Les apprentissages formels et informels de l'adolescent en informatique.

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Resumé - Abstract


L'apprentissage de l'adolescent en informatique ne se limite pas uniquement à l'école. Il se distribue dans de multiples environnements formels et informels. Les moteurs de son apprentissage sont de nature affective, cognitive, sociale, identitaire, mais aussi opératoire et instrumentale. C'est de ce point de vue holistique, que l'article tente d'appréhender la thématique.

Mots-clés : instrument, artefact, schème d'utilisation, développement, assimilation, accommodation, adolescent, identité, apprentissage formel, apprentissage informel, perspective écologique de l'apprentissage.




HISTORIQUE ET CONTEXTE


A partir des années quatre-vingt, comme le remarque Birrien (1992) dans son ouvrage moderne d'histoire, l’outil informatique est devenu plus accessible aux profanes avec l'arrivée des micro-processeurs. A cette époque, toutefois, apprendre à utiliser un ordinateur s’apparente encore à une initiation quasi ésotérique pour grand nombre d'intéressés. Dans les années nonante un tournant arrive avec la convergence de l'informatique, de l'Internet et des télécommunications d'où émergent les technologies de l'information et de la communication. Ce n'est cependant qu'au XXIème siècle, que leur développement prend un angle encore plus abrupte. L’on voit apparaître des ordinateurs super puissants à microprocesseurs très miniaturisés et des connections ADSL à grandes bandes passantes. Ces technologies permettent à la multitude de surfer sur un Web interactif désormais démocratisé.

Cette émancipation informatique reste toutefois encore l’apanage des sociétés industrialisées ou développées. Cependant, elle est telle, que des auteurs comme Prensky (2001) introduisent le terme de "natifs numériques", pour décrire la jeunesse ayant grandi dans la culture du numérique médiatisée. Pour ces jeunes l'informatique est un instrument habituel, ancré dans leurs mœurs et leur vie quotidienne. L'instrument informatique est donc plus qu'un objet technique, car il a une dimension culturelle et psychologique qui motive fort bien l'adolescent à l'utiliser.

Apprendre l'informatique a donc une nature formelle, car l'enseignement de l'informatique s'est institutionnalisé au deuxième millénaire dans bon nombre d'écoles. Il en a une aussi informelle, car comme on l'a explicité auparavant certains adolescents, si ce n'est la majorité peuvent s'apparenter à des natifs numériques. En effet, ils naissent, agissent, grandissent et se socialisent en contact avec la culture numérique. Il s'agit donc d'appréhender la thématique d'un point de vue holistique; en intégrant autant une vision technique, que psychologique et culturelle; en postulant un utilisateur et un apprenant volontaire ou non évoluant dans des environnements formels ou non, dans lesquels se forment ses schèmes d'utilisation d'artefacts informatisés.


DÉFINITIONS ET ENJEUX


Quatre concepts sont associés à la thématique :

  • L’instrument informatique
  • L’adolescent
  • L’apprentissage formel
  • L’apprentissage informel


Il s’agit de les définir, d’en expliciter les enjeux, et d’en synthétiser les liens dans une perspective holistique, pour aborder la thématique sous toutes ses facettes.

De la notion d’instrument informatique


Il faut noter, qu'aux débuts de l'informatique, cet instrument est surtout appréhendé en recherche d'un point de vue centré sur la technique. L'homme doit s'adapter aux contraintes de l'ordinateur, même s'il est compliqué à utiliser. Un jour utopiquement, il pourra remplacer complètement l'homme dans ses activités physiques et mentales. A partir des années quatre-vingt, on voit toutefois apparaître des approches plus globales prenant en compte autant l'homme que la machine informatique. Par exemple, Rabardel (1995) et d'autres auteurs se rattachant à la théorie de l'activité explicitent plusieurs visions possibles de l'instrument. Pour ce dernier, tout instrument informatique a une dimension technique, psychologique et sociale. Il implique à la fois un ou des artefacts et des schèmes d'utilisations. Ces schèmes s'inscrivent dans des processus de développement humain, donc d'apprentissage. L'homme en utilisant l'informatique se développe mentalement et socialement. En se référant à la psychologie génétique ou à Piaget, qui dit schème dit aussi assimilation et accomodation, donc développement. C’est pourquoi, l’instrument informatique reflète également l’état des connaissances actualisées de l’adolescent à un moment de son développement. Ce dernier aime utiliser l’instrument informatique en fonction de ses schèmes d'utilisation, des ses connaissances, de ses activités et de ses intérêts du moment : apprentissage scolaire, divertissements, jeux électroniques avec ses pairs, socialisation avec ses pairs, montrer ses photos à d’autres sur le Web, etc.

L’instrument n’existe ainsi qu’à travers l’utilisation de l’homme (par extension l'adolescent) qui est située socialement. Pour reprendre Rabardel, c’est en d’autres termes un artefact en situation, Rabardel (1995, p. 26) :

"Chaque artefact a été conçu pour produire une classe d'effets, et sa mise en oeuvre, dans les conditions prévues par les concepteurs, permet d'actualiser ces effets. Autrement dit, à chaque artefact correspondent des possibilités de transformations des objets de l'activité,qui on été anticipées, délibérément recherchées et qui sont susceptibles de s'actualiser dans l'usage. En ce sens l'artefact (qu'il soit matériel ou non) concrétise une solution à un problème ou à une classe de problèmes socialement posés. "

"Nous utiliserons le terme d'instrument pour désigner l'artefact en situation, inscrit dans un usage, dans un rapport instrumental à l'action du sujet, en tant que moyen de celle-ci." Rabardel (1995, p. 49)

Par contre, l'instrument actualise dans son utilisation un ou des artefacts associés aux schèmes du sujet, dont la portée peut-être limitée ou moulée par certaines caractéristiques techniques, Rabardel (1995, p. 74) :

"Les sujets développeraient, en fonction des objets sur lesquels ils doivent agir, des modalités d'usage différenciées d'un même artefact, des schèmes d'utilisation spécifiques, qui tendent à rendre cet artefact multi-fonctionnel et à constituer ainsi, à partir d'un même artefact, plusieurs instruments individualisés en fonction de la spécificité des objets et des tâches. Ce serait donc par une différenciation accommodatrice de la composante schème de l'instrument que se développerait ici une multi-fonctionnalité de l'artefact." Rabardel (1995, P. 103)

"L’exemple banal de la multiplicité des utilisations réelles d’un objet aussi théoriquement spécifique qu’un sèche-cheveux suffit à le montrer : sécher un vêtement, dégivrer une serrure, voire chauffer une pièce... Cependant derrière cette diversité, il est possible de retrouver des éléments relativement stables et structurés dans l’activité et les actions de l’utilisateur.Nous avons proposé de les caractériser comme des schèmes d’utilisation." Rabardel (1995, P. 74)

"Une clef anglaise a, par exemple, une masse assez importante, c’est pourquoi elle se prête à frapper. Un tournevis de longueur égale a une masse faible, et peut à peine être utilisé pour enfoncer un clou dans un morceau de bois." Rabardel (1995, P. 102)

En outre, ces opérations actualisées par l'utilisateur sont combinatoires et présentent des régularités. Ainsi l’utilisateur peut associer plusieurs schèmes d’utilisation à un artefact, qu’il soit matériel (ex. une carte mère matérielle), sémiotique (ex. le langage en tant qu'outil de communication sur l'écran d'ordinateur), psychologique (le profil perso sur le web) ou cognitif (ex. un système expert). Il peut inversement associer plusieurs artefacts à un schème. Par ces associations l'artefact peut se réaliser en une diversité d'instruments. Par exemple, afin de rédiger un texte pour un exposé, un adolescent peut adopter un traitement de texte comme artefact et opérer avec les schèmes : « écrire du texte sur l’écran », mais aussi « effacer un mot dans le texte », « copier – coller », « imprimer », etc.. Ici le traitement de texte artefactuel devient un instrument informatique de rédaction. Cependant, le jeune pourra aussi utiliser ce même traitement de texte non pas pour rédiger un texte, mais pour publier sa page Web perso. Pour cela, il devra adjoindre aux schèmes d’utilisation précédents, des schèmes comme « publier la page sur Internet », « appliquer une couleur à une forme », etc.. Dans cette situation d'utilisation, ce traitement de texte artefactuel deviendra un instrument informatique de publication pour le Web.

Enjeux :

Comme indiqué par Rabardel (1995), la tendance actuelle considère souvent l’informatique avec un point de vue centré sur la technique. On pense souvent que les jeunes utilisant beaucoup l'informatique s'enferment, vivent dans leur monde et souffrent de pathologies psychologiques. On occulte souvent le fait, qu'une grande partie utilise un outil d’un nouveau genre, un opérant de leur développement identitaire. Il est donc pertinent de ne pas s’en tenir qu’à un point de vue technocentré ou alors anthropocentré. Au contraire, il est primordial de continuer à développer des approches et des études sur l'adolescent, qui considèrent l’instrument informatique sur deux facettes : sur le plan de l’artefact comme on vient de le voir, mais aussi sur celui des schèmes d’utilisation. Il faut aussi se centrer sur l'adolescent en développement identitaire, donc en apprentissage, puis de comprendre pourquoi et comment il utilise l’instrument informatique, dans la limite des possibilités offertes par la technologie. Tels sont les enjeux de l'enseignement de l'informatique de demain.


Le sujet adolescent et l’instrument informatique


Le psychologue Erickson (1998) s’est notamment intéressé à cet âge de la vie. Il dénote d’ailleurs un stade qui lui est consacré, le stade de l’identité, qui va de l’âge de 12 à 18 ans environ. Pendant ce stade, le jeune est en pleine puberté ou croissance et comme le concept l’indique, il s’attache à construire son identité. Par ce terme, on comprend des représentations de soi stables par rapport aux autres, qui comprennent : les valeurs personnelles, les goûts, les ambitions et projets, les idéaux, les propres représentations de la corporalité et du genre sexuels, etc., en quelque sorte, tout ce qui fait qu’une personne est une personne et qu’elle puisse s’exprimer en tant que telle.

Cela il le fait en évoluant dans des environnements multiples de construction identitaire : la famille, l’école, les pairs et le monde professionnel, auquel il peut s'initier. L’environnement-école et ses apprentissages scolaires lui permettent de développer ses facultés de raisonnement abstraites, mais aussi de se socialiser, de mieux connaître ses compétences, de forger son estime de soi et de spécifier ses intérêts professionnels. La famille reste un lieu de soutient par rapport auquel il a besoin toutefois de s’autonomiser pour construire et reformer sa propre personnalité. Il a besoin de prendre des distances par rapport au triangle œdipien. Les pairs sont un espace réel de socialisation, où il peut partager ses secrets, ses craintes ou alors ses joies, spécifier ses goûts, s’exprimer en tant qu'individu sexué, etc.. Le jeune doit nécessairement parvenir à se resituer dans ces environnements sociaux. L’outil informatique l’aide comme instrument médiateur.

On ne peut donc pas sous-estimer son importance et sa centralité en tant qu’artefact. Par exemple, aux USA, en Europe et dans d’autres pays comme la Chine récemment; l’outil informatique tient une telle présence dans la vie quotidienne des adolescents, que certains journalistes comme Prensky (2001) n’ont pas hésité à les décrire comme des « natifs numériques », qui naissent, grandissent, pensent, travaillent et se socialisent par l'intermédiaire de l'outil informatique. Ces derniers s’opposant à des immigrants numériques, dont la figure de proie est le maître d’école classique de génération précédente. Il est imperméable à toutes immiscions de la technologie informatique dans le champ pédagogique.

Vu cette fracture générationnelle, ces natifs peuvent quelquefois mal s’adapter à la pédagogie classique en vigueur dans les écoles. Cela s'explique par le fait, qu'ils développent dans des lieux informels des opérations cognitives, des schèmes d’utilisation ou des compétences cognitives différentes en utilisant l'informatique. La dichotomie synthétisée ci-dessous dans le tableau émerge ainsi :

Le natif numérique apprend, interagit ou travaille ainsi par l'intermédiaire de l'outil informatique : L'immigrant numérique (l'enseignant à l'école) enseigne ainsi à une classe d'élèves :
L'adolescent interagit avec l'instrument informatique et d'autres personnes.
Il reçoit des feedback rapides venant de multiples sources.
L'enseignant gère une classe du point de vue de la collectivité. La pédagogie se fait donc souvent à travers un face à face entre l'enseignant et la classe.
La technologie permet à l'adolescent de faire plusieurs choses à la fois (utiliser plusieurs logiciels, écouter de la musique et écrire, gérer différentes formes de contenus). L'enseignant offre à la classe un enseignement à déroulement linéaire. Les écoliers font une chose à la fois.
L'adolescent traite l'image avant le texte, car en utilisant l'informatique, il regarde un écran d'ordinateur. L'enseignant prescrit le plus souvent à la classe des tâches privilégiant le texte.
La technologie informatique permet à l'adolescent de sauter et choisir entre différentes sources d'informations. L'enseignant offre à la classe des documents précis et adaptés, en nombre restreint, ceci relativement à un sujet pédagogique précis.
L'adolescent trouve souvent sa motivation dans le jeu, quand il utilise l'informatique Face à la classe, l'enseignant exige souvent le sérieux dans le travail


Mais il s’agit de relativiser une telle dichotomie. Premièrement, certains auteurs considèrent que l’explosion des réseaux sociaux a permis à ces natifs de développer des facultés créatives spécifiques. Ces dernières sont toutefois tout à fait valorisées dans le monde scolaire. En effet, on n'y attend pas de l’élève, qu'il révolutionne l'art ou la pensée, mais qu'il s'engage, assimile un savoir transmis. Il doit changer et restructurer ses propres cadres de connaissance. Ce qui implique des processus créatifs. Palfrey & Gasser (2007) avancent par exemple, que cette créativité est de type productive ou opératoire, pour reprendre les termes de Rabardel, donc valorisée par l'école. En effet, les copier-coller, les placements d’images détournées, les films postés sur des réseaux sociaux, les parodies et autres formes de contenus imbriqués sont de nouvelles formes d’expressions de soi et de communication, donc de nouveaux opérants, pour faire valoir son autonomie et construire son identité. On voit aussi apparaître le "tag", qui est un instrument sémiotique d’un nouveau genre. C’est un libellé représentant un mot-clé (signifiant) qui renvoie à de l’information sous forme d’article wiki, une image ou un clip vidéo. Il est introduit de manière créative par l’auteur dans une page Web. Viennent également le commentaire et l'échange communicatif sur Internet tributaires de l’engagement du jeune vis-à-vis de l’information. Sur ce point, les médias digitaux lui offrent des opportunités d’interaction, mais aussi du contenu sémiotique à symboliser. Les adolescents intègrent ainsi avec créativité des opérants d'un nouveau genre. Rien n'empêche à l'école d'en tenir compte, ne serait-ce parce qu'ils apportent une profondeur de sens supplémentaire à la lecture, comme une certaine complémentarité de formes au niveau des médias de communication utilisés (image, texte, vidéo, son, etc.).

D'autre part, on voit apparaître des enseignants parmi les natifs numériques. Ils sont perméables à l'instrument informatique, même dans le champ éducatif. Où est alors la fracture ? En fait cette fracture générationnelle en masque une autre qui est de nature statutaire et socio-économique. Golding (2000) observe par exemple que l’aisance d’utilisation de l’artefact informatique des jeunes est corrélée à leur classe sociale et leur sexe. Les filles sont défavorisées. Plus le niveau socio-économique des parents est élevé et plus l’adolescent a accès aux ressources informatiques et s’y entraîne. C'est un avantage. Howard, Rainie & Jones(2001) précisent que les objectifs d’utilisation d’Internet dépendent du niveau d'étude des jeunes. Plus la personne est formée, plus elle utilisera Internet pour accroître son capital de connaissance. Par contre, une personne de niveau scolaire ou de formation plus modeste valorisera davantage le divertissement (jeu d’arcade) et la communication (chat, réseaux sociaux, messageries, etc.). Ces observations sur les inégalités numériques sont toutefois à relativiser. Bennett, Maton & Kervin (2008) dénotent qu’une grande habitude dans l’utilisation des technologies informatiques à des fins de recherche et de communication n'entraine pas de fait des compétences techniques de haut niveau. Enfin, un des moteurs principaux de l’apprentissage de l’informatique est l’intérêt et les motivations personnels de l’adolescent. Même si ce dernier dispose de ressources informatiques importantes ou a des parents de statut socioéconomique élevé, son apprentissage sera moindre ou en surface s’il n’a pas envie de les utiliser.

Enfin, rien n'empêche à l'ingénieur pédagogique de concevoir des formations informatisées pour les adolescents, suivant les mêmes modalités que celles de l'enseignement scolaire formel. La distinction entre natifs et immigrants numériques présentée ci-dessus est donc relative. Elle ne serait pas due à l'instrument informatique en tant que tel, mais aux choix pédagogiques qui s'instaurent dans les institutions. Par exemple, il existe une multitude de logiciels auteurs comme LAMS adaptés pour fournir un enseignement formel, séquencé et linéaire à l'adolescent. L'apprenant qui entre dans un tel processus d'apprentissage doit en effet passer par des étapes pédagogiques et des tâches bien précises, se suivant linéairement; de même prendre connaissance de contenus informationnels précis et centrés spécifiquement sur les objets pédagogiques. Avec LAMS, la gestion de la leçon et des apprenants se fait aussi collectivement tout en permettant des interactions individuelles entre pairs et avec l'enseignant, ainsi que la gestion de cas particuliers, comme à l'école.


Enjeux :

L’enjeu est donc d’appréhender et d’étudier l’instrument informatique pour l’adolescent, non pas uniquement comme un objet qui entraîne inévitablement à des pathologies (dépendance numérique) ou des déviations; mais également comme un artefact lui permettant de se développer avec motivation.

L’informatique peut-être à la fois un instrument cognitif, psychologique ou sémiotique. Il permet à l’adolescent d’organiser ses idées, de gérer des représentations identitaires et donc de mieux se connaître, ainsi que transmettre des messages symboliques et significatifs. Il est aussi de nature sociale, puisqu’il lui permet de créer ou s’intégrer dans des réseaux sociaux. Sans oublier ses aspects techniques et matériels, qui peuvent attirer sa curiosité et satisfaire ses besoins instrumentaux. L’adolescent évolue d’autre part, dans des environnements formels et structurés comme l’école et dans d’autres informels, comme le groupe de pairs, la famille, un club sportif, etc..

Il semble s’instaurer des différences, mais aussi une certaine dynamique et synergie entre des environnements d’apprentissage formels et informels. Il s’agit donc d'ajouter aux notions vues précédemment ces deux dernières notions, d’en comprendre les différences, mais aussi les synergies. L’enjeu pertinent est donc pour la pédagogie de demain d’appréhender l’apprentissage de l’informatique chez l’adolescent sous un point de vue holistique, tout en se centrant sur des problématiques plus précises. Occulter un des points essentiels du triangle « artefact, sujet et objet d’apprentissage » peut s’avérer coûteux lorsqu’il s’agira de prendre des décisions réelles et d'intervenir concrètement, à propos de la place qu’a l’informatique pour l’adolescent, autant à l’intérieur, qu’à l’extérieur de l’école.


L'apprentissage formel et informel de l'informatique d'un point de vue écologique


Au niveau européen, on s'est dernièrement attaché à marquer une distinction entre l'apprentissage formel et celui informel. La CEDEFOP (2003) donne la définition européenne suivante de l'apprentissage formel :

"Apprentissage dispensé dans un contexte organisé et structuré (en établissement d’enseignement / de formation ou sur le lieu de travail), et explicitement désigné comme apprentissage (en termes d’objectifs, de temps ou de ressources). L’apprentissage formel est intentionnel de la part de l’apprenant; il débouche généralement sur la certification".

Ce qui est différent de l'apprentissage informel, qu'elle définit ainsi :

"Apprentissage intégré dans des activités planifiées non explicitement désignées comme activités d’apprentissage (en termes d’objectifs, de temps ou de ressources), mais contenant une part importante d’apprentissage. L’apprentissage non formel est intentionnel de la part de l’apprenant et ne débouche habituellement pas sur la certification".

Le terme "intentionnellement" revient toutefois dans ces deux définitions. Or pour Barron (2006) c'est justement l'intérêt, l'intentionnalité qui sont le moteur essentiel de l'apprentissage de l'informatique. A ce propos, elle développe une approche écologique qui permet de mieux comprendre les liens et synergie existant entre l’apprentissage hors du cadre scolaire (apprentissage informel) et l’apprentissage scolaire (apprentissage formel). Les relations entre l’utilisateur ou l’apprenant, l’instrument informatique et l’objet pédagogique - c'est-à-dire l’apprentissage de l’informatique - y sont abordés dans la dynamique de l’adolescent en développement dans des environnements multiples, dont le ressort est l'intérêt personnel, ses émotions et ses motivations alimentés par ses besoins de constructions identitaires.

L'aspect relationnel de l'apprentissage n’est pas non plus à occulter. Par exemple, lors d’interactions familiales aux musées ou à table, le jeune peut développer un îlot d’intérêt ou d’expertise pour un sujet donné, comme les dinosaures. Cet "îlot identitaire" il va le partager avec sa famille. Il va également construire activement des compétences relatives à sa passion, qu'il va pouvoir nourrir et développer à l’occasion de toutes sortes d’évènements informels, mais aussi pendant ses cours à l’école. Ces processus écologiques s'observent naturellement pour l’apprentissage de l’informatique. Sur ce point, l’auteure développe trois conjectures :

  • Chez l’adolescent l’émergence de son intérêt pour l’informatique est souvent déclenchée par une variété de ressources (ex. jeux d’arcade, réseau social sur le Web, PC), donc y compris des instruments. Ce sont des facteurs de maintient de son intérêt,
  • pour l’adolescent, il est primordial de se créer des opportunités ("opportunity to learn") pour alimenter son intérêt et apprendre soi-même (motivation, temps, liberté et ressources),
  • de même franchir des obstacles qui peuvent freiner son apprentissage va renforcer sa motivation.

Pour cela il peut adopter cinq stratégies initiantes : rechercher des textes étant des sources de savoirs et de connaissances, se créer des projets et des activités associées à son îlot d'intérêt, s’engager dans un apprentissage structuré, c’est-à-dire formel, par exemple en suivant un cours à l'école,explorer des médias, des informations sur le web,établir des relations d’échanges de connaissance ou de mentorat.

Ainsi, l’intérêt personnel, la construction de soi et de l’identité, mais aussi l’instrument réunissant l'artefact et des schèmes d'utilisation sont la pierre angulaire de l’apprentissage de l’informatique de l’adolescent dans ses environnements formels et informels répertoriés ci-dessous :

  • La famille (ex. ordinateurs à la maison, jouer à la maison, discussion avec la famille sur l'informatique),
  • Les communautés et clubs d’intérêts (ex. club sportifs, bibliothèques),
  • Des experts, les mentors ou les professionnels en informatiques,
  • L’école,
  • Le Web (réseaux, sociaux, livre numérique, tutoriel numérique, forum, etc.),
  • Les amis ou les pairs.

A propos de la maison, un environnement informel, l'auteure constate que c'est un point central pour l’adolescent. Son degré d’utilisation expérientielle de l’outil informatique est notamment corrélé avec le nombre d’instruments informatiques à disposition au domicile, ainsi qu’avec sa fréquence d’utilisation. De plus, les adolescents les plus expérimentés disposent aussi d’un réseau de ressources qui s’étend bien au-delà du domicile. La disponibilité des ressources au domicile est essentielle, mais il apparait tout aussi vital d'offrir des ressources d'apprentissage à travers des réseaux sociaux impliquant des pairs, des enseignants ou des parents.

Par exemple, les adolescents peuvent développer à la maison ou avec leurs amis un îlot d’intérêts pour des instruments informatiques et ils vont rechercher des opportunités autant en dehors de l’école, qu’au-dedans avec des enseignants, pour l’entretenir et faire croître des compétences. Ainsi, les transitions environnementales de l'adolescent peuvent s'expliquer par sa motivation et par ses schèmes d’utilisations s'adaptant à des environnements différents. Concrètement cela signifie qu’un adolescent va par exemple s’initier informellement à la création de pages Web par l’intermédiaire d’un ami, qui lui montre comment il a créé son blog sur Internet. Intéressé par le sujet, il va rechercher activement des informations sur le Web et tombe sur le langage PHP, qu’il va approfondir par la lecture d’ouvrages. Il va aussi télécharger un éditeur pour HTML et PHP, ainsi que s’auto initier à la création Web à la maison. Il en parlera à son père qui a un ami travaillant dans le domaine. Ce dernier sera une sorte de mentor pour lui. Ses objectifs d'apprentissage du développement web seront aussi renforcés par un cours d’informatique suivi à l’école.

A ses transitions possibles, Bull et al. (2008) trouvent cependant quelques obstacles potentiels : la spécificité des objectifs d’apprentissage de l’informatique à l’école; les contraintes de temps en classe; l'intégration des technologies, qui peut venir complexifier la pédagogie en classe; le manque de modèle de pratique pour les enseignants désirant intégrer l’outil informatique dans leurs enseignements; enfin, les recherches limitées pour inspirer les "bonnes pratiques" pédagogiques dans ce cadre.

En réponse, Greenhow (2008) fait deux recommandations pour favoriser le rapprochement entre scolaire et non-scolaire : une redéfinition des objectifs d'apprentissage scolaires pour les adapter au contexte d'utilisation de l’informatique; former les enseignants à l’échange et à la communication médiatisée au travers du réseau social à l'école.

L’idéal serait d’établir en classe, lors des cours d’informatique, une certaine continuité entre ce qui se passe au dehors et au-dedans de l’école pour l’adolescent. N'oublions pas et ne sous-estimons cependant pas que ce sont les schèmes cognitifs du sujet, ses accommodations et ses assimilations qui vont lui permettre de s'adapter à différentes situations et conditions environnementales. La motivation et l'intérêt de l'adolescent le poussent aussi à agir et sont le carburant de ses processus cognitifs.

Pour synthétiser


On observe en fin de compte que l'apprentissage de l'informatique chez l'adolescent ne se limite pas seulement à des cours formels à l'école. Il débute souvent dans des lieux informels dans lesquels le jeune apprend à utiliser l'informatique non pas forcément en tant que but en soi, mais pour satisfaire ses besoins psychologiques et sociaux. Cela n'empêche pas cependant, qu'il puisse conjointement s'intéresser à la technologie en tant que telle et désire développer des compétences techniques pointues, dans tel et tel domaine de l'informatique et ce par des cours à l'école par exemple. La technologie n'est donc pas toujours au centre de son apprentissage. Son intérêt personnel l'est en tout cas.

EXEMPLES ILLUSTRANT


Barron (2006) aborde la recherche sur l’apprentissage de l'informatique chez l'adolescent par une approche tenant compte de l’initiative intéressée de l’adolescent évoluant dans différents environnements et y vivant des interactions construisant sa personne. La méthode employée pour décrire les cas est de type écologique et se base sur des témoignes personnels d’utilisateurs. Voici, deux exemples de cas d'adolescents, qu'elle s'est attachée à analyser selon ce paradigme.


Le premier exemple


Il concerne Jamal un jeune étudiant aux Bermuda, qui s’est alimenté un intérêt pour le développement et le design web suite à un cours à l’école. Ensuite, son apprentissage s’est généralisé à des environnements informels.

L’auteure questionne ainsi l’adolescent : « Quand tu as pris le cours, avais-tu beaucoup d’expérience avec les ordinateurs ? ».

Ce dernier répond : « Pas du tout. Quand ma mère m’a acheté un laptop, je ne connaissais rien à propos du web design ou d’HTML. Tout ce qui je connaissais de l’ordinateur était comment taper quelque chose… Je ne connaissais rien à propos d’Internet ou rien d’autre d’identique, jusqu’à ce que je vienne ici à ce cours, à Burton Hall, notre école publique aux Bermuda».

L'auteure lui pose une autre question : « Avec qui étais-tu ? »

Et il répondit : « J’étais avec ma mère. Elle était très excitée parce que je faisais vraiment quelque chose qui allait au-delà du jeu électronique. Je lisais des livre en informatique ; à la maison j’utilisais de plus en plus l’ordinateur pour produire moi-même des pages Web. Je suis également allé sur le site Web de l’auteur qui a écrit HTML Goodies, c’est-à-dire Joe Burns. C’était comme le livre, à part que je lui ai demandé de petites choses et lui me répondait en retour par email ».


Le deuxième exemple


Cet exemple a une configuration inverse au précédent, car l’adolescente, Stephanie, commence à apprendre l’informatique de façon informelle avec ses pairs avec qui elle aime intéragir, ce qui l'amène par la suite à un désir d’en apprendre plus par l’intermédiaire d’un cours formel. Elle part du plaisir de l'interaction pour aboutir au plaisir de la programmation.

L’auteure questionne ainsi l’adolescente : « Peux-tu me dire une histoire sur toi et l’ordinateur ? Quand as-tu commencé à l’utiliser et quel type de choses as-tu faites ? ».

Cette dernière répond : « Okay, Okay, j’ai toujours eu des amis qui étaient très intéressés par les ordinateurs. Ils ont commencé à faire du Web design et ils m’ont dit que c’était vraiment fun. Je me suis donc jointe à eux et ainsi j’ai appris HTML. J’ai commencé en faisant mes propres pages Web, puis je me suis initiée aux technologies industrielles, puis à la vraie programmation, mon intérêt grandissant de plus en plus».

L’auteure enchaîne : « Et comment les utilises-tu ces technologies maintenant ? »

La jeune répond : « J’ai commencé probablement à les utiliser à la maison de mes amis ou chez moi, parce que l’on voulait travailler ensemble sur nos propres pages. C’était vraiment fun. Et puis j’ai commencé à lire de plus en plus de livres à la bibliothèque, où j’y utilisais également des ordinateurs. Maintenant je travaille le plus à l’école, car dans ce domaine j’y fait des cours ».

Ces témoignages illustrent trois choses :

  • On observe dans ces deux cas l’émergence d’intérêts pour l’informatique. C’est comme on l’a expliqué, le moteur essentiel de l’apprentissage de l’adolescent. Par exemple, pour Jamal, son intérêt a émergé essentiellement pendant un cours d’informatique. Sous tutorat, il a pu vraiment y découvrir en profondeur ce qu'était un ordinateur, même s'il en possédait déjà un à la maison. Au contraire, les motivations de Stéphanie émergent au travers de ses interactions informelles avec ses amis. Ils l’initient à ce monde. Ils programment à la maison. Cependant, enfin, elle poursuit sa passion pour le développement web par un apprentissage formel à l'école. On voit dans ces deux cas, que ces adolescents sont actifs relativement à cette émergence. Leur statut de sujet se confirme parce qu'ils cherchent activement des opportunités d’apprentissages : décider de suivre un cours, interagir avec des amis ou des experts, se documenter, etc..

  • Leurs apprentissages actifs se distribuent au travers d’environnements transitionnels formels et informels. Par exemple, Jamal a commencé son apprentissage de l’informatique à l’école, un environnement formel, puis ensuite à la maison ou sur Internet, des environnements informels, où il interagissait avec un expert en développement Web, afin de parler de sa passion et d'obtenir des coups de pousse. Même si sa mère lui avait acheté un ordinateur portable, c’est pendant ses cours scolaires que son intérêt a émergé. Ce qui n’est pas le cas pour Stéphanie qui a commencé à apprendre le développement web par l’intermédiaire d’amis, puis ensuite par des livres. Ce qui l’a poussée à suivre des cours formels à l’école. Même s'il y a des différences environnementales, en fait ces jeunes s'y adaptent et y trouvent même des similitudes, ainsi que des complémentarités. On peut avancer avec humour, que par leur nature associative, les schèmes d'utilisation développés par les adolescents ne font pas de différences entre ce qui se passe à l'intérieur ou à l'extérieur de l'école. Il n’y a donc pas toujours des dichotomies nettes entre ses deux pôles. On y observe même souvent des allers-retours.

  • Enfin, le jeune trouve fortuitement, mais surtout activement des ressources dans ses environnements pour alimenter ses apprentissages : sociales (contacts personnels avec sa famille le congratulant, interactions avec un expert, etc.), scolaires (textes, cours structuré,manuels scolaires, etc.), matériels ou technologiques (ordinateur, applications informatiques, etc.). Ce sont des éléments essentiels.


CONCLUSION

Ce qui précède montre que l’apprentissage de l’informatique pour l’adolescent n’est pas uniquement de l’apprendre à l’utiliser selon une méthode précise à l’école. L’apprentissage de l’adolescent se distribue dans une multitude d’environnements et le moteur de son évolution est bien son intérêt alimenté par ses besoins de constructions identitaires, ses interactions sociales, mais aussi ses schèmes d’utilisation et l’artefact informatique lui-même.

Cependant qui dit intérêt dit aussi émotions et affectivité. Or il semble que peu d'études s’attachent à appréhender les ressorts affectifs et les émotions qui poussent le jeune à en apprendre l’utilisation. On s'arrête souvent au terme générique d'intérêt qui tient à la fois des affects et de la cognition. De même qui dit identité, dit aussi formation du genre personnel sexué. Là encore il semble que peu d’études s’attachent à aborder l’apprentissage de l’informatique du point de vue ces besoins. Sur ces sujets d'actualité, il reste donc encore beaucoup à développer.

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