Résumé du "livre": Pingeon, D. (1982). La délinquance juvénile stigmatisée.

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La délinquance juvénile stigmatisée Didier Pingeon

Didier Pingeon, professeur à la faculté des sciences de l’éducation à Genève, débat sur la définition même de la délinquance à travers son écrit « La délinquance juvénile stigmatisée » paru en mai 1982 dans le 27ème cahier de la Section des Sciences de l’Education. Pour cet auteur, « la délinquance puise sa légitimité dans la dévalorisation, la frustration et l’injustice ». C’est ainsi qu’il essaye de nous convaincre que « la délinquance n’existe qu’au travers d'une définition juridique » à l’aide d’un inventaire des processus de stigmatisation. Il souligne 10 stigmates qu’il développe un à un.

  • du conformisme :

Pour définir l’anormal, il faut poser une norme qui naît d’un consensus. Selon Pingeon, la loi à la base de cette déviance a été érigée non seulement pour protéger, mais aussi pour repérer et produire un groupe déviant. Ainsi, tout acte sortant de la norme sera considéré comme déviant, et c’est pourquoi la déviance existera toujours. L’auteur prône l’acceptation de la déviance comme un comportement naturel que le système crée, et ajoute que la conformité n’est qu’artifice. Il débat ensuite sur ce que le déviant exprime en nous, comme un reflet de nos désirs qu’on n’ose manifester, et qu’on punit alors. Pour Pingeon, « le déviant est inventeur, le conforme applicateur ». « La délinquance est donc une construction humaine dépendant de la convention, du conformisme, du subjectif, donc une construction fluctuante. »

  • de la classification :

Nous avons toujours eu besoin de faire des classifications, et donc en découla différentes prises en charge : caritative ou répressive. « La déviance n’est que question de point de vue ». Selon Pingeon, les psychologues, les psychiatres ou les sociologues s’acharnent inadéquatement à classifier des critères, traiter des cas. Ils enferment le déviant dans un schéma incomplet et ne peuvent la résoudre, car la déviance a des causes multifactorielles. La classification a pour but la stigmatisation, la punition, l’exclusion, la mortification. La déviance est une maladie sociale, « une réaction de révolte face à un contexte intolérable et intolérant ». Une fois l’étiquette choisie, le déviant est marqué et ses qualités ne seront plus considérées. La délinquance serait l’expression différente d’une stratégie, plutôt qu’un trait de personnalité. Ainsi, le délinquant et le non-délinquant recherche le même but, mais diffèrent que par leurs moyens d’y accéder. Pingeon pense que le délit apporte du plaisir ou de la satisfaction, ce qui explique la récidive. C’est pourquoi il faudrait s’intéresser aux conséquences de leurs actes pour comprendre la problématique de la délinquance. M.Cusson propose quatre catégories regroupant treize buts principaux (l’action, l’appropriation, l’agression, la domination). Pour ce dernier, ces fins sont recherchées par tous avec une plus ou moins forte intensité, ce qui élimine le souci de stigmatisation.

Justice et psychiatrie sont les jumelles de la répression, les mamelles du contrôle social ; ainsi commence la description de ce troisième stigmate. Selon Pingeon, la psychiatrie a en effet un grand rôle pour conserver le pouvoir et l’idéologie commune. La justice et la psychiatrie sont « en coalition pour sauvegarder les valeurs bourgeoises au pouvoir ». Elles ignorent donc les conditions de vie du délinquant, et ferme les yeux sur la causalité sociologique des délits. La psychiatrie se doit de trouver dans un délit la maladie mentale. Enfin, l’auteur souligne l’utilisation des médicaments comme camisole chimique, et le problème non résolu des causes sociologiques et politiques qui sont à la base de la délinquance. « On élude la signification du discours déviant. Le psychiatre appelé et agréé par le juge est utilisé pour conceptualiser et réaliser au travers du diagnostic et du traitement la neutralisation de l’acte antisocial, la réduction au silence de ce qui menace l’ordre bourgeois. […] Quand la robe noire s’allie à la robe blanche et s’annexe à elle pour ses décisions, elle signe la stigmatisation la plus subtile qu’un système social puisse concevoir. »

  • de la pénalisation :

Il s’agit ici, pour Pingeon, de montrer que l’enfermement n’a rien d’éducatif ou de thérapeutique. La détention est une solution qui rassure, qui écarte les gêneurs et décourage les délits en montrant la peine qui en découle. Selon Foucault, cité par notre auteur, le vrai problème n’est pas vraiment de savoir l’efficacité de la prison ou autre, mais de constater l’ascension des « dispositifs de normalisation et toute l’étendue des effets de pouvoir qu’ils portent, à travers la mise en place d’objectivités nouvelles». Pingeon déclare que la justice n’est pas impartiale, mais qu’elle se base sur des critères autres que le délit, des « modes de décisions policière et judiciaire » fondés sur des a priori. Il va même jusqu’à dire qu’il y a plus de personnes de classe sociale défavorisée en prison, non pas à cause de leurs conditions de vie comme le suggère certaines sociologues, mais parce que « l’appareil judiciaire réprime plus lourdement et plus rapidement les pauvres que les riches ». Pour Pingeon, il n’y a aucune corrélation entre la délinquance cachée (délits punis et inconnus mélangés) et le statut social. Pour affirmer ceci, il se base sur un tableau de Fréchette et LeBlanc (1978). Il explique l’arrestation plus prononcée dans les classes inférieures par deux facteurs : les riches ont des moyens pour « extraire leur enfant délinquant des mains de la justice » ; et « la police elle-même peut utiliser son pouvoir pour décider ou non de l’arrestation ». Ainsi, le délinquant n’est plus un jeune qui a commis des actes interdits, mais un jeune qui vit dans un contexte jugé défavorablement. On en vient à stigmatiser une classe sociale entière.

  • de la minorisation :

Selon l’auteur, chacun est un délinquant une fois ou l’autre, mais qu’une minorité est officialisée, et stigmatisée. En effet, il existe d’autres chiffres que ceux qu’on voit, les chiffres noirs, ceux qui prennent en compte la délinquance cachée, qui représenterait 85% des délits. Ainsi, les théories sur la délinquance juvénile ne seraient basées que sur un échantillon de 15% des jeunes délinquants. « La minorisation du phénomène délinquance révèle une politique axée sur la désignation de boucs émissaires réconfortants quant à l’efficacité du système, mais éludant délibérément la signification d’un phénomène social beaucoup plus large. » La stigmatisation suit la chronologie suivante : 1) perception 2) l’identification 3) la classification. Pingeon propose alors qu’au lieu de stigmatiser, définir la délinquance comme trouble pathologique ou comme danger pour la société et son ordre, « il conviendrait de comprendre la délinquance à la fois comme un comportement correspondant à une stratégie de socialisation dans une société donnée, et à la fois comme le symptôme d’un dysfonctionnement contextuel […] . »

Pingeon continue sur la ségrégation, la violence, le syndrome d’appropriation, la disciplinarité, et enfin, l’assistance.

Il termine son écrit en proposant un réaménagement de l’organisation sociale, une reconstruction des structures communautaires de base ; en résumé : « un mouvement irrémédiable de désinstitutionalisation pour lequel il s’agit maintenant de travailler. »(p.96)

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