Les violences conjugales: pour une clinique du réel
Résumé de l'article de Jacques Girard (psychologue); Isabelle Rinaldi Baud (assistante sociale); Hélène Rey Hanson (psychologue); Marie-Christine Poujouly(infirmière en santé mentale) Tous ces auteurs travaillent ... à la Consultation Interdisciplinaire de Médecine Prévention de la Violence(CIMPV) !
En très court
Les auteurs définissent la "clinique du réel" comme une approche adaptée aux situations de violence, qui par leur spécificité et leur complexité remettent en cause l'application de modèles thérapeutiques classiques. Des aspects de la situation tels que la dimension psychotraumatique; l'impact sur la santé; la responsabilité des actes commis et de sa propre protection sont intégrés dans cette clinique du réel.
Résumé
Intro
La CIMPV a pour mandat de diminuer les conséquences de la violence sur la santé et de prévenir la survenue ou la répétition de violences. Leur approche clinique se base sur de multiples disciplines, comme la médecine interne, la psychiatrie, le travail social, la médecine préventive, etc. Mais également sur des champs théoriques et pratiques plus récents, telles que la victimologie et la pychotraumatologie. Bien que la Consultation soit ouverte à divers types de violence, l'article se concentre sur les violences conjugales, qui concerne 59.2 % des cas se présentant à la CIMPV entre janvier 1998 et décembre 2003. Les approches théoriques classiques de prise en charge des situations de violence conjugale sont la systémique; la psychodynamique; et des théories militantes comme le féminisme. A celles-ci s'ajoutent les théories récentes de la victimologie et la traumatologie. En appliquant une de ces approche uniquement le risque est réel de ne prendre en compte que quelques aspects seulement de la problématique complexe de la violence. La pratique clinique adaptée aux situations de violence est nommée la clinique du réel.(cf. Raimbault, 1982)
Complexité de la violence
L'OMS définit en 1996 la violence comme suit: " usage intentionnel ou la menace d'usage de la force physique ou de pouvoir contre soi-même, une autre personne, un groupe ou une communauté, et entraînant ou risquant fortement d'entraîner des conséquences négatices sur la santé physique, mentale ou sociale de celui ou celle qui en est victime."
Les auteurs font référence à Perrone et Nannini dans le cadre de l'épistémologie systémique, en rappelant deux formes de violences décrites: la violenceagression et la violencepunition. Si l'on envisage la violence conjugale sous l'angle du symptôme, on peut qualifier chacun des partenaires, tout comme leur relation, de symptomatique ou dysfonctionnelle. Du point de vue de l'ecole de Palo Alto, la violence a une valeur de communication, "pouvant donner lieu à de multiples interprétations et projections" (Watzlawick, 1972) Les aspects objectifs de la violence vont s'imbriquer aux aspects subjectifs (vécu, ressenti) constituant la "réalité" de la victime, qui deviendra , ou non, une expérience traumatique. Les professionnels du CIMPV soulignent le fait que le traumatisme doit être considéré comme un processus ouvert, non déterminé. De plus, l'interprétation du traumatisme est variable selon les écoles de pensée.
Violences et santé
Des études de l'OMS démontrent que les femmes ayant été victimes de violence présentent un état de santé physique et psychique plus précaire que les autres femmes. Les effets de la violence peuvent perdurer à long terme à ce niveau. Il existe un lien entre des symptômes de stress; de dépression; de dépendances et de désorganisation de la personnalité et une exposition actuelle ou passée à des violences. Herman(1992) propose même une nouvelle notion sous le terme d'Etat de Stress Post-Traumatique Complexe afin de qualifier les conséquences possibles de violences conjugales répétées. Celles-ci peuvent également être traumatisantes pour l'entourage. L'isolement, la peur, la perte de l'estime de soi, la honte, la confusion des ressentis et la culpabilité sont des manifestations observées auprès de victimes de violences conjugales. Au niveau cognitif et émotionnel, l'auteur des violences peut se situer à tous les niveaux du continuum entre déni et reconnaissance des faits. Au niveau interactionnel, l'effet de la violence physique, souvent accompagnée de violences psychologiques, se manifeste par une remise en question du lien relationnel et affectif.
Clinique du réel
Les auteurs insistent sur le fait qu'une adaptation du contexte thérapeutique et de la position du clinicien est nécessaire quant il s'agit de traiter des problématiques de violence conjugale. Ainis, la neutralité bienveillante du thérapeute ne peut être pratiquée dans ce cas. Les violences impliquent un parti pris des professionnels, induit par le contexte de notre société. Les différents niveaux de compréhension et d'interventions sur-lesquels il s'agit de se pencher sont les suivants:
- actes: désignation d'un auteur et d'une victime
- responsabilité quant aux actes /quant à sa protection
- impact sur les enfants et responsabilité des parents quant à leur protection
- processus relationnel (l'entité couple)
- histoire transgénérationnelle
Plus concrètement, les professionnels du CIMPV recommandent de commencer par voir les personnes impliquées séparément. En effet, la temporalité est un élément essentiel de la clinique du réel, et une confrontation trop précoce en entretien de couple peut constituer un deuxième traumatisme. Ainsi, une approche victimologique sera approcfondie avec la victime, et un travail sur la responsabilité sera effectué avec l'acteur des violences. Ces entretiens individuels permettent également de contextualiser la violence dans la relation de couple. (réciprocité, fréquence, histoire de chacun, fonction de la violence dans le couple etc.) L'intervenant doit tenter de faire co-exister deux niveaux, celui de la violence subie/agie, et celui de la co-responsablilté quant à la relation de couple. Le passage à un entretien de couple est une phase délicate, et nécessite certains pré-requis. Pour en citer quelques-uns: la libre expression de chaque partenaire; la reconnaissance par l'agresseur de sa responsabilité; l'engagement à ne plus avoir recours à la violence/à se protéger, etc.
Conclusion
Les implications de la violence conjugale au niveau de la santé physique, psychologique et sociale des individus restent très sous-estimées. " A partir du positionnement de non-neutralité, la violence nécessite de resituer la pensée systémique dans toute sa complexité, au-delà des notions de déterminisme et de causalité, dans une pratique qui intègre la ponctuation linéaire comme segment d'une problématique plus large, celles des interventions multiples(couple, intervenant, corps social) à contextualiser au niveau intergénérationnel, environnemental et sociétal ".