Les enfants maltraités comme enjeu entre parents, institutions et médecins

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Apparition du concept de "maltraitance infantile" du 19ème siècle à nos jours

Un mal qui a toujours existé

Si aujourd'hui le le rapport fédéral "Enfance maltraitée en Suisse" définit la maltraitance infantile comme "les effets d'interactions violentes et/ou entre des personnes (parents, substituts parentaux, tiers), des institutions, des structures sociales, et des mineurs, générants des atteintes à la santé physique et psychique, des arrêts de développement, des invalidités et parfois la mort. Ils recouvrent aussi toutes les formes d'exploitation sexuelle des enfants par les adultes" (1992), il n'en a pas toujours été ainsi. En effet, il n'a pas toujours été possible de mettre des mots sur la problématique que représente l'enfant maltraité.

Néanmois, même s'il n'a pas toujours été possible de donner une définition précise de la maltraitance infantile, nous pouvons tout de même affirmer que les mauvais traitements à l'encontre des enfants n'est pas une problématique récente ni un phénomène nouveau. La maltraitance à d'ailleurs sans doute toujours existé de tous temps, dans toutes les sociétés et dans tous les milieux sociaux. La prise de conscience de cette réalité est avant tout liée à l'évolution de la vision de la place de l'enfant dans notre société.

En effet, depuis le Moyen-Âge nous sommes passé d'une enfance inexistante à l'enfant roi. Un petit retour sur les différentes étapes de ce changement semble donc tout à fait pertinent.

Comme il l'est cité précédemment le Moyen-Âge n'a pas conscience de la spécificité enfantine, l'enfant est considéré comme un adulte miniature, une sorte d'état inachevé de l'homme. Ce n'est qu'à partir du 17ème siècle que l'on voit se dessiner une évolution de la condition de l'enfant, l'accent est mis sur l'innocence et la fragilité de cette période qu'est l'enfance. Cependant, à la même époque l'église donne une vision immorale de l'enfant, le considérant comme la marque du péché originel et par conséquent responsable des mauvaises conduites de ses parents. C'est le 18ème siècle qui marquera un véritable tournant dans la reconnaissance de l'enfant, notamment sous l'influence de Jean-Jacques Rousseau. En effet,pour celui-ci l'enfant est originellement bon et pur et l'enfance est une période nécessaire pour devenir adulte. Dès le 19ème siècle on voit apparaitre des changements d'attitudes à l'égard des enfants et une évolution dans les soins qu'ils reçoivent se produisent. D'autre part, l'importance des rapports familiaux vis-à-vis de l'enfant est de plus en plus soulignée. De nos jours, l'enfant est au centre des préoccupations de l'adulte. Nous nous efforçons de faire reconnaître les droits de l'enfant dans le monde entier pour qu'il soit considéré comme un être à part entière. La déclaration des droits de l'enfant de 1989 s'inscrit dans ce processus. De nombreuses instances pour la protection de l'enfant sont ainsi nées.

A présent, il paraît donc clair que la maltraitance a existé de tous temps, mais les mentalités, elles ont changé. Ce que nous considérons aujourd'hui comme de la maltraitance ne l'était pas au 17ème siècle puisque notre rapport à l'enfant n'était pas le même. C'est l'évolution de la condition de l'enfant qui à fait apparaître la problématique "maltraitance infantile".

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Des "sévices à l'encontre des enfants" à la "maltraitance infantile"

Si par le passé la société ne se préoccupait pas du problème de la maltraitance chez les enfants, c'est que la priorité était mise sur le problème de la mortalité infantile due aux multiples maladies et au manque d'hygiène, qui faisait d'énormes ravages; ainsi, le problème des sévices envers les enfants était relégué au second plan par rapport à la survie des plus faibles.

A la même époque, la brutalitée était considérée comme une méthode d'éducation efficace, nécessaire au maintien de la discipline et favorable au développement de l'enfant. De tels préceptes éducatifs étaient aussi bien appliqués au sein des familles que dans l'enseignement. La frontière entre la correction "méritée" et l'acte réel de violence était alors très difficile à distinguer. Par ailleurs, les sacrifices, l'infanticide, les mutilations, l'abandon et les travaux forcés n'étaient que quelques-uns des mauvais traitements subis par les enfants.

C'est en 1860 en France qu'apparaît pour la première fois la notion de "sévices à l'encontre des enfants". C'est le Professeur de médecine légale Ambroise Tardieu qui fait à Paris la première description clinique des lésions présentées par des enfants maltraités. Il est également le premier à établir le concept clinique, social et psychologique d'un enfant victime de maltraitance. C'est à la suite de cette "découverte" que naissent les premières lois répressives françaises, telles que celle relative à la déchéance parentale en 1889, ou encore celle de 1898 introduisant des sanctions pénales contre les parents maltraitants.

Parallèlement, durant l'époque victorienne en Angleterre la notion de "cruauté envers les enfants" est déjà présente. La première organisation formelle engagée dans la lutte contre la cruauté envers les enfants apparait en 1874. Beaucoup d'exemples de ce que les victoriens appelaient "cruauté envers les enfants" correspond à ce que nous appelons aujourd'hui violences sexuelles sur les enfants. Cependant, dans l'esprit victorien cette cruauté est uniquement une affaire de gens pauvres battant leurs enfants, ils ne font d'ailleurs pas de liens entra la cruauté envers les enfants et les agressions sexuelles; cette notion disparaitra en 1910.

Toujours en 1874, on fonde la première crèche à Genève; celle-ci est chargée d'accueillir les enfants des classes populaires qui sont des enfants négligés par leurs mère parce qu'elle doit travailler. Le travail de la femme peut donc aboutir à la négligence, une maltraitance en soi.

Il faudra attendre 1961 pour que naisse "la maltraitance infantile" à Denver aux Etats-Unis. C'est Henry Kempe, professeur en pédiatrie qui attira l'attention sur les blessures infligées de façon répétée à de petits enfants. Puis, avec la collaboration d'autres médecins il publia un article intitulé "Le syndrome de l'enfant battu"; un nouveau "fléau" qui englobe la cruauté envers les enfants. Le syndrome de l'enfants battu s'appliqua d'abord aux bébés de 3 ans et moins, puis grace aux photographies d'innocents battus on reconnu rapidement que les bébés n'étaient pas les seules victimes. Une foule de programmes furent alors crées dans le monde anglo-saxon et l'Europe.

Dans les années 60, la maltraitance et la négligence représentaient une atteinte et une négligence physique, le sexe n'étant qu'un aspect périphérique ou absent. Ce furent les militantes féministes qui les associèrent publiquement en 1971. Ainsi, dès que l'inceste et et la maltraitance furent conjoints, l'inceste ne fut plus uniquement définit par l'acte sexuel; les caresses et les attouchements en firent tout autant partie. Le concepte de maltraitance infantile intègre également les violences sexuelles entre frères et soeurs, Les jeux sexuels entre enfants, et encore plus si la différence d'âge est significative entre eux, ont alors été de plus en plus considérés comme une maltraitance infantile, et donc d'inceste.

Dès 1976, le mouvement contre la maltraitance infantile s'organise internationnalement grâce à des revues et des sociétés internationnales; des réunions sont ainsi organisées autour du monde. Cependant, la maltraitance infantile n'est pas perçue dans tous les pays comme un danger. Cette tendance à l'expension connu parfois des échecs, des étrangers pensant qu'il s'agissait d'un problème américain, puisque les genre humain "maltraitance infantile", "enfant maltraité"et "bourreau d'enfants" fut façonné par les Etats-Unis puis exporté.

En ce qui concerne la Suisse, le problème de l'enfant maltraité ne s'est soulevé que tardivement dans les années 70, en Suisse romande par le professeur P.Ferrier à Genève, par le pédopsychiatre O.Masson à Lausanne et dans le service pédiatrique de Zurich par V.Ficher. Ainsi, progressivement des recherches se sont effectuées et des institutions spécialisées se sont ouvertes. C'est en 1982 qu'est fondée l'Association Suisse de Protection de l'Enfant (ASPE).

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La notion de maltraitance infantile

Comme nous l'avons déjà dit précédement, la maltraitance n'a pas toujours pu être définie de manière précise et encore aujourd'hui la notion de de maltraitance est difficile à appréhender à cause de l'imprécision des critères à adopter. En effet, chaque société choisi ses critères pour les actes qui constituraient des violences envers les enfants. Une définition universelle est donc difficile à donner et il faudrait la réviser au fur et à mesure de l'évolution de notre compréhension du phénomène (pour la définition cf "un mal qui a toujours existé").

Nous pouvon néanmoins dresser quatre catégories de mauvais traitements actuellement reconnus(d'apres Henriot, 1996):

1)La maltraitance physique

2)Les négligences et carences d'apports physiques, psychologiques et socio-affectifs

3)Les mauvais traitements psychologiques

4)Les abus sexuels

La maltraitance physique est la forme la plus directe et la plus visible des mauvais traitements. La violence corporelle est une action néfaste pour l'enfant , pouvant causer de multiples lésions internes et/ou blessures externes pouvant même provoquer la mort. Les sévices sont multiples et varient selon le degré de gravité: coups donés avec la main, les poings ou un instrument, mais aussi immersions dans l'eau glacée ou brûlante, étouffements, contorsions des membres, etc. Il résulte de ces sévices diverses lésions physiques, voire parfois des lésions vicérales comme les éclatements d'organes.

les négligences et carences d'apports physiques, psychologiques et socio-affectifs concernent ce que l'on appelle plus couramment les "sévices par omissions". ce sont la plupart du temps des privations partielles ou totales de soins ou de nourriture, ou une mise à l'écart de l'enfant. Les besoins tant physiologiques qu'affectifs de ce dernier ne sont donc pas satisfaits. On distingue plusieurs types de négligences: la carence alimentaire, la négligence relative à l'habillement, la négligence dans l'hygiène, ou encore la négligence relative à la sécurité de l'enfant.

Les mauvais traitements psychologiques qualifient les actes de cruauté mentale, qui selon Manciaux (1993)consistent en "l'exposition répétée d'un enfants à des situations dont l'impact émotionnel dépasse ses capacités d'intégration psychologique". Il s'agit en général de dénigrement systématique, de dévalorisation, d'humiliations verbales ou non verbale, d'interdits accompagnés de menaces, provoquant chez l'enfant la peur, la culpabilité ou la crainte d'être abandonné.

Les abus sexuels peuvent se définir comme "tout acte sexuel imposé à un enfant dont le développement tant affectif que cognitif ne lui permet pas d'en comprendre pleinement la nature et qui est incapable de donner un consentement éclairé aux gestes posés qui, en général, vont violer tous les tabous et les interdits sociaux" (Dubé et St Jules 1887). Les attouchements sexuels peuvent prendre diverses formes : attouchements, inceste, viol, pédophilie, prostitution enfantine, voyeurisme, attentas à la pudeur, etc.

Il reste tout de même à préciser que les enfants victimes subissent généralement des formes associées de ces différents types de mauvais traitements.

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Les acteurs de la lutte contre la maltraitance

Comme évoqué ci-dessus, les enfants sont considérés comme des sujets de droit, aujourd'hui. Cependant, les enfants ne peuvent pas défendre eux-mêmes leurs droits. Des adultes veillent à le faire à leur place, pour leur bien. Les différents acteurs, avec différentes légitimités, interviennent aujourd’hui pour protéger les enfants contre la maltraitance.


L’enfant et sa protection est un enjeu entre plusieurs acteurs. Pour les enfants d’âge préscolaire, ce sont en premier lieu les parents qui assurent la protection de leurs enfants. Cependant, selon la situation, les parents, le personnel des crèches, les pédiatres, le Service de santé, la Protection de la jeunesse, le pouvoir judiciaire peuvent chercher à intervenir afin de protéger un enfant.

A Genève, le Prof. Ferrier a été un pionnier en ce qui concerne le travail de protection de l’enfant, dans les années 1970. Dans son activité à l’hôpital cantonal, il s’est inspiré des démarches entreprises aux Etats-Unis afin de lutter contre la maltraitance des enfants. Ce problème, qui était encore méconnu, tant il semblait impensable que les parents, où les personnes qui ont en charge des enfants, puissent les maltraiter.

Ce sont les médecins qui se sont intéressés en premier à cette problématique. Les traces visibles laissées par la maltraitance physique sur les corps des enfants ont attiré leur attention. Par l’action du corps médical, la maltraitance devient un domaine prioritaire de santé publique. En 1999, l’OMS reprend pour la première fois la problématique de la maltraitance.

D'autres acteurs s'engagent également dans la lutte contre la maltraitance, comme les crèches. Aujourd'hui, de plus en plus d'enfants fréquentent une crèche. Les institutions de prise en charge des enfants d'âge préscolaire ont changé considérablement depuis leur création. Au départ, à partir de 1874, les crèches accueillent les enfants des classes populaires, enfants négligés par leur mère parce qu’elle doit travailler. Progressivement, l’augmentation du travail des femmes, conjuguée avec une démarche de plus en plus pédagogique des institutions de la petite enfance amènent à une « démocratisation » de ces institutions qui ne s’adressent plus uniquement aux classes populaires mais aux enfants de toutes les classes sociales. Les différences entre les classes sociales dans les pratiques éducatives se retrouvent ainsi à l’intérieur des crèches, de plus en plus, à partir des années 1960. « L’amélioration de la qualité de l’encadrement au sein des institutions pour les tout-petits s’est accompagnée de mesures destinées à dépister et prévenir les handicaps émotionnels, relationnels et affectifs ». La surveillance et le dépistage incombent au Service santé de la jeunesse dès 1968, tandis que le service de guidance infantile offre un dépistage des troubles de comportement dès 1975 (Renevey Fry, 2001)

Dans la lutte contre la maltraitance, chaque acteur a sa légitimité propre, ses visées propres, et ainsi, l’enfant peut se trouver l’enjeu d’une question sociale qui le dépasse. Qui est légitimé d’évaluer s’il est maltraité ? Qui définit l’intervention à mettre en place ? Comment la prise en charge de la maltraitance s’institutionnalise-t-elle et quelles en sont les conséquences ?


3. Problématique précise choisie et ses limites

Le Service de Santé de la Jeunesse de Genève vient d’édicter un protocole Enfants en danger et institutions de la petite enfance en novembre 2005. Ce protocole suit une première affichette, distribuée en 1998, est constitue le premier document adressé aux institutions de la petite enfance afin de les sensibiliser à la lutte contre la maltraitance et à leur rôle. Il a été accompagné par un séminaire destiné aux responsables des institutions de la petite enfance intitulée Quel partenariat face aux situations de maltraitance, proposée en date du 17 mai 2006. Ces démarches constituent des éléments d’une institutionnalisation de la lutte contre la maltraitance et il nous a semblé intéressant de d’en proposer une esquisse d’analyse.

4. Structure de l’article

Revue de littérature

Renevey Fry, Chantal (dir.) (2001) : Pâtamodlé, l’éducation des plus petits, 1815 à 1980, Service de la recherche en éducation et Musée d’éthnographie, Genève.

Ce livre retrace l’histoire des crèches et de l’école enfantine, de différents acteurs sociaux et des idées concernant l’éducation des tous petits en trois parties. Premièrement, l’ouvrage s’intéresse à l’influence des médecins pendant la période de 1815 à 1950, à celle des pédagogues pendant la même période, et à celle des psychologues depuis 1950 à 1980.

La relation entre une mère et son enfant n’est pas dans une bulle isolée, à son départ. Elle est influencée fortement par la société dans son ensemble et par ses différents acteurs. De l’injonction de ne pas allaiter elle-même son enfant faite par le médecin de famille en 1871 pour les femmes de la bourgeoisie (p. 29) à la lutte d’autres médecins contre la mise en nourrice pendant la même période (p. 44), de l’injonction des psychologues demandant un dévouement complet (p. 172) en 1951 en passant par celle d’être « suffisamment bonne » (p. 182) jusqu’à la demande de laisser de la place au père (p. 233) en 1971, la relation entre une mère et son enfant se trouve face aux experts, à leurs demandes parfois contradictoires, changeant dans le temps, et aux prises d’enjeux sociétaux dépassant la seule question de l’éducation des petits enfants.

Au départ, à partir de 1874, les crèches accueillent les enfants des classes populaires, enfants négligés par leur mère parce qu’elle doit travailler. Progressivement, l’augmentation du travail des femmes, conjuguée avec une démarche de plus en plus pédagogique des institutions de la petite enfance amènent à une « démocratisation » de ces institutions qui ne s’adressent plus uniquement aux classes populaires mais aux enfants de toutes les classes sociales. Les différences entre les classes sociales dans les pratiques éducatives se retrouvent ainsi à l’intérieur des crèches, de plus en plus, à partir des années 1960. « L’amélioration de la qualité de l’encadrement au sein des institutions pour les tout-petits s’est accompagnée de mesures destinées à dépister et prévenir les handicaps émotionnels, relationnels et affectifs ». La surveillance et le dépistage incombent au Service santé de la jeunesse dès 1968, tandis que le service de guidance infantile offre un dépistage des troubles de comportement dès 1975.

Documents d'archive

Protocole du Service santé de la jeunesse, Genève, version révisée avril 2006 Enfants en danger et institutions de la petite enfance ; protocole pour l’évaluation et le signalement des situations

Ce protocole distingue les situations suivantes : « Un enfant en risque est un enfant qui connaît des conditions d’existence risquant de compromettre sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, sans pour autant être maltraité. Un enfant maltraité est un enfant victime de violences physiques, d’abus sexuels, de violences psychologiques, de négligences lourdes, ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique. Un enfant en danger est un enfant qui est soit en risque, soit maltraité. »

Le document prévoit que les institutions informent le SSJ de toute suspicion d’une situation d’enfant en danger, c’est-à-dire tant en ce qui concerne les enfants en risque ou les enfants maltraités, et que « l’évaluation initiale est faite par l’infirmière et le médecin du SSJ. » Le SSJ évalue le risque, fixe des objectifs, oriente les parents vers des services de prise en charge. En absence de collaboration de la part des parents, le SSJ signale la situation à la Protection de la jeunesse. En cas de maltraitance « suspecte ou avérée », la situation peut être dénoncée à la justice civile ou pénale.

Compte rendu du séminaire SSJ du 17.5.2006

A Genève, le Prof. Ferrier a été un pionnier en ce qui concerne le travail de protection de l’enfant, dans les années 1970. Dans son activité à l’hôpital cantonal, il s’est inspiré des démarches entreprises aux Etats-Unis afin de lutter contre la maltraitance des enfants. Ce problème, qui était encore méconnu, tant il semblait impensable que les parents, où les personnes qui ont en charge des enfants, puissent les maltraiter.

Ce sont les médecins qui se sont intéressés en premier à cette problématique. Les traces visibles laissées par la maltraitance physique sur les corps des enfants ont attiré leur attention. Par l’action du corps médical, la maltraitance devient un domaine prioritaire de santé publique. En 1999, l’OMS reprend pour la première fois la problématique de la maltraitance.

La réponse donnée à Genève consiste principalement à proposer un suivi médico-social pour apporter un soutien à la parentalité. Comparé avec le Canada, par exemple, les cas de maltraitance signalé sont nettement moindre à Genève et les chiffres montrent que le SSJ ne peut en aucun cas être qualifié d’activiste.

Afin d’augmenter la prise en compte des cas de maltraitance dans la petite enfance, il s’agit d’améliorer la collaboration entre les différents partenaires. Le SSJ ne veut en aucun cas être un agent de contrôle social et ne travaille pas avec des grilles de détection. Il ne s’agit pas de faire des visites systématiques ou de chercher à dépister de façon active, mais de rester à l’écoute et attentif.


L’évolution chiffrée selon les indications communiquées lors du séminaire SSJ du 17.5.2006

Tandis qu’en 1992, le SSJ dénonce 12 cas de maltraitance au service de la protection de la jeunesse, en 2004 il signale 152 cas. Cette augmentation très importante concerne surtout l’école primaire, seulement 2 cas concerne la petite enfance.

En 2003/2004, la répartition des situations se fait comme suit :

Enfants en risque 777 cas 64 % Suspicion de maltraitance 312 cas 25.7 % Maltraitance 125 cas 10.2 % ________ ______

Enfants en danger 1214 cas 100 %

Méthode

Afin de mieux comprendre la place et le rôle du protocole du SSJ, nous allons nous appuyer sur une revue de la littérature concernant la maltraitance des enfants d'âge préscolaire. Ensuite, nous proposerons une présentation de ce protocole, et de la catégorisation des différentes formes de "situations de danger" définies dans ce protocole. Cette présentation sera complétée par les informations obtenues lors d'un séminaire du service SSJ du 17.5.2006. Ce séminaire s'adressait à tous les responsables des institutions de la petite enfance du cantn de Genève et cherchait à expliquer le protocole en question, et de soutenir la collaboration accrue avec les crèches.

Nous cherchons surtout à faire des liens entre les définitions de la négligence et des situations de "risque". Il nous semble intéressant de situer les critères d'intervention d'un service comme le SSJ, dans les situations où l'enfant est maltraité et celles où il ne l'est pas, mais une intervention s'impose quand-même.

Analyse

Lors de la création des crèches, à partir de 1874, les crèches sont destinées aux enfants des classes populaires, afin d’éviter qu’ils sont laissés à eux-mêmes, négligés par leurs parents. Progressivement, suite aux changements socio-économiques concernant le travail des femmes conjugués avec une démarche de plus en plus pédagogique des institutions de la petite enfance, les crèches accueillent aujourd’hui les enfants de toutes les classes sociales. Elles ne sont plus pensées spécifiquement pour lutter contre la négligence, d’autres institutions ont pris la relève.

Un enfant en situation en risque, selon la définition du SSJ de 2006, n’est pas maltraité. Sa famille se trouve dans une situation socio-économique difficile, est au chômage, habite dans un appartement trop petit et insalubre, doit faire face à des maladies, néglige l’enfant en ce qui concerne l’habillement, l’hygiène, et laisse l’enfant livré à lui-même. L’encadrement des crèches n’est plus considéré comme suffisant pour ces enfants-là, aujourd’hui. Il y a besoin de mettre en place un suivi médico-pédagogique, une aide à la parentalité. Même dans les situations d’enfants en risque, enfants qui selon la définition ne sont pas maltraités, les parents, afin de démontrer leur bonne volonté et le fait qu’ils ne sont pas maltraitants ou qu’ils sont prêts à changer se doivent d’accepter l’intervention des pédo-psychiatres, des médecins, des spécialistes de l’enfance.

Un problème social et éthique devient ainsi un problème de santé, donc médical. Le pouvoir judiciaire est ainsi écarté et lui sont transmis que les cas les plus graves. La dénonciation à la justice est utilisée comme « levier pour l’adhésion des parents » (Séminaire SSJ du 17.5.2006). Cependant, le pouvoir judiciaire également a de plus en plus à se prononcer sur des affaires de famille. Lors de la conférence de presse annuelle du pouvoir judiciaire, le procureur général indique qu’entre 2004 et 2005, « les affaires dans lesquelles des parents sont accusés d’avoir violé leur devoir d’assistance ou d’éducation et d’avoir ainsi mis en danger le développement physique ou psychique de leur enfant ont augmenté de 119 % en un an ! » (Tribune de Genève, 13.4.2006). En ce qui concerne les cas dénoncés par le service de la Protection de la jeunesse, le pouvoir judiciaire classe 80 % des cas, parce qu’il serait signalé trop tardivement pour encore pouvoir assurer une instruction judiciaire adéquate (séminaire SSJ du 17.5.2006).

Aujourd’hui, les enfants sont considéré comme un enjeu sociétal et ne concernent pas uniquement leur famille. De leur devenir dépend la société à venir. Les parents, les professionnels des crèches, les médecins, les pédo-psychiatres, les différents services de l’enfance, tels que le SSJ ou la PDJ, les organes judiciaires, se relaient, se complètent, se concurrencent, se disputent l’enfant et son devenir. L’évaluation qu’un enfant est maltraité incombe en premier lieu au Service Santé et à son corps médical. A ce stade du « jugement », les parents n’ont pas droit à un avocat, à un soutien, à une procédure qui leur reconnaît des droits. De façon analogue, c’est également le corps médical du SSJ qui détermine si un enfant est considéré en risque. La situation socio-économique d’une partie de la population passe ainsi d’un phénomène social à une tare familiale.

Dans une communication personnelle, le Dr. Bouvier du SSJ admet qu’il peut avoir un biais dans la détection des cas de maltraitance qui attirent l’attention des professionnels engagés dans la lutte contre la maltraitance plus vers certaines familles que vers d’autres, et que les familles de niveau socio-économique défavorisé sont surreprésentées. Le SSJ cherche à corriger ce biais et ne fait pas de dépistage systématique. Le Dr. Bouvier considère cependant également que certaines formes de maltraitance peuvent être effectivement plus fréquentes dans une situation socio-économique difficile.

Conclusion

Dans cet article, il ne s’agit pas de suggérer qu’il ne faille pas lutter contre la maltraitance, mais plutôt à esquisser une réflexion concernant certains des effets non voulus d’une telle lutte. L’éducation est une affaire de valeurs, valeurs d’une société et il semble important de ne pas chercher à opposer les valeurs d’un groupe social contre un autre, sous couvert de la lutte contre la maltraitance.

Les enfants en risque ne sont pas maltraités, comme le SSJ le définit lui-même. Les situations socio-économiques d’une part de la population sont des problématiques sociales à résoudre, et pas uniquement des difficultés personnelles, familiales. L’argent investi à lutter pour un suivi thérapeutique, médical, social des enfants en situation en risque pourrait également être utilisé à offrir des postes de travail à des chômeurs, des appartements plus grands aux familles avec des enfants, à des allocations de famille plus généreuses … L’institutionnalisation de la lutte contre la maltraitance constitue bien une des réponses socialement construites à une problématique donnée.



Bibliographie

  • F.Schultheis, A.Frauenfelder & C.Delay (avril 2005), La maltraitance envers les enfants: entre consensus moral, fausses évidences et enjeux sociaux ignorés, Université de Genève, Faculté des sciences économiques et sociales, Département de sociologie.
  • Hacking, I.(2001), La fabrication d'un genre: le cas de l'enfance maltraitée, in Hacking I, Entre science et réalité. La construction sociale de quoi?. Paris, Ed. La Découverte, pp.171-220
  • Henriot, M.V. (1996). Une approche interdisciplinaire de l'intervention das le domaine de l'enfance maltraitée: le groupe de travail "enfance maltraitées de Genève". Genève: [s.n]