BASES:Cours BASES 2022-23/Ninn Langel

De EduTech Wiki
Aller à la navigation Aller à la recherche

Introduction

L'écriture est sans doute l'invention la plus remarquable de l'histoire de l'humanité, celle qui a donné lieu à toutes les autres. L'ère digitale nous a donné la possibilité d'accéder instantanément à des quantités inimaginables de textes accumulés depuis des siècles ou produits à une cadence infernale à coups de 140 caractères. Plus que jamais, notre capacité à appréhender un savoir par l'écrit, à en comprendre les tenants et aboutissants, en évaluer la cohérence, la source et la véracité sont des compétences déterminantes pour la conduite de nos vies, soient-elles privées ou professionnelles. Comprendre les mécanismes sous-jacents et connaitre les principales entraves et aides à la compréhension d'un texte semble être une absolue nécessité pour toute personne investie, d'une manière ou d'une autre, dans l'enseignement et la communication. Dans cette fiche, nous faisons un bref survol de ces questions.

Quels processus à l'oeuvre?

Préambule

Depuis la publication de “Toward a Model of Text Comprehension and Production” par Kintsch et van Dijk en 1978, et leur modèle Construction-Intégration (CI, 1988), de nombreux autres modèles tentant d’expliciter les processus cognitifs qui sont mis à l’oeuvre pour la compréhension d’un texte ont été proposés. La plupart se basent en partie sur les postulats fondamentaux de Kintsch, qui sont que la compréhension passe par deux phases, l’une, dite de construction où les savoirs contenus dans le texte sont activés, et l’autre, dite d’intégration, où cette activation se propage dans le réseau des savoirs préexistants jusqu’à trouver une forme de cohérence. Si ces modèles diffèrent sur une partie de l’analyse, ils s’accordent néanmoins sur un certain nombre de points. Dans leur article “Toward a Comprehensive Model of Comprehension”, McNamara et Magliano (2009), faisant écho à l’article de Kintsch, font une analyse comparative d’une sélection de ces modèles avant de proposer des pistes de synthèse.

Les compétences fondamentales de lecture, telles que le déchiffrage des mots et l’analyse syntaxique sont bien évidemment à l’oeuvre dans tout processus de compréhension de texte, mais ne sont pas l’objet de notre survol car elles sont considérées comme des acquis par les modèles de la compréhension.

Points communs aux différents modèles

McNamara et Magliano (2009) ont retenu 7 modèles dans leur étude visant à proposer une théorie unifiante de la compréhension. Ils proposent d’abord une liste de 8 dimensions communes servant de base à ces modèles. Parmi celles-ci, nous retenons en particulier la notion d’architecture connexionniste (connectionist architecture), c’est à dire l’idée que la lecture d’un texte induit l’activation parallèle d’informations telles que les mots du texte, leur sens, ou encore des informations préexistantes. La représentation de ces informations se fait sous forme d’un réseau de noeuds (concepts, arguments, mots) et de liens (prédicats, verbes, causalité). De cette architecture découlent d’autres dimensions communes : d’abord, l’activation propagée (spreading activation), qui est l’idée que l’activation de concepts entraine l’activation de concepts voisins, en fonction du nombre et de la force de leurs connexions. Ensuite, l’idée de la convergence et des contraintes (convergence and constraint satisfaction), à savoir que l’activation d’un concept est liée à la convergence des connexions avec les concepts en mémoire, et contrainte par celle-ci.

En plus de ces points liés à l’architecture connexionniste, McNamara et Magliano relèvent la présence d'un traitement automatique inconscient (automatic unconscious processing), à savoir que des informations sont activées et accessibles de manière inconsciente et automatique pendant la lecture. De plus, les modèles s’accordent également sur ce que McNamara et Magliano nomment le focus discursif (discourse focus). Il s’agit ici de l’impact résultant de l’intersection de l’objectif de lecture et des focalisations du texte en lien avec celui-ci. Par exemple, un lecteur cherchant une information précise sera plus attentif lors qu’un passage s’y rapporte directement, et la mémorisation et l’intégration sera renforcée.

De plus, les notions de schématisation (mapping) et d’inférences basées sur le texte (text-based inferencing) se complètent : pendant la lecture, un processus de schématisation construit une représentation cohérente et donne un sentiment de continuité. Lorsqu’elle ne parvient pas à ce résultat, elle donne lieu à des inférences basées sur le texte, qui viennent compléter et connecter ces interruptions de la continuité de la cohérence de la représentation.

Enfin, les modèles convergent sur les contraintes liées à la mémoire (memory constraints), à savoir le fait que la mémoire impose des limites, même si ils ne s’accordent pas forcément sur la nature de celles-ci et sur les notions de mémoire de travail et mémoire à long terme.

Divergences entres les modèles

McNamara et Magliano (2009) ne considèrent pas que les modèles qu’ils ont analysés sont mutuellement exclusifs, mais plutôt centrés sur différentes facettes de la compréhension. Ils identifient 29 dimensions sur lesquelles les modèles divergent, qu’ils catégorisent en quatre groupes : les caractéristiques du discours, les processus de compréhension, les produits de la compréhension et les dimensions extratextuelles.

Les caractéristiques du discours se réfèrent aux aspects du contenu du discours qui se produit soit dans les éléments constitutifs du texte, soit au travers de ceux-ci (Gernsbacher et Givon, 1995; Graesser et al., 2004; Magliano et Schleich, 2000, cités par McNamara et Magliano, 2009). Ces caractéristiques servent de base au processus de schématisation, et leurs importances variées selon les modèles s’explique largement par la nature différente des textes sur lesquels ils sont focalisés.

Les processus de compréhension se rapportent aux différents processus cognitifs opérant sur les caractéristiques du discours. Selon les modèles, l’emphase est plutôt sur des processus automatiques et inconscients (bottom-up) ou sur des modèles dirigés par des objectifs volontaires (top-down). Les modèles correspondants divergent donc sur la place qu’ils donnent au lecteur, à sa volonté et ses compétences (McNamara et Magliano, 2009).

Par produits de la compréhension, McNamara et Magliano entendent les différents aspects des représentations mentales qui résultent de la compréhension. Cela inclut des notions telles que le modèle de situation, les niveaux de représentation, la cohérence globale ou locale, et bien d’autres (McNamara et Magliano, 2009).

Les dimensions extratextuelles comprennent les processus plus pragmatiques qui relèvent du lecteur et de son contexte et peuvent influer sur les processus et les produits qui en sont issus (McNamara et Magliano, 2009).

Construction+Intégration étendue

Si leur projet est de proposer une théorie unifiante sur la compréhension, McNamara et Magliano ont surtout montré que les théories, bien que divergentes, sont plus complémentaires qu’exclusives. Ils concluent qu’une telle théorie est à construire sur les bases de la théorie Construction-Intégration de Kintsch, mais qu’elle se doit d’intégrer des caractéristiques issues des six autres théories analysées, afin de mieux répondre aux différentes situations de lecture, selon les connaissances et compétences du lecteur et la difficulté du texte, ainsi qu’aux facteurs de motivation et de contrôle.

Spécificités de la compréhension à partir de textes multiples

A la lecture d’un texte, nous l’avons vu avec les notion de schématisation et d’inférences, nous cherchons à maintenir une certaine cohérence, ce qui conduit, lorsqu’il y a rupture, à faire des inférences. La compréhension à partir de textes multiples augmente considérablement les occurrences de cette ordre, puisqu’il est rare que la continuité de cohérence soit maintenue entre plusieurs textes, et qu’une multitude de paramètres viennent s’ajouter à cette problématique. Si les informations de différents textes sont incohérentes, il est difficile de les intégrer en un seul réseau de représentations (Beker et al., 2016). La structure du texte joue également, par exemple des textes possédant une structure identique sont plus facilement intégrés (McKoon, Ratcliff, & Seifert, 1989; Seifert et al., 1986, cités par Beker et al., 2016).

Spécificités de la compréhension à partir de textes multiples en ligne

Aux facteurs précédents, la compréhension à partir de textes en ligne amène deux difficultés supplémentaires, puisqu’elle implique la recherche et l’évaluation des textes, en plus de leur intégration (Barzillai et al., 2018). Pour Barzillai, la compréhension de texte digitaux passe par les interactions entre trois compétences, la navigation, l’évaluation puis l’intégration (telle qu’on la connait dans les théories vues précédemment). Ces compétences ne sont pas encore bien étudiées, et leur apprentissage ne va pas de soi, alors qu’elles sont de plus en plus indispensables. La recherche empirique montre que l’on peut les enseigner, mais pour l’instant les effets sont d’une faible magnitude et d’une durée limitée (Barzillai et al., 2018).

Facteurs favorisant ou entravant la compréhension de texte

Les facteurs favorisant ou entravant la compréhension de texte sont multiples. Certains se rapportent au contexte, d’autres au lecteur lui-même, et les derniers sont intrinsèques au texte. Des facteurs supplémentaires s’ajoutent dès lors que l’on analyse la compréhension à partir de plusieurs textes ou à partir de sources digitales. Dans cette section, nous passons en revue les différents facteurs.

Facteurs liés au contexte

Avec leur modèle DRIVE (Deploying Reading in Varied Environments - Déployer la lecture dans des environnements variés), Cartwright et Duke (2019) proposent une métaphore des processus de la lecture avec celui de la conduite automobile. Ils mettent en lien l’environnement de la route avec le contexte de la lecture. Un environnement bruyant, une mauvaise lumière ou encore la présence de musique peuvent entraver la lecture (Anderson & Fuller, 2010, cités par Cartwright & Duke). On ne lit pas non plus de la même manière dans tous les contextes, comme on ne conduit pas de la même manière en montagne ou en ville. Ainsi l’environnement a un impact sur la manière dont le lecteur investit sa lecture.

Facteurs liés au lecteur

Continuant leur métaphore, Cartwright et Duke imaginent le lecteur comme étant la combinaison du conducteur et du véhicule. Ils détaillent plusieurs facteurs liés au lecteur pouvant entraver ou favoriser la compréhension. On peut les regrouper dans trois catégories principales, les facteurs de compétence, les facteurs émotionnels, et les facteurs de motivation. On retrouve des caractéristique similaires en terme de facteurs émotionnels et motivationnels dans la méthode RESOLV de Britt et al. (2021), avec la construction d’un modèle du contexte (context model) qui donnera lieu à un modèle de la tâche (task model).

Facteurs liés au texte

Parmi les facteurs liés au texte, nous voyons chez Beker et al., (2016) l’importance de la cohérence textuelle, qu'elle soit intra-textuelle ou inter-textuelles, c'est-à-dire entre plusieurs textes. De plus, la lecture d’un texte offrant une forte surface de recoupement avec les savoirs préexistants sera bien plus facile à comprendre.

Discussion

Nous avons survolé ces quelques modèles, et s'ils diffèrent de plusieurs manières, leur points communs offrent déjà une base solide sur laquelle on peut s'appuyer pour la production de textes à but pédagogique, mais aussi pour tout type de texte. Il est intéressant de noter à quel point les résultats et les prédictions de ces modèles se recoupent avec les conseils pratiques habituels pour l'écriture, pour certains ancrés jusque dans l'antiquité. Il incombe aux producteurs de textes de veiller à ce que la structure du texte reflète la hiérarchie de l'information qu'il contient. Il faut également veiller à la cohérence et la continuité du texte, afin d'éviter au lecteur de devoir faire des inférences pour combler les vides. Enfin, il faut veiller à l'utilisation d'un langage adapté à leur destinataire.

Références

Barzillai, M., Thomson, J., Schroeder, S., & Broek, P. van den. (2018). BASES/Partie 1 : Comprehension processes in digital reading. John Benjamins Publishing Company.

Beker, K., Jolles, D., Lorch, R. F., & van den Broek, P. (2016). BASES/Partie 1 : Learning from texts : Activation of information from previous texts during reading. Reading and Writing, 29(6), 1161‑1178. https://doi.org/10.1007/s11145-016-9630-3

Britt, M. A., Durik, A., & Rouet, J.-F. (2022). BASES/Partie 1 : Reading Contexts, Goals, and Decisions : Text Comprehension as a Situated Activity. Discourse Processes, 59(5‑6), 361‑378. https://doi.org/10.1080/0163853X.2022.2068345

Cartwright, K. B., & Duke, N. K. (2019). BASES/Partie 1 : Model of Reading : Making the Complexity of Reading Accessible. The Reading Teacher, 73(1), 7‑15. https://doi.org/10.1002/trtr.1818

Kintsch, W., & van Dijk, T. A. (19790101). Toward a model of text comprehension and production. Psychological Review, 85(5), 363. https://doi.org/10.1037/0033-295X.85.5.363

McNamara, D. S., & Magliano, J. (2009). BASES/Partie 1 : Toward a Comprehensive Model of Comprehension. In Psychology of Learning and Motivation (Vol. 51, p. 297‑384). Academic Press. https://doi.org/10.1016/S0079-7421(09)51009-2

Saux, G., Britt, M. A., Vibert, N., & Rouet, J. (2021). BASES/Partie 1 : Building mental models from multiple texts : How readers construct coherence from inconsistent sources. Language and Linguistics Compass, 15(3). https://doi.org/10.1111/lnc3.12409