Commencer par le retour : conception des EIAH en fonction du feedback des utilisateurs
Marta Dados-Ribeiro - Volée Aegir
Résumé
Cet article met en relation trois vidéos traitant de la recherche orientée par la conception, de l'appropriation et l'adaptation des EIAH et de l'analyse de traces, dans la perspective du développement d'environnements d'apprentissage répondant réellement aux besoins des utilisateurs.
Introduction
Un Environnement Informatique pour l'Apprentissage Humain (EIAH) est « la conjonction d'une intention didactique ou pédagogique et d'un environnement informatique » (Tchounikine & Tricot, 2010, p. 175) ; sa conception combine donc par nécessité des questions qui relèvent de l'informatique et des sciences cognitives. En effet, cette notion de croisement de plusieurs éléments est souvent présente dans la discussion des EIAH : leur conception invite à la rencontre des utilisateurs, des ingénieurs et des chercheurs, intègre les connaissances de différentes disciplines, et peut ainsi prendre sa source dans différents points d'entrée. Alors qu’il n'existe pas un processus normalisé pour la conception de ces environnements (Tchounikine & Tricot, 2010, p.176), cet article propose un bref aperçu de certains éléments qui sont généralement présents lorsque les besoins et les actions des utilisateurs sont un élément moteur de la conception.
Développement
Conception centrée sur l’utilisateur ou sur la technologie
La conception d’un environnement d’apprentissage peut être fondée sur différents points d'entrée, à savoir la technologie et l'ingénierie, les théories cognitives, l'analyse des connaissances relatives au domaine lui-même, les besoins exprimés par l'enseignant, et les résultats empiriques dans le domaine de l'apprentissage humain, parmi d'autres (Tchounikine & Tricot, 2010, pp. 176-177). Cependant, toute démarche centrée sur la technologie elle-même risque de ne pas tenir compte de l’utilisateur, mais « postule que les apprenants et les enseignants s'adaptent aux exigences des nouvelles technologies » (Mayer, 2010, p. 196). Mayer privilégie plutôt une démarche centrée sur l'apprenant qui se concentrerait en premier lieu sur les mécanismes de l'apprentissage, la technologie étant considérée comme un support et non pas comme un point central du processus (p. 195). C'est dans cette optique qu'il propose plusieurs principes de conception pédagogique dans l'enseignement par la technologie, qui ont pour objet les capacités cognitives des apprenants, et visent à réduire toute charge cognitive inutile, tout en contrôlant la charge essentielle et en favorisant un apprentissage transformatif (pp. 204-207).
Conception comme un processus cyclique
C'est aussi dans cette perspective de concevoir des systèmes reflétant véritablement les besoins des utilisateurs que Sanchez (2018) présente le design pédagogique comme une sorte de processus itératif, mis en mouvement par une approche méthodologique dite de recherche orientée par la conception. Comme l'observe Caron (2018), même s'il est possible de concevoir un environnement d’apprentissage et de recueillir ensuite les feedbacks des utilisateurs, cette approche risque de fournir tardivement des informations essentielles sur leurs besoins. Ce n'est qu'à la fin d'une activité d'apprentissage qu'il est possible d'évaluer l'environnement en fonction soit des opinions des utilisateurs (comme c'est le cas dans une approche ethnographique), soit de leurs comportements réels (comme c'est le cas de l'analytique d'apprentissage, observable par la collecte de traces). La notion de recherche orientée par la conception, en revanche, propose un modèle où les utilisateurs sont amenés à évaluer un prototype de système, qui a lui-même été conçu sur la base de certaines hypothèses scientifiquement fondées. Au fur et à mesure que le prototype est testé en conditions écologiques puis modifié et amélioré en fonction des retours des utilisateurs, les hypothèses scientifiques sont également révisées, entrant ainsi dans une dynamique de coévolution, où la recherche nourrit la conception et vice versa. Pareillement, comme le fait remarquer Michel (2018), en utilisant un système d’apprentissage particulier, l'utilisateur peut potentiellement modifier le contexte dans lequel l'apprentissage a lieu, influencer les agents humains impliqués et changer l'EIAH proprement dit. Là encore, on retrouve l'idée d'une coévolution des différents éléments de la conception d'un EIAH, dans un processus dynamique au cœur duquel se trouvent les retours d'information fournis par les utilisateurs.
De même, Tchounikine & Tricot (2010) observent qu'une partie intégrante de la conception d'un environnement d’apprentissage consiste à le raffiner et le faire évoluer, c'est-à-dire « réaliser les modifications visant à lui faire retrouver sa spécification telle qu'elle a été définie, et/ou en faisant évoluer cette spécification au vu des expérimentations qui précèdent la diffusion, et/ou en faisant évoluer cette spécification au vu des analyses de l'utilisation écologique de l'EIAH ou de son intégration dans les pratiques » (p. 176). C'est particulièrement cette troisième approche qui est alimentée par l'observation des actions des utilisateurs, où ces derniers modifient et adaptent l'EIAH à leurs besoins au fur et à mesure qu'ils interagissent avec lui. Michel (2018) propose en effet un cadre pour l'évaluation d'un EIAH où un système dit "adapté, adaptable et adaptatif" n’est pas seulement censé correspondre aux besoins des utilisateurs, mais aussi évoluer avec eux, tout en subissant des ajustements nécessaires et en permettant aux utilisateurs de se l'approprier efficacement pour un usage quotidien dans leur contexte authentique.
Conception comme une démarche collaborative
Finalement, Sanchez (2018) et Tchounikine & Tricot (2010) soulignent la collaboration entre les différents agents impliqués comme un élément essentiel d’une conception pédagogique orientée sur les besoins des utilisateurs. Tchounikine & Tricot proposent notamment la co-construction d'un EIAH par les enseignants, les chercheurs et les ingénieurs comme l'un des principaux points de départ du processus de conception (p. 177). Sanchez place la collaboration entre praticiens et chercheurs au cœur de la recherche orientée par la conception, tout en soulignant les difficultés pratiques inhérentes à une telle approche praxéologique, mais aussi son intérêt pour concevoir des environnements offrant des solutions innovantes, alimentées par les usages réels dans des contextes authentiques et par une pratique justifiée par les connaissances.
Conclusion
Le feedback des utilisateurs est un élément crucial de la conception de l'EIAH. Il s'agit d'un processus cyclique et collaboratif, où les perspectives des chercheurs et des utilisateurs se rencontrent, nourrissant à la fois la pratique et la recherche. La conception d'environnements d'apprentissage centrés sur les utilisateurs permet de mettre en œuvre des principes pédagogiques scientifiquement fondés, et l'évaluation d'un EIAH peut reposer sur une analyse de l’utilisation réelle du système et de son adaptation dans des contextes authentiques.
Bibliographie
- ATIEF, Caron, T. (2018, décembre 18). Analyse de Traces : Objectifs de traçage [Vidéo en ligne]. Accès https://www.youtube.com/watch?v=aQMnhcq4HBM&feature=emb_title
- ATIEF, Michel, C. (2018, décembre 15). Adaptation : Analyser l'appropriation pour analyser l'adaptation [Vidéo en ligne]. Accès https://www.youtube.com/watch?v=9soVe48UClo&feature=emb_title
- ATIEF, Sanchez, E. (2018, décembre 14). Méthodes de conception : recherche orientée par la conception [Vidéo en ligne]. Accès https://www.youtube.com/watch?v=iiN3Axy5a9c&feature=emb_title
- Mayer, R. E. (2010). Apprentissage et technologie. In Dumont, H., Istance, D. et Benavides, F. (Dir.), Comment apprend-on ? : La recherche au service de la pratique (pp. 191-211). Paris : Éditions OCDE.
- Tchounikine, P. & Tricot, A. (2010). Environnements informatiques et apprentissages humains, pp. 167-200.