Les savoirs d'expérience

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Introduction

Les savoirs d'expérience sont les connaissances que l'on acquiert en pratiquant son activité, le plus souvent professionnelle, et ont un intérêt pour la formation des adultes, mais aussi pour tout ce qui touche à l'organisation du monde du travail et de l'accompagnement socio-professionnel. Pour pouvoir devenir exploitables, ces savoirs d'expérience doivent être formalisés, c'est-à-dire faire "l’opération épistémique qui permet de fixer l’expérience, d’en distinguer les aspects cognitifs, de sortir les savoirs de leur état initial de savoir contextualisé, tacite et/ou invisible, en leur donnant un certain niveau de généralité (construction de modèles) et en les rendant susceptibles d’une communication explicite publique" (Demailly, 2001).

Petit historique de la discipline

Point de vue de l'accompagnement socio-professionnel

La fin des années 1980 marque la fin des Trente Glorieuses et provoque de grands changements sur le marché du travail. Le chômage est en hausse et les conseillers socio-professionnel croulent sous les sollicitations d'adultes étant déjà formés à un métier. Pour accompagner ces chômeurs, les conseillers feront appel à des démarches biographiques afin d'accompagner les demandeurs (Boursier, 1998) . A cela s'ajoute le besoin de reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle et un besoin de développement de bilan de compétences (Lietard & Merle, 2004).

Point de vue du monde du travail

Dans les années 1990, nous assistons à l'émergence du management social et le besoin de compétences. Le monde du travail passe alors de d'une logique de qualification professionnelle à une logique de compétences (Wittorski, 2008). La gestion des ressources humaines évolue également vers cette logique de compétence. Elle veut identifier, évaluer, capitaliser, développer, transmettre, reconnaître, préserver, codifier etc. les compétences individuelles et collectives dans l’organisation ou l'entreprise (Zarifian, 1999). Dans ces années-là, on peut voir se développer le "Knowledge Management". En d'autres termes, il s'agit de pouvoir référencer les compétences, les bonnes pratiques, les procédures, les accréditations, et autres certifications (Aubret & Gilbert, 2003).

Point de vue de la formation des adultes

Les années 1980 voient aussi l'émergence de pratiques pédagogiques pour les adultes et donc de la formation adulte. Ceci est certainement dû à la hausse du chômage durant cette décennie. On peut alors assisté à un développement de dispositifs de professionnalisation dans la formation initiale. Il y a désormais beaucoup plus de formation en alternance, d'analyse de pratiques et d'activités, d'écrits réflexifs et de nouvelles formes de certification des compétences. Se développent aussi ce que Fernagut-Oudet (2012) appelle les "environnements de travail capacitants" grâce à l'émergence des pratiques de formation par l'analyse du travail dans les organisations.

Définition du mot "Expérience"

Expérience est un mot possédant plusieurs significations.

Première définition

"Réaliser une expérience" : C'est la définition d'un protocole scientifique que l'on suit.

Deuxième définition

"Expérimenter le parapente": Quand une personne fait une activité pour la première fois.

Troisième définition

"Éprouver une expérience difficile" : Il s'agit du ressenti subjectif d'une personne sur son vécu..

Quatrième définition

"Avoir une expérience" : Quand une personne fait une activité et en retire de nouvelles compétences, de nouveaux acquis.

Délimitations conceptuelles

Il existe plusieurs théories qui conceptualisent l'expérience et son développement.

Le modèle de l'apprentissage expérientiel de Kolb (1984)

Modèle de l'apprentissage expérientiel de Kolb

Le processus est un cycle de quatre étapes représenté ci-contre. La réflexivité ou en d'autres termes, réfléchir sur ses pratiques tient une place central dans le modèle de Kolb (1984). Ce modèle a beaucoup inspiré les dispositifs et pratiques dans la formation des adultes, comme par exemple, les entretiens d’auto-confrontation où une personne est filmée en train de faire son activité puis, regarde cette vidéo et commente les gestes qu'elle fait sur cette vidéo.

L'expérience et son développement selon Dewey (2004)

Expérimenting Il s'agit de la composante active de l'expérience, ce que la personne fait réellement.

Experiencing Il s'agit de la composante passive de l'expérience, ce que la personne ressent comme émotions, mais aussi ses représentations de ses actions.

Reflecting thinking Il s'agit du processus d'apprentissage et de réflexion. La personne relie son action à son vécu pour lui trouver un sens et résoudre d'éventuels problème.


Pour Dewey (2010), un socle de connaissances passées viennent nourrir la réflexion et l’élaboration de connaissances nouvelles pour agir.

Différents type de savoirs

Il existe deux types de savoir. D'un côté les savoirs théoriques (comme savoir que Paris est la capitale de la France) et de l'autre les savoirs d'action. Ce sont ces derniers qui nous intéressent dans le cadre des savoirs d'expérience.

Les savoirs d'action sont une mise en mot des actions d'une personne par rapport à son activité analysée. Selon Barbier (1996), les savoirs d'action ont plusieurs caractéristiques :

  • Cette mise en mot survient car l'énonciateur de ce savoir souhaite communiquer avec autrui.
  • Ces savoirs d'action sont cumulables et conservable.
  • Ils peuvent prendre une forme visuelle (écrite ou graphique) ou orale puisqu'il s'agit de communication.
  • Ces savoirs d'action ont une reconnaissance des énonciateurs, c'est-à-dire qu'ils jugent utile de communiquer cette information, action sur leur activité.
  • Leur formulation est objective et générale, par exemple, un menuisier qui explique utiliser une scie sauteuse pour couper les planches pour fabriquer ses meubles.
  • Les savoirs d'action sont reconnaissable au fait que leur formulation contienne le pronom "je", par exemple, "je coupe mes planches de bois avec la scie sauteuse pour fabriquer mes meubles".

Différents types de savoirs d'action

Il existe trois sortes de savoirs d'action.

Les savoirs d'action de positionnement

Il s'agit de la façon dont la personne se situe par rapport à son activité professionnelle. La personne énonce la façon dont elle se perçoit dans l'activité et le rôle qu'elle tient. Il s'agit en quelque sorte d'une affirmation identitaire. Par exemple : "Mon rôle en tant qu'enseignant est d'apporter des connaissances et des procédures à mes élèves dans le but de les faire progresser dans leur réflexion. Je préfère leur faire faire des travaux de groupe car ils ajustent leurs connaissance entre eux et cela leur permet d'apprendre à argumenter leur point de vue".

Les savoirs d'action de process

Il s'agit de la façon dont la personne décrit son activité. Elle explique comment elle agit dans telle ou telle situation singulière. Il se centre sur l'aspect opératoire de la situation qu'il décrit. Les savoirs de process sont "ajustables", c'est-à-dire que la personne n'agit pas toujours de la même manière suivant la situation et plus ces actions sont répétées, plus il seront considéré comme tangibles. Par exemple : "En tant qu’enseignant, je fais souvent face à des disputes entre élèves. Au début, je donnais simplement une punition à écrire à chacun. Puis, avec le temps, j'ai compris que cela ne marchait pas, alors j'ai pris l'habitude de les prendre à part et de les faire dialoguer en face à face pour résoudre leurs conflits."

Les savoirs d'action-environnement

Il s'agit de la façon dont la personne agit dans son environnement professionnel. La personne rapporte les stratégies et actions qu'elle met en place lorsqu'elle doit interagir avec des acteurs, règles ou matériel de ce même environnement. La personne énonce souvent des moyens pour faciliter ces interactions dans son environnement professionnel. Par exemple : "En tant qu'enseignant, j'échange mes idées d'activités de bricolage en classe avec les autres enseignants pour connaître leur avis et voir comment les améliorer. J'en parle aussi avec l'intendance afin qu'elle puisse me fournir le matériel nécessaire pour faire travailler les enfants dessus. Parfois, on manque de moyens financiers, alors j'achète moi-même certaines fournitures même si je sais que je n'ai pas vraiment le droit."


Sources

  • Aubret, J,& Gilbert, P. (2003). Valorisation et validation de l'expérience professionnelle. Paris : Dunod
  • Barbier, J.M. (1996). Savoirs théoriques et savoirs d’action. Paris: Presses Universitaires de France.
  • Boursier, S. (1989). L'orientation éducative des adultes. Paris : Editions Ententes.
  • Demailly, L. (2001). La rationalisation du traitement social de l’expérience. Revue des Sciences de l’Éducation, vol.27, n°3, pp.523-542.
  • Dewey, J. (2004). Comment nous pensons. Paris: Flammarion
  • Dewey, J. (2010). L’art comme expérience. Paris: Gallimard.
  • Fernagut-Oudet, , S. (2012). Concevoir des environnements de travail capacitants comme espace de développement professionnel: Le cas du réseau réciproque d’échanges des savoirs à La Poste. Formation Emploi, 119, pp.7-27
  • Liétard, B., & Merle, V. (2004). La reconnaissance et la validation des acquis de l’expérience: une nouvelle démarche pour la construction des parcours professionnels. P. Carré & P. Caspar, Traité des sciences et des techniques de la Formation, 531-551.
  • Kolb, D. (1984). Experiential Learning - Experience as the source of learning and development. Englewoods Cliffs (NJ):,Prentice Hall.
  • Wittorski, R. (2008). La professionnalisation. Note de synthèse. Revue Savoirs , 17, pp.11-39.
  • Zarifian, P. (1999). Objectif compétence. Rueil-Malmaison : Editions Liaisons.