BASES:Cours BASES 2021-22/Serious Games et évaluation

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Auteur-e (à modifier à votre username) : Kelly Weibel Thome, Florent Dupertuis et Lorain Freléchoux

Notre groupe de travail

Notre groupe de travail, composé de Kelly Weibel Thome, Lorain Freléchoux et Florent Dupertuis, est le groupe PEYTON. Nous avons choisi de nous intéresser au Serious Game éducatif et à son potentiel évaluatif.

Problématique et questions de recherches

Problématique

Perrenoud (2010) affirme que l'être humain a une tendance naturelle à évaluer ses pairs. Dans le domaine de l'éducation, l'évaluation occupe une place centrale tout en cristallisant d'importantes tensions. Elle repose en effet généralement sur des évaluations formalisées et critériées dans le but de garantir une certaine objectivité des résultats mesurés, indicateurs explicites des performances de l’apprenant. Néanmoins, certains types d’évaluations, comme les tests standardisés, bien que faciles et rapides à administrer, sont parfois d’une efficacité limitée pour mesurer les capacités de résolution de problèmes complexes, de communication ou encore de raisonnement, et n’ont pas la flexibilité nécessaire pour s’adapter à certains profils d’apprenants tels que les très, ou au contraire très peu performants (Bellotti et al., 2013). En outre, faire de l’école obligatoire une période marquée par des réalisations et expériences positives est considéré aujourd’hui comme un enjeu important. Les élèves sont en effet confrontés à des situations stressantes, des pressions, des critiques et des comparaisons, notamment avec les évaluations qui « sanctionnent » l’apprentissage par des notes, ce qui influence au fil des ans la perception de soi. Selon Vitaro & Gagnon (2000), un niveau élevé d’anxiété lié à ces situations et la difficulté à les gérer peuvent engendrer des problèmes de comportement ou d’apprentissage, allant parfois jusqu’au décrochage scolaire (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2009) ceci générant, entre autres, des débats sur le rôle et la légitimité de l’évaluation. Partant de ces constats, notre groupe de travail s’est interrogé sur les alternatives possibles aux formes habituelles d'évaluation en s’intéressant à des outils ayant récemment émergés dans un contexte d’hybridation des enseignements-apprentissages avec le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ceci nous a amenés à poser la question suivante suivante : « Quel rôle le serious game éducatif peut-il prendre dans le processus évaluatif ? » Cette question est peu abordée dans la littérature du fait d’une idée reçue attribuant principalement au serious game un but d’enseignement-apprentissage (Sanchez, Romero & Viéville, 2020). Les études menées sur le sujet ont tendance à porter sur l'évaluation du jeu plutôt que dans le jeu or, pour que sa validité pédagogique puisse être reconnue, il doit reposer sur des objectifs pédagogiques et permettre à l'élève de les atteindre, à priori en performant dans le jeu, mais également en démontrant sa capacité à transférer ses apprentissages dans son quotidien. La légitimité du jeu vidéo est ainsi souvent remise en cause par sa nature ludique, une caractéristique considérée moins essentielle dans l'apprentissage bien que reconnue comme une composante de la motivation (voir à ce propos la revue systématique de Dicheva et al. (2015) sur l’intégration du principe de gamification dans l’éducation).

Questions de recherche

Question de recherche Justification Dimension principale
Quelles sont les mécaniques et fonctionnalités des jeux vidéo éducatifs pouvant être assimilées à des formes d’évaluation ? Nous partons du postulat que les interactions entre le joueur et le jeu vidéo sont assimilables à une communication indirecte entre l’apprenant et l’enseignant (qui a choisi et parfois contribué à concevoir le jeu en question à des fins didactiques). En ce sens, nous nous interrogeons sur la possibilité d’associer ou non cette communication à des formes d’évaluation. Nous nous intéressons i) aux traces laissées par le joueur dans le jeu, ii) aux niveaux de difficulté croissante dans le jeu et iii) aux rétroactions (ou feedbacks) faites au joueur par le jeu. Numérique
Quelle complémentarité pédagogique le serious game éducatif peut-il apporter à l’apprenant et à quel coût ? Comme en fait mention la littérature autour de la thématique, deux problèmes conséquents se matérialisent lorsque l’on évoque l’utilisation de jeux vidéo pédagogiques en dehors de l’aspect purement évaluatif. Le premier, plutôt pragmatique, questionne l’origine même des jeux, de leur justification pédagogique d’une part jusqu’à la prise en compte du facteur économique. Le deuxième concerne la manière dont l’enseignant va intégrer l’outil à son scénario pédagogique et les finalités qu’il va lui attribuer. Pédagogique
Comment l'utilisation de jeux sérieux comme méthode d'évaluation peut-elle contribuer à réduire la pression et la tension associées aux méthodes d'évaluation traditionnelles ? Nous partons de la perspective que l'utilisation de jeux sérieux comme outil d'évaluation peut accroître l'engagement des élèves en stimulant leur motivation intrinsèque. Dans ce sens, nous nous essayons à une définition des caractéristiques des jeux sérieux pouvant contribuer à augmenter la confiance de l'étudiant en ses capacités et, par conséquent, à améliorer l'apprentissage. Psychologique

Elaboration des questions
Rédaction

Réponses aux questions de recherche

Définition du serious game

Développés dès les années quatre-vingt par l’armée américaine et devenus populaires il y a une vingtaine d’années (Egenfeldt-Nielsen, 2007 ; Prensky, 2001 ; cités par Sanchez et al., 2011), les serious games sont aujourd’hui définis de manière assez large et non consensuelle. D’après la revue de littérature réalisée par Berry (2011), ce terme désigne un « ensemble extrêmement hétérogène de produits vidéoludiques » utilisant les mêmes supports médias que les jeux développés à des fins récréatives (Klemke et al., 2015) et permettant de simuler des situations critiques ou pratiques (Rodrigues et al., 2014). Il peut servir plusieurs types d’intérêts : l’apprentissage d’une part, mais aussi le développement de compétences transversales, l’expérimentation, la sensibilisation, l’incitation à faire de l’exercice, le diagnostic et le traitement médical, le recrutement, le marketing, etc. (Dörner et al., 2016). Notre réflexion porte sur le serious game éducatif – appelé aussi educational game (EG) – et se centre sur son potentiel pour l’évaluation des apprenants.

Quelles sont les mécaniques et fonctionnalités des jeux vidéo éducatifs pouvant être assimilées à des formes d’évaluation ?

Les traces

Les jeux vidéo offrent la possibilité, moyennant une conception adéquate, de collecter des traces de l’activité des utilisateurs (joueurs-apprenants). Le traitement de ces traces peut servir à adapter le jeu aux besoins de l’élève ou à générer des données potentiellement utiles à l’enseignant dans son action pédagogique Dans leur ouvrage dédié aux fondements, concepts et pratiques du serious game, Dörner et al. (2016) – chercheurs et praticiens en science informatique, éducation, sociologie, économie, psychologie et game design – distinguent ce qui relève de l’online assessment – dans le jeu – et de l’offline assessment – en dehors du jeu. Les traces correspondent aux données issues de l’online assessment et leur analyse et interprétation ont fait émerger des disciplines telles que les learning analytics (LA) et l’educational data mining (EDM), consistant à explorer des données issues de contextes éducationnels. Il convient de préciser d’une part que la quantité de données collectées dans le cadre de ces recherches est souvent colossale et nécessite des outils de modélisation afin de les rendre lisibles et de pouvoir faire des inférences sur les apprentissages des apprenants. D’autre part, les LA en particulier visent des retombées pratiques devant contribuer à soutenir l’enseignant dans son travail, mais la nature ouverte des jeux vidéo rend la collecte de données probantes difficile. Certains auteurs, tels que Beloti et al. (2013) ou Chatti et al. (2012) cités par Dörner et al. (2016) évoquent en effet les difficultés à prouver que les mesures obtenues correspondent à celles souhaitées, en raison notamment de l’importante hétérogénéité des types d’évaluation utilisés qui nécessitent d’être corrélées avec des formes d’évaluation plus standards visant à démontrer les capacités de transfert de connaissances de l’apprenant dans “le monde réel”. Les auteurs s’accordent donc à dire que, pour être pertinente, l’évaluation par analyse de traces nécessite un dispositif de recherche relativement complexe et difficile à mettre en place par l’enseignant seul.

Les niveaux

Pour progresser dans un jeu vidéo éducatif, l’apprenant doit a priori développer des connaissances et compétences, mais la progression prouve-t-elle l’apprentissage? Dörner et al. (2016) rattachent l’évaluation dans un jeu à la mesure de la performance du joueur. Le passage de niveaux de difficulté croissante donne, entre autres, une indication sur la progression de la performance du joueur (Arnab et al., 2015 ; Belotti et al. 2013). L’évaluation peut reposer ici sur l’observation par l’enseignant de l’apprenant en train de jouer et le debriefing après avoir joué. Si nécessaire et selon les jeux, il peut notamment adapter le niveau de difficulté aux besoins des apprenants (adaptability) (Dörner et al. (2016). En outre, certains jeux adaptent directement leur niveau de difficulté selon le profil du joueur (adaptivity), par exemple en générant ou en retirant des indices, ou encore en effectuant des modifications de scénario. Un jeu trop facile ou trop difficile suscitant l’ennui et/ou la frustration, les paramètres de personnalisation du jeu constituent un enjeu central pour optimiser le potentiel impact de du jeu sur l’apprentissage. Toutefois, les processus cognitifs à l’origine des actions du joueur-apprenant sont multiples et parfois non visibles et, comme le soulignent Dörner et al. (2016) : « pour que l'adaptabilité soit efficace, cela requiert une évaluation valide et ciblée au cours du jeu des aspects tels que l'état émotionnel et cognitif du joueur ou les difficultés qu’il rencontre » (p. 10, traduction libre). La démarche expérimentale mise en place dans le cadre du travail de thèse de Bugmann (2016), qui a porté sur l'observation de la relation entre les apprentissages issus de la pratique d'un jeu vidéo par des enfants et le socle commun de connaissances et compétences du programme officiel français, a en outre montré que l’effet est variable selon le profils des joueurs. L’évaluation proposée a par exemple mis en évidence que ceux défavorisés et jouant habituellement peu aux jeux vidéo sont aussi ceux qui ont le plus progressé.

Les rétroactions (ou feedbacks)

Dicheva et al. (2015) montrent que les « réponses » données par un jeu vidéo selon les choix et actions d’un joueur lui fournissent des informations quantitatives et qualitatives sur sa performance, le guident vers l’atteinte d’objectifs et stimulent sa compétitivité. L’octroi de récompenses ou pénalités (badges, points, etc.) et les feedbacks audios ou textuels sont ainsi susceptibles d’influencer des aspects liés à l’estime de soi tels que la capacité à faire face aux difficultés, le sentiment d'efficacité ou la volonté d'apprendre. Nous y reviendrons dans la partie consacrée à la question de recherche centrée sur la dimension psychologique. En termes d’évaluation, les feedbacks permettent à l’apprenant de recevoir de manière plus ou moins explicite un retour formatif sur ses actions et performances, ce qui peut être qualifié d’ « évaluation furtive » (Shute et al. 2009, cité par Bellotti et al. 2013). L’enseignant est ainsi dissimulé dans l’environnement du jeu, notamment dans les personnages avec lesquels il interagit (Sanchez et al., 2011). Tout l’enjeu ici est d’être capable de prévoir des feedbacks pertinents pour intégrer l’évaluation formative des apprenants de manière appropriée dans leur expérience de jeu (Shute et al., 2009, cités par Belloti et al. 2013). En ce qui concerne les mécaniques de récompense et de pénalité, il faut toutefois tenir compte des limites de leur « valeur globale qui ne donne pas d’indications détaillées sur les actions correctes ou erronées du joueur » (Sanchez et al., 2011). De plus, la mise en compétition des joueurs générée par ces mécaniques – intensifiée lorsque leurs performances sont classées – peut être à la fois source de motivation pour certains et source d’émotions négatives pour d’autres. Il faut aussi mentionner que la place des feedbacks qualitatifs varie selon l’approche pédagogique privilégiée par les concepteurs de jeux. Elle est par exemple limitée dans une approche behavioriste ou cognitiviste alors qu’elle est centrale dans les approches socio-culturelles (Egenfeldt-Nielsen, 2006). Enfin, pour pouvoir considérer le jeu vidéo éducatif comme un outil de communication interposée entre l’enseignant et ses apprenants, il est indispensable que l'enseignant soit mis à contribution dans la conception du jeu afin qu’il indique quelle rétroaction prévoir à quel moment et sous quelle forme, en faisant un compromis entre réalisme, apprentissage et jeu (Sanchez et al., 2011). Bien que certains jeux offrent la possibilité aux enseignants de donner ponctuellement un feedback direct à leurs apprenants – par exemple dans des jeux de réalité virtuelle (voir à ce propos le projet nextREALITY) – l’échange reste plus limité dans le temps qu’en conditions réelles. Il semble donc pertinent de préserver, en dehors de l’environnement technologique, un temps de débriefing sur l’expérience d’apprentissage.

Discussion

Références