Sports en formes. Acteurs, contextes et dynamiques d'institutionnalisation.
Résumés d'articles dans: Busset, Thomas et Christophe Jaccoud. Sports en formes. Acteurs, contextes et dynamiques d'institutionnalisation. Lausanne: Éditions Antipodes, 2001. 262p.
Cet ouvrage est un recueil d'articles créé à la suite d'un séminaire de recherche organisé à Neuchâtel entre autre par le Centre international d'étude du sport (CIES) de l'Université de Neuchâtel. Par conséquent, en lien avec notre problématique, j'ai sélectionné les trois contributions qui me semblaient les plus pertinentes.
Mise en place et développement des institutions du sport suisse (XIXe-XXe siècles)
Écrit par Lutz Eichenberger. (p.79-92)
Cette vision de la mise en place et du développement des institutions du sport en Suisse va à l'encontre de plusieurs études et parutions des années antérieures. Aussi, le but de l'auteur est de faire apparaître la complexité des processus entourant l'institutionnalisation du sport en Suisse.
Dans un premier temps, elle reconstitue l'historique de l'organisation du sport suisse dans le domaine privé. Ainsi, les premières communautés gymnastes firent leur apparition, en 1819, avec pour but premier de stimuler les aptitudes corporelles et intellectuelles des jeunes. Dès 1832, elles s'organisèrent au sein de la Société Fédérale de gymnastique puis en 1860, des cours pour les moniteurs furent instaurés. Toutefois, l'organisation de la gymnastique sous une organisation tout comme la Société de tir ou d'alpinisme sont des exceptions, car le vrai "boom" des fondations eut lieu à la fin du XIXème siècle lorsque les premiers conflits de représentation du mouvement du sport firent leur apparition. Ces débats entraînèrent la création d'une instance au-dessus de toutes ces organisations, l'Association nationale de l'Éducation physique, dont le but principal était d'être leur porte-parole au sein du mouvement sportif. Depuis, les institutions se perfectionnent, d'autres se créent voire fusionnent dans le but d'une amélioration du système des organisations sportives.
Dans un deuxième temps, l'auteur s'attarde sur l'institutionnalisation du sport suisse dans le domaine du droit public. En premier lieu, il faut savoir que le droit public s'étend sur trois niveaux, soit: la Confédération, les cantons et les communes et ce, selon deux plans d'institutionnalisation, c'est-à-dire: le juridique et l'organisationnel. Le premier émet des lois tandis que le deuxième s'attarde sur les services dévolus au sport, les institutions, etc. Malgré la croyance générale, l'auteur démontre que les débuts de la gymnastique scolaire n'étaient en rien liée à l'organisation militaire de 1874, mais datait de quelques décennies avant avec des buts pédagogiques et sanitaires pour les jeunes des deux sexes. D'ailleurs, en 1858, la Société suisse des maîtres de gymnastique (SSMG), niveau cantonal, contribue largement à l'institutionnalisation de la gymnastique en construisant des infrastructures, en offrant une formation poussée aux enseignants ainsi qu'en intégrant l'enseignement de la gymnastique dans le canon d'instruction publique.
Lors de la révision constitutionnelle, en 1874, l'État chercha à s'intégrer dans le processus d'enseignement en instaurant une commission d'experts chargée de la réalisation des manuels scolaires, d'élaborer le plan standard et de voir à la formation des enseignants, car: "...mettre sur pied en Suisse, une éducation nationale générale, afin que le pays demeure concurrentiel dans le concert des États nationaux nouvellement constitués." (p.85) et ce, d'un point de vue militaire et industriel. Dès lors, l'instauration de l'éducation physique comme "discipline d'avant-garde militaire" dans les écoles fut plus difficle. De fait, un peu moins de 30% des écoles l'enseignaient, car les cantons percevaient cet élan comme une intrusion dans leur domaine de pouvoir et que cela coûtait énormément cher pour les communes rurales. Par conséquent, en 1907, les mesures furent renforcées, mais sans véritable succès, car le Fédéral nécessitait les fonds financiers des cantons pour pouvoir procéder.
Finalement, l'auteur démontre l'extension de la contribution politique de la Confédération dans le domaine des sports au-delà de la discipline scolaire. Ainsi, lors de la montée du fascisme avec l'appui du public, elle tenta de relancer l'instruction préparatoire obligatoire de l'éducation physique par une première ordonnance, en 1941, qui instaura une heure de sport par jour obligatoire dans les écoles. La motion de Bachmann de 1956 donnait une base juridique suffisante pour que la Confédération puisse promouvoir le sport scolaire pour les filles puis la motion Binder répartit les tâches d'encouragement des compétences entre la Confédération et les cantons.
Institutionnalisation et colonisation des "nouveaux sports": les pratiques sportives récentes
(Écrit par Markus Lamprecht et Hanspeter Stamm, pp. 155-169)
Cet article démontre que les "trend sports", c'est-à-dire les sports nouveaux, telle la planche à neige, la planche à voile, le patin à roues alignées,... ne sont en rien nouveaux par rapport à leur vision du sport ou leur rejet de l'organisation, mais à un tout autre niveau, soit celui d'une interdépendance toujours croissante entre ces nouvelles pratiques sportives, leur innovation ainsi que les intérêts économiques qui les sous-tend. Ainsi, les auteurs démontrent que malgré l'appât de liberté et d'indépendance que procurent ces nouveaux sports, contrairement à ce que croient certains auteurs comme A.Loret, qu'ils sont encastrés dans les mêmes processus d'institutionnalisation que les sports dits "traditionnels" avec la nuance que ces pratiques sont encore très récentes par conséquent, moins organisées et moins normées.
Dans un premier temps, les auteurs explorent la "nouvelle conception du sport" d'Alain Loret. En effet, ce chercheur démontre que les "nouveaux sports de glisse" sont le reflet d'une nouvelle culture qui serait l'expression d'une résistance contre une disciplinarisation dans le but d'être inatteignable, rester libre et indépendant. Donc, ces nouvelles pratiques seraient une nouvelle forme de protestation. Ainsi, il démontre qu'il y a un fossé entre les sports dits "traditionnels, de culture sportive digitale" où le code, la compétition, la raison et la finitude priment et les sports "de glisse, de culture sportive analogique" où la participation, la sensation et l'infini sont recherchés. Par ailleurs, les auteurs de cet article, trouvent cette thèse légèrement exagérée, car ils observent que des structures et organisations rudimentaires furent rapidement mises en oeuvre et qu'une idéologie commerciale de produits de consommation publicisée sert de base à cette pensée d'avoir les ailes de la liberté et celle d'un épanouissement personnel.
Dans un deuxième temps, les auteurs examinent l'approche sociologique d'Allen Guttman, inspirée de la théorie de rationalisation de M.Weber, pour définir la conception "traditionnelle" du sport moderne. Ainsi, ce sociologue américain établit 7 caractéristiques associées au sport moderne: la laïcité versus l'aspect rituel des pratiques de l'Antiquité, l'égalité des chances versus la pratique de certaines disciplines par des castes spécifiques, la spécialisation des tâches associées à diverses positions dans le jeu, la rationalisation par un système de règles universellement acceptées, la bureacratisation, la quantification comparative des performances passées et actuelles et finalement, la quête de records comme état du progrès. À la lumière de cette thèse, les auteurs s'accordent pour dire qu'il est impossible de discerner les sports modernes des post-modernes.
Finalement, les auteurs constatent que les "trend sports" suivent le même fil de développement que les sports modernes. Ces derniers s'étant développés principalement avec la reprise économique des 30 derniers années, la hausse du niveau de vie ainsi que l'extension du domaine des loisirs, toutefois, la venue des "trend sports" serait sous le couvert du facteur économique de l'industrie du sport et des loisirs. Ainsi, la liberté que prône la publicité entourant "les sports de glisse", par exemple, est soumise à l'achat des produits de consommation ainsi qu'aux tests dans le cas des sportifs professionnels alors qu'auparavant seuls les concours et la victoire comptaient. De fait, certaines compagnies, tels les magasins Manor offrirent un appui financier à la Hockey Cup afin de se faire connaître ainsi que leurs produits.
Les modes d'institutionnalisation des sports comme révélateurs des transformations sociales.
(Écrit par Anne-Marie Waser, p.205-229)
L'auteur cherche à démontrer que les sports qui furent réglementés et institués se transforment, au XXème siècle, toutefois, les organisations, qui les chapotent, s'adaptent plus ou moins rapidement selon les règles et les usages qu'elles font évoluer. Ainsi, il demeure,aujourd'hui, qu'il y a de grandes ruptures visibles dans certaines pratiques, tel que le tennis. D'ailleurs, depuis les années 80-90, les pratiques s'inventent ou se transforment et ce, avec des organisations très souples. De fait, plusieurs sont peu réglementées, n'ont pas d'association ou de fédération et se pratiquent sur des lieux, dits ouverts, tels l'escalade, le surf ou la course à pied.
Par ailleurs, cette problématique de l'institutionnalisation du sport, c'est-à-dire de l'établissement des épreuves, des concours et des règles, a ouvert le débat à l'égalité des chances pour un principe de justice. D'autant plus, que l'élite sportive a essayé de fermer l'accès au jeu/sport en émettant des catégories "amateurs"/"professionnels" et ce, dans le but de maintenir toutes les chances dans la bourgeoisie et l'aristocratie. Aussi, lorsque de nouveaux sports s'inventent et s'instaurent, c'est une occasion de crise de l'institutionnalisation, particulièrement pour ces nouveaux sports dits "informels", dont la structure ne nécessite pas automatiquement cette rigueur d'association et de réglementation, car leur discours est orienté vers la recherche du plaisir immédiat. Aussi, ceci va tout à fait à l'encontre des principes prodigués par l'élite sportive de la République du XIXème-XXème siècles et oriente de fait même la pratique du sport vers des principes davantage démocratiques. Ainsi, l'idéal de la troisième République prône une justice sociale dans les institutions engageant des espaces libres pour la réussite de tous et par conséquent, les catégories "amateurs" et "professionnels" prennent une nouvelle teinte dans le sport de compétition.
Historiquement, a priori, au XIXème et début du XXème siècles, les sports furent inventés par la noblesse et la bourgeoisie comme loisirs et amusement, toutefois, le phénomène pris de l'ampleur avec les journalistes et les médias ainsi qu'avec l'internationalisation du sport, et dès lors, les meilleurs joueurs représentaient leur pays dans un esprit de compétition et non plus de simple divertissement. Par conséquent, ce furent les dirigeants des premiers clubs qui définir la réglementation et les unifièrent à travers le monde. Toutefois, en 1920 en France, il y fut créé un Service de l'Éducation physique et du sport rattaché au ministère de l'Instruction publique afin de faire la promotion du sport de haut niveau à l'international dans le but profond de restaurer l'image de la France au même titre que le domaine artistique ou intellectuel. Par conséquent, alors que le sport était l'affaire d'une initiative privé et de particuliers devint, du jour au lendemain, une Affaire d'État officielle qui eut pour effet d'augmenter, du coup, la valeur symbolique du sport et l'intérêt développé par les pratiquants d'origines sociales différentes. Dans les années 70'-80', les activités en pleine nature, tels la randonnée, l'escalade,..., prirent un essor important, car pour la population urbaine, ils représentaient un échappatoire des méfaits de la ville, tels la pollution, le stress ou encore le bruit. De même, alors que la Fédération française, dans les années 90', connut une diminution de ses effectifs, d'autres activités sportives dites alternatives", tel que le vélo tout-terrain et le basket de rue, attirent un plus grand nombre de personnes avec un large spectre d'âge et d'origine sociale diverse. Dès lors, le grand air n'est plus mis de l'avant, mais cette capacité de se fondre dans la masse des espaces publics les plus fréquentés de la ville.
Que cela soit ces pratiques sportives ou celle proposée par des salles de remise en forme, toutes sont vues comme des activités de "loisirs" en oposition formelle avec l'idée de compétition sportive malgré le fait que pour plusieurs cela entraîne un niveau d'auto-contrainte aussi élevé que pour les sports compétitifs. Ainsi, le temps restant des obligations familiales et professionnelles est utilisé pour travailler son corps pouvant être vu comme un moment de détente, de défoulement, mais aussi d'obligation, car faire du sport, est de nos jours, perçu comme un moyen de sélection, de la performance et de compétition à l'intérieur d'une entreprise. Ainsi, toutes ces pratiques "extrêmes" que sont le saut libre et le canyoning amènent une maîtrise de soi afin de dépasser ses limites et atteindre cet état "d'appel" d'invincibilité au même titre que les coureurs de fond et les marathoniens. Il en est de même pour les sports d'endurance et cette recherche des limites d'acceptation de la douleur ou encore pour ces activités à risque que sont l'escalade libre, la moto et le ski dont l'enjeu est de diminuer cette marge de sécutié au risque de blessures mortelles pour atteindre cet état de surhomme.
Caroline G.