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==Introduction==
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Version du 6 décembre 2021 à 09:39

Page rédigée dans le cadre du cours Conduite de la recherche (2021-2022) par Lylia/Yong Xin L., Marie G. et Tiffany N.

Introduction

Lors d’un travail collaboratif, de nombreux points de vue se rencontrent et les acteurs impliqués ont parfois des définitions ou des représentations différentes de notions-clés dans le développement d’un produit, d’un projet ou lors d’une recherche. L'objet frontière permet une théorisation des matériaux de terrain dans le but de coopérer et d’articuler différents mondes sociaux autour d’un objectif commun. À travers la négociation d’un accord entre les différents acteurs, chacun va essayer de maintenir une cohérence sans pour autant uniformiser. Les groupes sociaux doivent disposer d’une structure minimale de connaissances autour de l’objet négocié, même si celui-ci peut finir par prendre des formes diverses (Trompette, P. et Vinck, D., 2009). Pour la rédaction de ce lexique, nous allons nous intéresser à son origine, au concept de frontière et tenterons de définir cette notion au regard de la littérature .

Définitions

La frontière

Avant de définir l’objet frontière, il convient de comprendre ce qu’est une frontière dans le cadre d'une collaboration autour d’un projet de développement ou de recherche par exemple. Dans ce type de projet, des frontières apparaissent notamment au niveau des connaissances de chacun des acteurs ou groupes d’acteurs concernés. D’après Carlile (2004), les connaissances ont trois propriétés qui créent une frontière plus ou moins importante et plus ou moins difficile à franchir : la différence, la dépendance et la nouveauté. La différence de connaissances peut se situer aussi bien au niveau de la quantité, comme entre un novice et un expert, que de la qualité ou du type de connaissances accumulées lors de spécialisation. La dépendance apparaît lorsque deux personnes ont besoin des connaissances de l’une et de l’autre pour atteindre l’objectif fixé. Il faut alors se coordonner, c'est-à-dire gérer cette dépendance pour les tâches et les ressources. Enfin, et c’est la propriété la plus difficile à gérer dans ce genre de projet, la nouveauté des connaissances présentées doit être prise en compte. Elle est pourtant souvent minimisée car elle demande d’évaluer ce que les autres savent et de s’adapter. Souvent, lors de l'évaluation, les connaissances sont jugées peu pertinentes ou déjà connues ce qui limite le partage. Lorsque ces différences, la dépendance ou les nouveautés augmentent, les efforts nécessaires pour “se mettre à niveau” augmentent également.

Pour dépasser cette frontière, qui est représentée par Carlile (2004) comme un vecteur qui s’élargit avec l’augmentation de la nouveauté dans les connaissances (Fig.1), les acteurs doivent mettre en place différents processus.

Dans le bas de cette pyramide, la nouveauté est faible : la dépendance et les différences sont connues de tous. Pour passer la frontière à ce stade, il faut mettre en place un transfert de connaissances (aspect syntaxique), c'est-à-dire créer un échange de définitions sur des notions inconnues pour d’autres acteurs. Il y a une création d’un lexique commun mais cela n’est pas toujours suffisant. Avec l’augmentation de la nouveauté, les dépendances et différences sont moins visibles, passer la frontière demande donc une traduction des connaissances (aspect sémantique) puis une transformation des connaissances (aspect pragmatique). Lors de la traduction, les concepts parfois connus de tous peuvent avoir des définitions différentes. Ils doivent donc être traduits. Cela peut se faire grâce à des brokers ou des traducteurs ou par la participation à des activités similaires. La transformation des connaissances apparaît quant à elle, lorsque la création d’un sens commun devient difficile voire impossible car les intérêts des uns et des autres sont différents dans le projet. Effectuer un changement de représentation a donc un coût pour la personne (personnel ou professionnel) et peut avoir des conséquences négatives dans un autre domaine. Il faut donc négocier pour transformer le savoir.

L’objet frontière

L’objet frontière est un moyen efficace et concret de représenter les différents intérêts, il facilite les négociations et le passage de la frontière car il permet des transferts, traductions ou transformations des savoirs considérés. Il a été théorisé et développé par plusieurs chercheurs qui le définissent comme suit.

Dans le cadre du développement du musée de recherche d'histoire naturelle de l’article de Star et Griesemer (1989), l’objet frontière est créé lorsque plusieurs acteurs : théoriciens, chercheurs, amateurs collaborent pour produire une représentation de la nature. Cette frontière est reflétée par les différents objets de discussion qui sont à la fois concrets et abstraits, spécifiques et généraux, conventionnels et personnalisés.

Star et Griesemer (1989) s’intéressent à la façon dont les scientifiques traduisent les termes des différents mondes sociaux pour créer un objet qui contient des éléments qui les rejoignent. Une des caractéristiques requises est que les différents mondes sociaux partagent un but commun qui doit être satisfaisant pour que chacun souhaite travailler dans le monde de l’autre. Dans le cas du musée, les différents mondes partagent le but de préserver la nature.

La négociation des objets est source de conflits et a besoin d’être constamment négociée. Lorsque les mondes arrivent à un accord, leurs différents points de vue et perceptions se rejoignent par une représentation commune. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il y ait un consensus, mais montre une preuve de l'acheminement des étapes de toutes les négociations. La création d’un objet frontière est donc, d’après les auteurs, un moyen de satisfaire ces potentielles contradictions entre les différents mondes sociaux. Cette proposition de définition se veut suggestive plutôt que conclusive (Star et Griesemer, 1989).

L’objet frontière, qui n’est pas toujours un objet matériel et concret mais peut aussi être un concept ou une théorie, est donc un support de collaboration qui permet de “se mettre d’accord” sur les différents savoirs impliqués, d’apprendre leurs conséquences et de transformer ses connaissances de manière adéquate (Carlile, 2004). Il faut néanmoins être vigilant car comme le relève Star (2010), tout pourrait être considéré comme objet frontière si on prend en compte l'ambiguïté et les circonstances de l’objet. L’objet frontière est difficile à définir, mais en faisant ressortir ce qui n’est pas un objet frontière, nous pouvons nous rapprocher au mieux de la définition de celui-ci. Ce qui est objet frontière dans un projet collaboratif peut ne pas l’être dans un autre et toutes les circonstances et les acteurs doivent être pris en compte pour trouver les objets frontière du projet.

Exemples d’utilisation

Dans un contexte de conception collaborative se créent des interactions qui prennent la forme de négociations, qu'elles soient sémantiques ou thématiques. C’est à travers celles-ci que les acteurs construisent ensemble des objets communs. Le séminaire d’analyse des recherches collaboratives d’EducTice est un séminaire de recherche qui a lieu tous les deux mois sur l’analyse de recherches collaboratives et qui a pour objectif la co-construction d’outils au niveau théorie et méthodologie, et ce à partir d’analyse de pratiques et de traces de celles-ci. Les exemples suivants sont deux cas analysés dans le cadre d’EducTice, et traitent de ceux-ci avec le concept de l’objet frontière à travers l’étude des interactions entre les acteurs.

Projet Pédagogies immersives

Le projet Pédagogies Immersives met en scène l’usage de la réalité virtuelle pour l’apprentissage au collège. En d’autres termes, il s’agit d’un “espace immersif” dans lequel les élèves incarnent un avatar se déplaçant dans un environnement virtuel. Ce projet avait notamment pour but d’analyser les plus-values pédagogiques de cet outil. Les enjeux de ce projet ont été discutés dans une rencontre préliminaire entre les membres des communautés concernées.

L’objet frontière de ce projet est l’environnement numérique, c’est-à-dire le collège virtuel cité plus haut. Il se forme à travers les interactions entre les enseignants qui ont testé l’outil, des membres de l’établissement ou des partenaires externes, ainsi que les chercheurs impliqués. En effet, dans la rencontre analysée et à la suite d’une injonction d’un chercheur, les enseignants partagent leur expérience d’utilisation et les difficultés rencontrées. L’objet frontière possède plusieurs facettes. Ici, le collège virtuel peut être analysé en tant qu’outil informatique, c’est-à-dire en visant l’aspect technique de l’artefact, ou d’un outil d’apprentissage, c’est-à-dire sous l’angle de l’aspect pédagogique. Les échanges entre les acteurs permettent de délimiter les frontières de cet objet de collège virtuel. Dans une séquence d’interactions, un phénomène de transfert émerge alors que la discussion se concentre sur les obstacles techniques; les acteurs essaient alors de parvenir à un consensus sur cet aspect précis en apportant une compréhension complète de la problématique et des pistes possibles en termes de solutions; dans cette séquence, la frontière est donc délimitée aux aspects techniques. (Les acteurs permettant de préciser la dimension syntaxique de l’objet sont appelés broker. cf. Brokering)

Dans une séquence d’interactions suivante, le transfert de l’aspect technique est implicitement considéré comme réussi lorsqu’un enseignant intervient en parlant de la scénarisation de l’outil, ouvrant la discussion à l’aspect pédagogique. Cet aspect est mis en lien avec l’aspect technique. La frontière change en s’élargissant; elle se trouve sous l’influence du phénomène de traduction.

Projet Ecole Numérique et Industrie (ENI)

Le projet ENI consiste à la création d’une “plateforme de ressources pédagogiques pour le développement de la culture scientifique et technologique des élèves”. L’un des artefacts créés dans le cadre de ce projet est un “jeu épistémique numérique” sur la culture scientifique nommé Paye ta preuve. Différents acteurs de ce projet, des enseignants, un ingénieur pédagogique, une chercheuse et un enseignant-chercheur, ont partagé leurs points de vue dans une réunion faisant partie du processus de la recherche orientée par la conception. L’objectif de cette réunion était de décider des tâches et des objectifs du jeu Paye ta preuve.

L’analyse de ce cas est caractérisée lors d’une séquence initiale par un désaccord entre deux participants: l’enseignant-chercheur et un enseignant. L’objet frontière de cette réunion serait le jeu sur lequel l’équipe du projet travaille. Cependant, une proposition de l’enseignant-chercheur d’utiliser le cycle de vie d’un produit en tant que métaphore ne convainc pas un enseignant; celui-ci réfute l’idée de manière explicite. Selon lui, le savoir de référence proposé par l’enseignant-chercheur n’est pas adapté au public collégien visé. Cette facette scientifique que cherche à introduire l’enseignant-chercheur dans le jeu, l’objet frontière, entre en conflit avec la facette didactique défendue par l’enseignant en désaccord. Bien que les deux acteurs échangent sur le jeu au centre projet, ils adressent chacun une composante différente de l’objet frontière. Ces composantes ne possédant pas une zone d’intersection commune suffisante, le point de vue de chacun ne se rencontre pas, et il n’est donc pas possible de parler du jeu en tant qu’objet frontière pour ces deux acteurs.

Dans une séquence suivante, l’intervention de l’ingénieur pédagogique en tant que broker permet alors de mettre en relation les composantes qui étaient précédemment en conflit, et d’ouvrir un phénomène de transfert entre les acteurs afin de définir ensemble les différentes composantes de l’objet frontière.

Références

  • Carlile, P. R. (2004). Transferring, Translating, and Transforming: An Integrative Framework for Managing Knowledge Across Boundaries. Organization Science (Providence, R.I.), 15(5), 555–568. https://doi.org/10.1287/orsc.1040.0094
  • Star, S. L. (2010). Ceci n'est pas un objet-frontière : Réflexions sur l'origine d'un concept. Revue d'anthropologie des connaissances, 4,1, 18-35. https://doi.org/10.3917/rac.009.0018
  • Star, S. L. et Griesemer, J. R. (1989). Institutional ecology,translations' and boundary objects: Amateurs and professionals in Berkeley's Museum of Vertebrate Zoology. Social studies of science, 19(3), 387-420.
  • Vinck, D. (2009). De l'objet intermédiaire à l'objet-frontière: Vers la prise en compte du travail d'équipement. Revue d'anthropologie des connaissances, 3,1, 51-72. https://doi.org/10.3917/rac.006.0051