Problématique

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Page rédigée dans le cadre du cours Conduite de la recherche (2021-2022) par Florent Dupertuis, Ariadna Roig Monturiol, Anne Sorin et Marta Dados-Ribeiro

Définition

La notion de problématique est centrale dans la recherche, et pourtant elle peut être facilement confondue avec des concepts voisins tels que « la question de recherche » et même « la problématisation ». Cet article vise à clarifier le terme tout en le plaçant dans le contexte de l'apprentissage. De manière générale, la problématique de recherche englobe le cadre théorique, les questions et les hypothèses, ainsi que les méthodes et qui permettent d’élaborer et clarifier un problème de recherche donné, comme résumé dans Fig. 1 (Cégep de Sherbrooke, document non publié). Il s'agit alors d'un concept à double facette qui soulève une interrogation donnée (des questions inscrites dans le contexte des concepts et des théories existants), tout en cherchant à mettre en place une démarche pour la résoudre (les hypothèses, les méthodes, le recueil de données, le cadre théorique approprié, etc.). En définissant la problématique, le chercheur définit alors le chemin à suivre pour tenter de répondre au problème qui s'impose ; ce chemin englobera le contexte de l'étude, la formulation et définition du champ d'investigation, sa signification et finalement les potentiels enjeux théoriques et pratiques (Schneider, 2006).

Fig. 1 Parties composantes d'une problématique de recherche (image adaptée du support de cours diffusé par Cégep de Sherbrooke)

Problématique et problématisation

Pour mettre tout de suite de l’ordre dans la terminologie, il convient de noter qu’une problématique est le résultat structuré d’un processus de problématisation mené par l’apprenant ou le chercheur (faisant l’action de problématiser). Il faut ensuite mentionner que la problématisation revêt plusieurs formes selon les champs scientifiques et épistémologiques dans lesquels elle est traitée et que, dans la littérature anglophone, cette distinction terminologique tend à disparaître. Par exemple, Foucault (1985) fait référence à la problématisation en parlant d'une « tentative de savoir comment et dans quelle mesure il serait possible de penser autrement, au lieu de ce qui est déjà connu » (cité par Sandberg et Alvesson, 2010, p. 32, traduction libre). La notion de problématisation est alors strictement associée à celle de problématique : dans les deux cas, il s'agit d'un processus circulaire visant à la fois à trouver une solution à une question donnée et à créer de nouveaux savoirs qui, à leur tour, donneront forcément naissance à de nouvelles questions.

La problématisation scientifique peut donc être considérée comme une démarche d’exploration et d’organisation du « champ des possibles, (...) condition d’accès à de véritables savoirs scientifiques par construction de raisons » (Orange, 2005, p.79). Cette définition implique de différencier les problèmes d’ordre scientifique - qui relèvent de défis intellectuels recherchés par la communauté scientifique - des problèmes de la vie courante - que nous percevons négativement et cherchons donc à éviter. Cette distinction n’est pourtant pas considérée comme essentielle par certains chercheurs comme Dewey, qui considère que « l’objet et les procédés scientifiques naissent des problèmes et des méthodes directs du sens commun» (Dewey, 1993, p. 127, cité par Orange, 2005, p.74). De même, selon Sandberg et Alvesson (2010), la problématisation a pour but « d'identifier et de remettre en question les hypothèses qui sous-tendent la théorie existante et, sur cette base, de pouvoir formuler des questions de recherche plus informées et nouvelles », ou encore de transformer quelque chose qui est habituellement considéré comme naturel en quelque chose de problématique, qui va déclencher le processus de recherche (p. 32, traduction libre).

Problématique et processus de construction des savoirs

Pour décrire le concept de problématique, il faut aussi interroger la relation entre les problèmes et les apprentissages. Orange (2005) montre que cette relation n’est pas linéaire (problème perçu, problématisation, solution) mais circulaire : la résolution d’un problème passe par la construction d’un nouveau savoir (ou de nouvelles connaissances) conduisant à formuler de nouveaux problèmes. Ce postulat coïncide avec le postulat de Popper (1991, cité par Orange, 2005) qui considère que la science commence et finit par des problèmes. En ceci, la construction de savoirs ne se limite pas à trouver des solutions à un problème, mais consiste aussi à construire des problèmes scientifiques.

Comment cette construction de savoirs se produit-elle? Pour Orange (2005), la réponse réside dans la démarche de conceptualisation, qui consiste à expliciter les raisons (contraintes et nécessités) d’un phénomène étudié, ce qui caractérise les savoirs scientifiques. Ce développement explicite et organise peu à peu les concepts fondamentaux sous-jacents au phénomène. Concrètement, cela passe par des productions orales et/ou écrites de type argumentatives permettant d’expliciter les problèmes constitutifs de la problématique, ce qui amène Orange (2005) à affirmer que « la problématisation scientifique est (…) nécessairement liée à un travail langagier » (p.81). Autrement dit, l’abstraction nécessite la verbalisation, ce qui renvoie à la relation entre pensée et langage dans le développement cognitif développée par Vygotski (1985).

Cas pratique : le projet PEPTI

Dans le cadre du projet PEPTI (Pedago-technological practices promoting telepresence and inclusion), les chercheurs soulèvent le problème du sentiment de « présence » dans l'apprentissage à distance, et ceci à partir du cadre théorique existant de la communauté d'apprentissage (Garrison, Anderson et Archer, 1999) et de la notion de téléprésence (Petit et al., 2020). Le projet cherche de nouvelles façons de favoriser et d'évaluer la téléprésence au sein d'une expérience éducative afin d'offrir des environnements d'apprentissage plus stimulants et plus inclusifs ; en même temps, puisqu'il s'inscrit dans la notion de recherche orientée par la conception, il propose quelques pistes de solutions au problème qu'il soulève. La problématique de ce projet s'articule donc autour des questions posées, des hypothèses formulées par les chercheurs sur la base du cadre théorique adopté, et autour des artefacts proposés pour approfondir le problème et suggérer des solutions possibles, dans un processus circulaire où le problème conduit au développement d'une méthodologie, ce qui entraîne de nouveaux défis pratiques et théoriques.

Références

Cégep de Sherbrooke. Rédiger une problématique de recherche [Support de cours]. Accès https://www.cegepsherbrooke.qc.ca/fr/a-propos-du-cegep/la-recherche-au-cegep/ressources-et-documents

Garrison, D. R., Anderson, T. & Archer, W. (1999). Critical thinking in a text-based environment: Computer conferencing in higher education. Internet and Higher Education, 11(2), 1-14. https://doi.org/10.1016/S1096-7516(00)00016-6

Orange, C. (2005). Problématisation et conceptualisation en sciences et dans les apprentissages scientifiques. Les Sciences De L'éducation - Pour L'ère Nouvelle, 38(3), 69. https://doi.org/10.3917/LSDLE.383.0069

Petit, M., Lameul, G., & Taschereau, J. (2020). La téléprésence en formation : Définitions et dispositifs issus d’une recension systématique des écrits. https://eduq.info/xmlui/handle/11515/37920

Sandberg, J., & Alvesson, M. (2010). Ways of constructing research questions: gap-spotting or problematization?. Organization, 18(1), 23-44. https://doi.org/10.1177/1350508410372151

Schneider, D. K. (2006). Balises de méthodologie pour la recherche en sciences sociales. Accès https://tecfa.unige.ch/guides/methodo/IDHEAP/methodes.book.pdf

Vygotski L. S. (1985). Pensée et langage. Paris : Messidor.