Approche autopoïétique de l’éducation : appréhension des EIAH comme vecteurs d’apprentissages incarnés

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Nicolas Hervy - Volée Baldur


Résumé

Cet article se propose d’aborder les environnements informatiques pour l'apprentissage humain (EIAH), notamment comme système interactif entre un apprenant et son matériel d’apprentissage, sous l’angle d’une épistémologie complexe (Morin, 1986) centrée sur l’apprenant. Dans cet article seront développés les concepts de cognitions incarnées, d’apprentissages incarnés, et comment ces derniers s’inscrivent dans le paysage de l’éducation lorsque celle-ci est observée au travers du prisme des travaux de Fransisco Varela et Humberto Maturana sur les concepts d’autopoïèse et d’énaction.

Mots-clés : autopoïèse, agentivité personnelle, cognition incarnée, EIAH, énaction, praxis, technologie.

Introduction

Les EIAH s’esquissent dans le paysage de l’éducation comme outils et moyens visant à favoriser et optimiser les apprentissages de leurs utilisateurs : conduire, guider et faire se développer les capacités des apprenants sont des principes fondamentaux de l’éducation desquels s’inspirent ces systèmes informatiques afin d’offrir un environnement numérique favorable à l’apprentissage. Ils peuvent ainsi être vus comme dispositifs technologiques favorisant le potentiel d’interaction de l’apprenant avec son matériel d’apprentissage.

« Un EIAH est un environnement intégrant des agents humains (apprenant ou enseignant) et artificiels (informatiques) et leur offrant des conditions d’interactions – localement ou à travers les réseaux informatiques – ou encore des conditions d’accès à des ressources formatives – humaines et/ou médiatisées – locales ou distribuées. » (Tchounikine, 2002).

Ces EIAH peuvent regrouper tout un ensemble de systèmes et dispositifs technologiques, notamment les EVAH (environnements virtuels pour l’apprentissage humain), qui ont pour objectifs de mettre l'apprenant en situation d'apprentissage dans un environnement de réalité virtuel, mais peuvent également se définir comme champ d’étude à proprement parlé :

« En tant que champ scientifique, l’EIAH peut être défini comme l’ensemble des travaux visant à comprendre les processus de construction des EIAH et les phénomènes d’apprentissage liés à ces environnements informatiques. » (Tchounikine & Tricot, p168)

C’est ainsi à la jonction entre ces deux définitions que les EIAH se positionnent, étant à la fois moyens facilitateurs des apprentissages et outil les permettant. Ces EIAH gagnent tout particulièrement en utilité et sont d’autant plus facilitateur d’apprentissages lorsque ces derniers sont placés au centre du prisme d’une approche incarnée de la cognition, ou plus largement autopoïétique de l’éducation.

Dans une approche centrée sur les apprenants, cet angle épistémologique de l’éducation et des apprentissages permet en ce sens de se saisir du plein potentiel permis par l’usage des technologies (notamment des EVAH) en milieu éducatif.

Développement

Cognitions et apprentissages incarnés

A ce titre, la cognition incarnée se définit comme une approche de la cognition se différenciant des autres approches actuelles (i.e. modulaire ou connexionniste).  La cognition incarnée insiste sur le fait que la cognition repose sur les systèmes neuronaux dédiés à la perception, l’action, l’introspection. La cognition dans cette approche est sous tendue par simulations, états corporels et actions situées (Barsalou, 2003).

« La cognition incarnée rejette les vues traditionnelles selon lesquelles la cognition est un calcul sur des symboles amodaux dans un système modulaire, indépendant des systèmes modaux du cerveau pour la perception, l'action et l'introspection. Au lieu de cela, la cognition incarnée propose que les simulations modales, les états corporels et les actions situées sous-tendent la cognition. » (Barsalou, 2008).

Les apprentissages incarnés font donc ainsi référence aux approches pédagogiques qui se concentrent sur l'importance du corps et des sentiments en milieu éducatif. C’est à ce niveau que les EIAH peuvent se positionner comme outil permettant d’engager aussi bien le corps que l’esprit dans les processus d’apprentissage, notamment au travers des EVAH, abordés précédemment, tels que les mondes virtuels ou la réalité augmentée le permettent.

Approche autopoïétique de l’éducation

D’autre part, l’autopoïèse se définit comme la propriété d'un système de se produire lui-même (auto-organisation), en permanence et en interaction avec son environnement (éco-organisation), et ainsi de maintenir son organisation (structure) malgré son changement de composants (matériaux).

Considérer une approche autopoïétique de l’éducation c’est donc aussi concevoir l’apprentissage comme résultant d’interactions complexes auto-éco-organisatrices entre un individu, son environnement et son matériel d’apprentissage.

Selon Fransisco Varela, un système autopoïétique :

« [...] est organisé comme un réseau de processus de production de composants qui (1) régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits, et qui (2) constituent le système en tant qu’unité concrète dans l’espace où il existe, en spécifiant le domaine topologique où il se réalise comme réseau. Il s’ensuit qu’une machine autopoïétique engendre et spécifie continuellement sa propre organisation. Elle accomplit ce processus incessant de remplacement de ses composants, parce qu’elle est continuellement soumise à des perturbations externes, et constamment forcée de compenser ces perturbations. Ainsi, une machine autopoïétique est un système à relations stables dont l’invariant fondamental est sa propre organisation (le réseau de relations qui la définit). » (Varela, 1989, p45)

La notion d’autopoïèse dans l’éducation insiste alors sur la capacité qu’à l’apprenant à produire des réponses (comportementales, cognitives, affectives) qui permettent son adaptation à son environnement, par réactivité aux changements extérieurs.

« Un système autopoïétique permet donc non seulement le maintien de l’organisation interne qui le produit mais celle des relations de l’organisme avec l’extérieur. Enfin, il faut mentionner qu’un système autopoïétique en maintenant l’organisation du système, permet à ce système de le faire exister. Mais il n’est pas en autarcie puisque ce sont les perturbations extérieures qui conduisent son adaptation. » (Pelissero, 2017).

Ainsi, chaque nouvel apprentissage, qu’il soit facilité ou non par les EIAH, s’inscrit dans un système d’interaction entre l’apprenant et le matériel d’apprentissage. Le premier de par ses actions, produit des réponses adaptatives en interagissant avec le second. La mémorisation pouvant s’illustrer comme une modification de l’état interne de l’apprenant en réaction aux perturbations externes, réalisée par l’intégration et l’appropriation des informations issues du matériel d’apprentissage.

« L’apprentissage est une modification durable des connaissances d’un individu acquises par l’expérience. » (Mayer, 2010)

Les EIAH pouvant donc à ce titre jouer le rôle de facilitateur en proposant un environnement d’apprentissage visant à aider l’apprenant à engager un traitement cognitif approprié sans pour autant surcharger son système cognitif.

« Ce but essentiel peut être atteint en réduisant le traitement inutile, en contrôlant le traitement essentiel et en favorisant le traitement génératif. » (Mayer, 2010)

Conclusion

Nous avons ainsi pu développer au travers de cet article comment les EIAH pouvaient être perçus comme moyens facilitateurs des apprentissages, notamment lorsqu’ils sont développés en considérant l’éducation comme résultant de l’énaction de l’apprenant avec son environnement (Petitmengin, 2006). Il en ressort que c’est au travers de praxis (activités qui ne sont pas seulement contemplatives ou théoriques, mais qui transforment le sujet) que les apprentissages et la mémorisation des informations sont rendus profonds et durables, d’autant plus lorsque la conception des outils et environnements informatiques se fait en respect et en adéquation des limites fonctionnelles de la cognition humaine.

Références bibliographiques

  • Barsalou, L. (2003). Situated simulation in the human conceptual system. Language and Cognitive Processes, 18(5‑6), 513‑562. https://doi.org/10.1080/01690960344000026
  • Barsalou, L. W. (2008). Grounded Cognition. Annual Review of Psychology, 59(1), 617‑645. https://doi.org/10.1146/annurev.psych.59.103006.093639
  • Edgar Morin, E. M. (1986). La connaissance de la connaissance (1986). Paris : Editions du Seuil.
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  • Macedonia, M. (2019). Embodied Learning : Why at School the Mind Needs the Body. Frontiers in Psychology, 10, 2098. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.02098
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  • OCDE. (2018). Embodied learning (p. 117‑127). OCDE.
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  • (PDF) Seven Principles to Design for Embodied Sensemaking. (s. d.). Consulté 28 novembre 2021, à l’adresse https://www.researchgate.net/publication/270794876_Seven_Principles_to_Design_for_Embodied_Sensemaking
  • Pelissero, C. (2017). Pour une approche autopoïétique de l’enseignement/apprentissage. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01588652
  • Petitmengin, C. (2006). L’énaction comme expérience vécue. Intellectica, 43(1), 85‑92. https://doi.org/10.3406/intel.2006.1333
  • Tchounikine, P., & Tricot, A. (2011). Environnements informatiques et apprentissages humains. In C. Garbay & D. Kayser (Éd.), Informatique et sciences cognitives (p. 153‑186). Éditions de la Maison des sciences de l’homme. https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.13926
  • Varela, J. F. (1989), Autonomie et connaissance : Essai sur le vivant. Paris : Éditions Du Seuil.