« La prison tue »

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« Un jour nous sommes en liberté dans un contexte de vie pas forcément heureux et d’un coup on se retrouve en cellule. On peut rien faire. On peut frapper à la porte tant que l’on veut ça ne s’ouvrira pas. Notre état physique et psychique se détériore et soudainement c’est le coup circuit et on se dit que l’on peut traverser à travers les murs. Alors on décide par se pendre ou par se couper les veines ou on réfléchi à toutes autres solutions, afin de mettre fin à cette enfermement. Une façon détournée de retrouver la liberté en se suicidant et ainsi être à nouveau maître de son destin. » (Jacques ex détenu de la prison de Bellechasse)

Ce film « La prison tue » de 1978 est réalisé sous la forme d’un reportage par José Roy un journaliste travaillant pour la TSR (télévision suisse romande) et plus particulièrement pour l’émission Tell Quel. Le film traite d’un sujet au cœur de l’actualité à savoir le problème des prisons en Suisse. En effet, Roy utilise comme fil conducteur pour objectiver ses propos la publication du rapport fédéral. Il investigue également auprès d’autres établissements pénitentiaires en Europe.

Voici les chiffres qui ressortent de ces recherches :

En 3 ans, de 1975 -1977, on a enregistré 51 suicides en Suisse pour une population carcérale moyenne de 3600 détenus.

En détention préventive :

le taux de suicide est 5 fois plus élevé que parmi les détenus condamnés.

L’isolement :

favorise les tentatives de suicides : sur les 51 suicides recensés, 31 ont été commis par des détenus qui étaient seul dans leur cellule.

Chez les étrangers pas encore jugés :

le taux de suicide est le plus élevé : 13 détenus sur 1'000 mettent fin à leur jour.

Chez les personnes ayant fait des études supérieurs :

Le taux de suicide est 6 fois plus élevé que chez celles sans formation.

Le nombre de suicides dans les prisons suisses est plus élevé que dans les autres pays :

  • 1 détenu sur 200 (en Suisse)
  • 1 détenu sur 770 (en France et en Allemagne)
  • 1 détenu sur 1250 (en Italie et en Autriche)


Le rapport fédéral démontre que la prison conçue comme système essentiellement répressif tue. Ce rapport est limité dans ses objectifs puisqu’il n’évoque pas un autre aspect que celui des tentatives de suicide et pourtant elles sont nombreuses.

José Roy film un témoignage poignant de Jacques 25 ans, un ancien détenu de la prison de Neuchâtel, arrêté pour consommation et trafic de drogue. Seulement huit jours après son arrestation, il tentait de se pendre dans sa cellule. Il est hospitalisé pendant trois semaines, puis il est remis en prison à l’isolement. A nouveau, il tente de mettre fin à ses jours en se coupant les veines. En effet, Jacques décrit l’isolement de la cellule n°11 comme un endroit qui fait peur. La lueur du jour est à peine perceptible à travers la grosse vitre de sécurit puis la fenêtre avec les barreaux. Il est impossible de lire sans allumer la lumière.

De plus, comme le soulève le rapport fédéral, il n’y a pas que les toxicomanes qui intentent à leur vie dans les prisons. En décembre 1975 Laurent Jaquet 23 ans, objecteur de conscience se suicide par pendaison dans sa cellule à la prison de Bellechasse à Fribourg. En effet, parce qu’il se déclarait non violent et refusait d’accomplir son servir militaire, le tribunal de l’armée a condamné Laurent Jacquet à 3 mois de prison une première fois puis à 7 mois de prison lors d’une deuxième condamnation qui lui fut fatale. Son père, 3 ans plus tard, est interviewé. Il répond qu’en tant qu’objecteur de conscience, son fils a été condamné de manière subjective. De plus, les demandes pour le droit de visite se font toutes les 3 à 6 semaines. Laurent se suicidera quelques jours avant que son père puisse aller lui rendre visite en prison. Son père n’arrive pas à comprendre pourquoi il a attenté à sa vie et à de la peine à faire son deuil. Il trouve qu’emprisonner des objecteurs de conscience à isolement est une peine trop sévère et il pense que cela permet de dissuader les personnes (procédé volontaire pour aggraver la peine, on essaie de les briser, mais parfois on les tue).

Par ailleurs, même la prison ultra moderne de Champ Dollon construite en 1977 et qui a coûté 43 millions n’est pas épargnée par les vagues de suicides. Après, une année et demi de fonctionnement, le bilan est tragique : 4 suicides et une soixantaine de tentatives de suicides.

Chantal une ex-détenue témoigne à visage caché à propos de la prison de Champ Dollon. Elle y décrit l’endroit comme étant énorme avec de grands couloirs qui rompent le contact avec les autres détenus que l’on voit à peine. De plus, les visites intercellulaires sont supprimées seul les hurlements et les bruits contre les portes des cellules cassent le silence pesant et monotone. Cette nouvelle prison a, en effet, remplacé celle de Saint-Antoine qui était plus vivante car moins isolé du centre de la ville de Genève, mais elle ne répondait plus aux normes des conventions européennes des droits de l’homme. Une prison noire, décrite par Chantal toxicomane arrêtée pour trafique et consommation de stupéfiants. A peine 3 mois après son incarcération à cette prison, elle tente de se suicider par l’absorption de barbiturique. Elle fait 2 jours de coma puis elle est retourne à Champ Dollon. Quelques jours plus tard, elle retente de mettre fin à sa vie. Elle raconte que : « en prison nous n’avons pas la liberté de connaître les gens. On n’est privé de tout, il ne s’agit pas que de la liberté de connaître les personnes mais également la liberté morale de pouvoir tout simplement s’exprimer de s’affirmer et de montrer qui on est. Si on crie trop fort ce que l’on pense, se sera le mitard (une cellule pratiquement dans le noir avec absolument rien, pas de lecture, pas de cigarette, des WC où l’on a l’eau une heure par jour). On ne voit personne, car on n’a pas de promenade. C’est la prison dans la prison. Tout le système est répressif et insupportable et c’est ce qui pousse à tenter de se suicider, car il n’y a aucun contact et aucune chaleur ».

« On censure les lettres qui parlent de cet hôtel à mutilation. José se suicide pendant la nuit, Christine se suicide à 19 heures. Tout le quartier l’a entendue pleurer, crier et jeter tout ce qu’elle trouve contre sa porte. Elle hurle qu’elle veut mourir. Les gardiennes ont peur, par conséquent elles lui laissent piquer sa crise, en pensant que ça passera. En effet… mais définitivement ! C’est scandaleux, comment allez-vous justifier ce meurtre ? Il est vrai qu’on ne se cavale pas à Champ Dollon on y meurt. Physiquement et psychiquement. Faut-il des suicides pour faire bouger l’administration ? » (Lettre des détenues de Champ Dollon au Directeur de la prison 8 avril 1978).

Le film souligne également d’autres problèmes inhérents à l’incarcération comme

l’usage régulier des médicaments 

Voici les chiffres qui ressortent de ces recherches (tiré du rapport fédéral)

En moyenne :

1 détenus sur 4 à recourt à des produits psycho-pharmaceutique (moitié somnifère, moitié calmant)

Dans certains établissements :

1 détenus sur 2 à recourt à des produits psycho-pharmaceutique

En comparaison à l’ensemble de la population suisse :

1 personne sur 20 prend régulièrement des produits psycho-pharmaceutique

Témoignage de Jacques : (Prison de Bellechasse)

« Les médicaments c’est triste à dire, mais on en est bourré. On en a besoin, pendant toute une période, il prenait une qualité effroyable de médicaments. Ce qui est triste c’est que si je ne les avais pas eu, je ne sais pas ce que cela pourrait donner. Un moyen de supporter un peu mieux l’univers carcéral. Les doses étaient absolument effroyables. Pendant un temps il avait deux Valium 10, deux Rohypnol 4 et deux Metolon, tous les soirs en 1x. Mais j’étais obligé de les prendre sinon je n’aurais jamais tenu le coup. »

Témoignage de Chantal : (Prison de Champ Dollon)

« Les médicaments permettent de tenir le coup, c’est même la seule chose qui nous permet de supporter la vie carcérale. On doit avaler des médicaments sinon ce n’est pas possible de tenir autrement. Cela peut être également une facilité pour se suicider, mais il y a d’autres facilitateurs encore plus simple. Par contre, il faudrait revoir le système répressif complètement. C’est pas normal que l’on doive prendre des médicaments quotidiennement pour tenir le coup. »