille etc.

Les actes des anorexiques et boulimiques sont étiquetés comme déviants, même si ils répondent à l’extrême à des modèles prônés à un niveau médiatique. Ex. : Ne pas manger correctement ou se faire vomir, l’infraction au « poids normal », trop manger ou ne pas assez manger lors d’un repas (familial ou à la cantine).

Les normes : Normes locales de poids dans la famille, normes locales professionnelles etc. D’après Becker, le groupe déviant est le support social d’un apprentissage (ex. fumer). Dans le cas des TAC, l’existence d’un groupe déviant n’est pas obligatoire, il se révèle même plutôt lorsque la déviance a atteint son paroxysme (hospitalisation). La sous-culture déviante n’est pas perceptible tant qu’elle reste au niveau d’une culture « normale ». L’apprentissage de la déviance peut être fait auprès « d’entrepreneur de la morale ». Les actes précurseurs de la déviance sont socialement approuvés et valorisés, ils sont "normaux" : faire un régime, surveiller son alimentation, faire de l’exercice, travailler en classe etc.

Le tabou : Le caractère normal de l’entrée dans la première phase de déviance pour les personnes atteintes de TAC (le régime comme pratique sociale approuvée) entraîne une absence d’étude des effets néfastes des régimes au profit d’une multitude d’études sur la diététique (institution de gouvernement des corps). La représentation du corps féminin (objectivation) se masculinise. Trois types de personnes sont impliqués dans cette première phase de déviance : Prescripteurs : Personnes qui prescrivent un régime (ex. médecins, diététiciens etc. Ambivalence du corps médical dans la construction de ce phénomène social !).

Incitateurs : Personnes qui incitent l'individu concerné à faire un régime (professeurs de gym, de danse etc.).

Accompagnateurs : Personnes qui agissent de la même façon (amis, membres de la famille qui agissent de la même manière etc.).

7. Les effets pervers de l’institution :

La création de cliniques pour anorexiques et boulimiques a engendré toute une série d’effets non voulus qui accentuent le problème au lieu de l’atténuer. Le processus est donc le même que celui dénoncé par Foucault par rapport aux prisons et aux orphelinats : «  L’hôpital peut être aussi le lieu d’une « sous-culture déviante » entraînant une « cristallisation de l’identité déviante ». (p230)

--Pédrant Maëlig 23 avr 2006 à 17:23 (MEST)