Concevoir et évaluer les EIAH pour un apprentissage centré utilisateurs

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Résumé

Depuis l’apparition de l’ère numérique, les enseignements se sont massivement tournés vers des ressources pédagogiques numériques, nommées EIAH (Environnement informatique pour l’apprentissage humain). Un EIAH « correspond à la conception, la réalisation et l’évaluation d'environnements informatiques dont la finalité est de susciter et d'accompagner l'apprentissage humain » (Balacheff, 2002; Grandbastien & Labat, 2006, cité par George, 2013). Cette note de synthèse propose de comprendre « comment utiliser et concevoir des technologies numériques pour soutenir et favoriser l’apprentissage individuel et collaboratif, » ainsi que d’analyser la conception centrée utilisateurs, visant à « adapter la technologie pour en faire un outil cognitif à la disposition de l’apprenant » (Mayer, 2010).

Introduction

Concevoir une situation d’apprentissage, c’est « définir […] une tâche d’enseignement […], de sorte que la connaissance enseignée, à travers la tâche à réaliser par les apprenants dans le contexte, puisse donner lieu à l’élaboration d’une nouvelle connaissance par l’apprenant » (Tchounikine et Tricot, 2010). La conception d’un EIAH dépend donc des besoins du public cible et doit permettre de favoriser les interactions entre apprenants et enseignants (théorie inspirée du courant socio-constructiviste). D’après Tchounikine et Tricot (2010), « le rôle du dispositif informatique est de scénariser la situation, de mettre à disposition les ressources nécessaires (données ; outils de communication ; outils partagés […]) et de structurer la façon dont il permet aux acteurs d’interagir ». L’enseignant, concepteur qui crée ses propres ressources, va devoir définir la finalité de son EIAH : il peut s'agir « d'améliorer les performances d’apprentissage » des apprenants ou de « faciliter le suivi et l’individualisation par l’enseignant » (Lavoué, 2018) ou le tuteur intelligent.

Développement

Une conception fondée sur un contexte spécifique

Lors de la conception d’un EIAH, il est impératif de définir le contexte (situation d’apprentissage) dans lequel cet outil pédagogique numérique prendra forme et devra « présenter des propriétés ou des caractéristiques explicitement liées à l’intention didactique ou au contexte pédagogique » (Tchounikine et Tricot, 2010). Pour ce faire, l’enseignant concepteur doit prendre en compte trois éléments essentiels selon Lavoué (2018):

  • Les connaissances du domaine d’enseignement
  • Les connaissances sur les utilisateurs : leur niveau de connaissance initiale dans la matière abordée, leurs centres d’intérêt, leurs besoins en matière d’enseignement
  • Le contexte avec les objectifs pédagogiques qui sont posés par l’enseignant ; le type de situation d’apprentissage qu’il soit individuel ou de groupe, ponctuel ou sur la durée, en présence, en distance ou en hybride

L’EIAH doit donc servir de support pour les interactions des utilisateurs (enseignant—apprenant ou apprenant—apprenant) par le biais du système informatique. Ces interactions doivent permettre à l’EIAH d’enregistrer les traces des usages qu’en font les utilisateurs afin de réadapter l'EIAH de manière dynamique aux besoins des apprenants.

Le besoin de traçabilité

La recherche orientée par la conception (design-based research) est « un type de recherche dont la conception repose sur des conceptualisations théoriques et son implémentation en conditions naturelles afin de tester la validation écologique de la théorie et générer de manière itérative des apports et des théories existantes ou même de nouvelles théories » (Lavoué, 2018). Dans cette démarche, il est de plus en plus fréquent de vouloir obtenir des traces (d’avoir un retour sur l’activité individuelle ou collaborative) sur l’utilisation et la performance de l’apprenant avec l’EIAH. Selon George (2013), « ces traces sont utilisées par les systèmes adaptatifs pour la personnalisation des activités ou le conseil des apprenants. Elles peuvent aussi être utilisées pour faire des observations d’usage ou du suivi pédagogique ».

Caron (2018) met en évidence le fait que certaines méthodes de traçabilité ne sont aujourd’hui pas assez réactives par rapport à la demande de retour instantané sur l’activité des apprenants, car « on veut pouvoir faire de l’analyse […] tout de suite pour être notifié en quelques secondes d’un problème ou d’une difficulté et adapter l’activité en fonction de ce retour immédiat ». Ainsi, Caron souligne le fait que les interviews ainsi que les questionnaires ne sont plus adaptés à cette demande, en plus d’être des méthodes coûteuses en temps et en mise en œuvre. Michel (2018) ajoute que ces méthodes ne permettent pas d’observer ce que les utilisateurs font dans l’activité, mais uniquement d’analyser ce que les utilisateurs déclarent faire durant l’activité (Michel, 2018).

Un type d’EIAH adapté à cette demande sont les micromondes, les environnements de simulation et de réalité virtuelle, qui permettent non seulement le suivi immédiat des actions des utilisateurs, de leurs erreurs et de leurs difficultés, mais aussi d’y remédier rapidement en réadaptant le dispositif (Tchounikine et Tricot, 2010) : ces traces « participent à une démarche itérative et participative de conception des systèmes informatiques » (George, 2013). Les tuteurs intelligents sont un « système de coaching » (George, 2013) permettant la traçabilité instantanée de l’activité de l’apprenant et favorisant l’autorégulation par l’assistance et le guidage du tuteur qui détecte les difficultés rencontrées par les apprenants et leur propose des solutions personnalisées et adaptées à leur pratique de l’activité (Tchounikine et Tricot, 2010) : ces traces sont utilisées « pour mettre en œuvre des techniques de modélisation de l’apprenant. Le tuteur intelligent doit “comprendre” ce que fait l’élève pour agir en conséquence. Les traces sont dans ce cas utilisées pour construire et maintenir un modèle de l’élève » (George, 2013). La collecte de ces traces va permettre de passer à l’étape essentielle de l’évaluation dans la conception de l’EIAH en condition écologique (en milieu naturel plutôt qu’en laboratoire).

Évaluation de l’EIAH en vue d’en inférer l’appropriation de l’apprenant

Pour une conception centrée utilisateurs, il est important d’analyser les trois dimensions du modèle théorique de l’évaluation d’EIAH de Tricot (Tricot & al., 2003) :

  • Utilité (efficacité pédagogique) : l’EIAH permet-il aux personnes visées d’apprendre ce qu’elles sont censées apprendre ?
  • Utilisabilité (possibilité de manipuler l’EIAH) : l’EIAH est-il aisé à prendre en main, à utiliser, à réutiliser, sans perdre de temps et sans faire d’erreur de manipulation ?
  • Acceptabilité (décision d’utiliser l’EIAH) : l’EIAH est-il compatible avec les valeurs, la culture, l’organisation dans lesquelles on veut l’insérer ?

L’évaluation de ces trois dimensions « fournit des hypothèses sur les points à améliorer et sur les relations causales entre ces points » (Tchounikine et Tricot, 2010). Une fois que l’évaluation de l’utilité, l’utilisabilité et l’acceptabilité perçue des apprenant a été établie, il nécessaire d'évaluer l’appropriation de l’EIAH par les apprenants, c’est-à-dire « lorsque l’utilisateur s’approprie effectivement le système en contexte » (Michel, 2018). Selon Michel (2018), pour qu’un EIAH soit « adapté, adaptable, adaptatif » il doit :

  • Correspondre aux besoins de l’utilisateur
  • Faire en sorte que l’utilisateur peut adapter le système à ses propres besoins
  • Ou que le système s’adapte aux évolutions de l’utilisateur

D’après le cycle des usages d’un EIAH (Carroll, 2004, cité par Michel, 2018), les trois moments clés des usages sont :

  • L’adoption : « moment où l’utilisateur choisit ou non d’utiliser un produit »
  • L’utilisation : « moment où l’utilisateur explore et adapte les fonctionnalités de l’environnement numérique à ses contextes d’utilisation »
  • L’appropriation : moment où l’utilisateur accepte et s’approprie l’EIAH en construisant « des schèmes d’utilisation correspondant à des séquences d’utilisation régulières et stabilisées qu’on appelle des usages ». Il s’agit du moment où l’on teste effectivement les capacités d’adaptation de l’EIAH.

Les limites que Tchounikine et Tricot (2010) posent sur les systèmes informatiques d’EIAH est qu’il est « difficile de déterminer si l’objectif a été atteint […] et d’identifier les facteurs d’influence » (intrinsèques ou extrinsèques), et que les EIAH conçus en condition expérimentale (laboratoire), bien qu’ils soient plus faciles à gérer, « ne s’appliquent que difficilement aux situations écologiques ».

Conclusion

Comme le disent Tchounikine et Tricot (2010), « il n’existe pas, actuellement, de processus […] de conception des EIAH plus ou moins normalisé faisant l’objet d’un consensus ». Il est donc nécessaire de documenter et de faire évoluer la recherche dans le domaine des EIAH à l’avenir, ceux-ci devenant désormais presque incontournables dans les contextes d’enseignement et d’apprentissage individuels et collaboratifs, en présence et à distance, dans le but de soutenir et de favoriser l’apprentissage. Nous avons vu que ce sont les technologies qui doivent s’adapter aux apprenants et aux enseignants et non l’inverse. Par ailleurs, « l’apprentissage est le fruit d’une méthode pédagogique et non d’un support particulier » et donc l’objectif est d’éliminer la charge cognitive liée à l’aspect technique des EIAH en réduisant « le traitement inutile en conservant un cadre d’apprentissage aussi simple que possible […], [en contrôlant] le traitement essentiel [et en favorisant] le traitement génératif » (Mayer, 2010), mais cet objectif représente justement la principale difficulté de conception des EIAH. Un autre enjeu de conception est de « démontrer la valeur ajoutée des travaux fondés sur des résultats scientifiques (valeur ajoutée en termes d’apprentissage, et par la suite en terme d’investissement) » (Tchounikine et Tricot, 2010).

Références bibliographiques

Caron, T. ATIEF : Ressources sur les EIAH (2018, 18 décembre). Analyse de Traces : Objectifs de traçage [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=aQMnhcq4HBM

George, S., Michel, C., Ollagnier-Beldame, M. (2013). Usages réflexifs des traces dans les environnements informatiques pour l’apprentissage humain. Intellectica. Revue de l'Association pour la Recherche Cognitive, 59(1), 205-241. https://doi.org/10.3406/intel.2013.1091

Lavoué, E. ATIEF : Ressources sur les EIAH (2018, 14 décembre). Méthodes de conception : Introduction à la conception des EIAH [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=mZe0bRwrRzs

Mayer, R. (2010). Apprentissage et technologie. Dans Dumont, H., D. Istance et F. Benavides (dir.), Comment apprend-on ? : La recherche au service de la pratique (p. 191-211). Éditions OCDE.

Michel, C. ATIEF : Ressources sur les EIAH (2018, 15 décembre). Adaptation : Analyser l'appropriation pour analyser l'adaptation [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=9soVe48UClo

Tchounikine, P. et Tricot, A. (2010). Environnements informatiques et apprentissages humains. Dans Garbay, C., et Kayser, D. (dir.), Informatique et sciences cognitives : Influences ou confluence ? (167-200). Éditions de la Maison des sciences de l’homme.

Tricot, A. et al. (2003). Utilité, utilisabilité, acceptabilité : interpréter les relations entre trois dimensions de l’évaluation des EIAH. Dans C. Desmoulins, P. Marquet et D. Bouhineau (dir.). Environnements informatiques pour l’apprentissage humain (p. 391-402).


Rédigé par Ana Rajic dans le cadre du cours ADID, Volée Concordia, le 10.12.2022