Analyse critique de la plus-value des Environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH)

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Florent Dupertuis - Volée Aegir


« Le défaut majeur des futurologues est de prédire l’avenir sans se référer au passé, ou si peu. » (Paul Saettler, historien des technologies de l’éducation)

« Tout ce que je sais c’est que je ne sais rien. » (Socrate, philosophe)


« Ce n’est plus le moment de se demander si le digital est bien ou pas, il est installé de toute façon. Mais on peut faire des choix différents. » (Nathan Stern, ingénieur social)


Résumé

En synthétisant les contenus de trois capsules vidéo et de plusieurs lectures en lien avec les Environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH), cet article initie dans un premier temps une réflexion sur la plus-value des EIAH pour les enseignements-apprentissages dans une perspective d’analyse diachronique. Dans un deuxième temps, il développe une composante de cette plus-value, à savoir le traçage de l’activité de l’utilisateur comme outil métacognitif.

Introduction

Au départ, toute nouvelle opportunité de développement des pratiques d’enseignement-apprentissage crée un fort engouement dans la communauté éducative au sens large, mais à moyen-terme, cet élan laisse place aux désillusions. Pour limiter cet écueil, il convient d’avoir des ambitions modestes vis-à-vis des technologies éducatives en considérant comme un des éléments du contexte d’évolution permanente de la recherche en éducation. Dans ce contexte, il est généralement admis aujourd’hui que c’est le recours à une diversité de démarches pédagogiques et d’outils didactiques qui font l’efficacité des enseignements-apprentissages, ce qui irait dans le sens du rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) vis-à-vis de l’impact des technologies sur les résultats des épreuves PISA  : « des usages [numériques] modérés seraient associés à une meilleure réussite que l’absence d’usages, mais s’ils deviennent trop importants, ils pourraient devenir préjudiciables » (Leroux, Monteil et Huguet, 2017, p. 436).

Cette posture, ouvrant la voie vers une créativité et une conceptualisation plus pertinentes, est celle à laquelle nous invite le psychopédagogue Richard E. Mayer, qui suggère d’adopter une démarche centrée sur l’apprenant plutôt que sur la technologie, en s’intéressant en premier lieu « aux mécanismes de l’apprentissage » et en considérant la technologie « comme simple support » (Mayer, 2010, p.195). Les propos d’Eric Sanchez vont dans la même direction en affirmant que la conception des EIAH doit être adaptée aux usages, ce qui implique un rôle majeur de l’enseignant-chercheur en tant qu’ingénieur pédagogique.

Développement

Les EIAH ont-ils vraiment une valeur ajoutée pour l'éducation ?

La revue de littérature méta-analytique menée par Gabrielle Leroux, Jean-Marc Monteil et Pascal Huguet « s’intéresse aux résultats observés pour évaluer l’efficacité [des] pratiques numériques de plus en plus répandues en contexte scolaire (…) plus qu’aux activités mentales impliquées dans les apprentissages avec le numérique » (Leroux, Monteil & Huguet, 2017, p.435). En se centrant sur les « gains d’apprentissage » incombant aux technologies, leur article semble s’affranchir de la préoccupation partagée par Richard E. Mayer. D’une certaine manière, cette posture aurait l’avantage de son pragmatisme : le numérique à l’école est aujourd’hui une réalité qui nous pousse à dépasser – jusqu’à un certain point – le débat manichéen de sa pertinence.

Suite à leur travail d’analyse, les auteurs constatent un effet globalement « positif et significatif [des usages numériques à visée éducative] sur les apprentissages » (p.440), tout en reconnaissant des disparités dans ces effets. Ils indiquent aussi que « la plupart de ces méta-analyses s’appuient sur des études mesurant les effets du recours aux technologies éducatives par rapport à des méthodes d’enseignement et d’apprentissage dites plus conventionnelles » (p.439), une comparaison induisant à notre avis un biais qui n’est presque pas discuté dans l’article. Il aurait en effet été pertinent de questionner la qualité et la pertinence des choix des groupes témoins, mais l’article se contente de relever que les études ayant choisi de comparer différents types de technologies « ont l’avantage de limiter l’écueil des méta-analyses fondées sur des travaux dans lesquels aucun autre type d’innovation n’est proposé dans le groupe dit « témoin » (p.439). Ne pas s’attarder sur ce biais probable est d’autant plus regrettable que les auteurs attirent l’attention du lecteur sur « la qualité scientifique très variable des travaux sur le numérique éducatif [qui] tend à brouiller le discours sur son efficacité » (p.436).

Il serait donc erroné d’opposer les technologies éducatives aux méthodes d’enseignement-apprentissage conventionnelles, d’une part parce que cela sous-tendrait que les technologies sont des méthodes alors que ce sont des supports, et d’autre part parce que cette opposition occulterait la diversité des méthodes d’enseignement-apprentissage développées à ce jour. Or, comme le note Richard E. Mayer, « l’apprentissage est le fruit d’une méthode pédagogique et non d’un support particulier : on peut concevoir une démarche efficace ou inefficace, que l’on utilise un ordinateur ou un manuel » (Mayer, 2010, p.202).

Toutefois, au même titre que Thibaut Caron nous rend attentif au risque de subjectivité des données collectées lors du traçage de l’activité informatisée, Gabrielle Leroux et son équipe ont le mérite de nous inviter à la prudence dans l’interprétation des résultats, en soulignant la « diversité des interventions étudiées, tant en termes de types de technologies que d’objectifs pédagogiques ou de pratiques enseignantes, de contextes de mise en œuvre et de publics visés » (p.440). Par ailleurs, les auteurs nous font remarquer que les études de type expérimentale sont l’unique moyen de déterminer l’impact des dispositifs numériques sur les apprentissages et les conditions de leur efficacité.

Les EIAH comme outil métacognitif : tracer pour mieux (s’auto)évaluer

La partie précédente pourrait dénoter d’un certain scepticisme à l’égard des technologies éducatives, alors qu’il s’agit plutôt d’utiliser provisoirement et volontairement le doute, en allant chercher l’incertain pour établir ce qui ne l’est pas (Descartes, 1637/2008). Dans cette démarche, l’article de Sébastien George, Christine Michel et Magali Ollagnier-Beldame nous a paru particulièrement utile pour attester d’au moins une valeur ajoutée des technologies éducatives. Il s’agit de l’auto-confrontation aux traces de l’activité que les EIAH permettent de collecter, en tant qu’outil favorisant le développement des apprentissages par la réflexion.

En distinguant trois types de systèmes tuteurs intelligents (STI) pour l’apprentissage collaboratif, sept types de régulation métacognitive et dix types de stratégies d’apprentissage autorégulé traduites par des interactions avec l’EIAH, cet article met en évidence le potentiel des traces dans les EIAH pour l’évaluation, et plus particulièrement pour l’autoévaluation. Il en ressort qu’un partenariat humain-machine où le tuteur informatique accompagne la construction de connaissances par l’apprenant en l’incitant à l’autoanalyse de sa pratique – voire de son raisonnement – est une démarche pertinente. Cela a notamment l’avantage de mieux impliquer l’apprenant dans son processus d’apprentissage.

La démonstration faite dans cet article pourrait être complétée par les propos de Christine Michel disant que, pour être efficace, un système doit être adapté, adaptable et adaptatif. Ainsi, la condition sine qua none de l’efficacité des STI est que leur conception soit basée sur un diagnostic des besoins (tuteurs cognitifs) et des connaissances (tuteurs métacognitifs) réels des apprenants. Par ailleurs, la réflexivité dépend de la possibilité laissée ou non à l’apprenant de contrôler et réguler son activité, le principal enjeu de l’évaluation à partir des traces étant d’atteindre une « réflexivité émancipatrice » (Gapenne, 2006, cité par George, Michel & Ollagnier-Beldame, 2013), c’est-à-dire une réflexivité « porteuse de transformations cognitives et qui offre la possibilité, à terme, de s’affranchir de l’assistance » (p.31). Il semble en effet essentiel que l’activité réflexive initiée à travers des EIAH puisse ensuite être transférée dans d’autres environnements d’apprentissage (scolaires et extra-scolaires).

Les auteurs relèvent aussi que si « les systèmes métacognitifs supportent généralement des attributs comme (…) la recherche d’aide (…), peu de systèmes s’attachent à supporter des processus liés au ressenti comme l’image de soi (…) ou le sentiment de confiance » (p.27). Parmi ces systèmes minoritaires, nous pouvons néanmoins citer celui décrit dans l’étude de Julie Mulet, Jean-Christophe Sakdavong et Nathalie Huet, qui met en avant « les coûts affectivo-motivationnels de la recherche d’aide » (Mulet, Sakdavong & Huet, 2017, p.2). Pour limiter ces coûts, l’étude montre l’importance d’un tuteur métacognitif motivant, passant entre autres par une formulation adaptée des messages communiqués à l’apprenant. Les résultats de l’étude sont toutefois considérés insuffisants pour attester de l’effet bénéfique de ce type de tuteur, concluant sur l’hypothèse qu’une démultiplication des confrontations aux messages incitatifs motivants aurait plus d’effets sur les comportements des apprenants, sans questionner le contenu qualitatif de ces messages. Au contraire, Eric Sanchez et Christine Michel insistent sur la nécessaire adaptation d’un dispositif à l’usager en tirant parti de son expérimentation pour l’améliorer.

Conclusion

Immanquablement, cette ébauche de réflexion partant d’une synthèse apporte plus de questions que de réponses, la seule certitude étant que l’actuelle révolution numérique pousse les acteurs de l’éducation non seulement à se positionner, mais aussi à se réinventer. Les EIAH sont un vaste domaine d’étude revêtant des enjeux majeurs qui concernent tout un chacun dans la mesure où nous sommes tous apprenants. En outre, ils dépassent le domaine de l’éducation car ils sont aussi écologiques1, sanitaires2 et socio-économiques3.

Références bibliographiques

Delay, F. (6 octobre 2020). Nathan Stern : « Aujourd'hui, ce sont les plateformes numériques qui écrivent l'histoire sociale », récupéré de https://www.heidi.news/economie/nathan-stern-aujourd-hui-ce-sont-les-plateformes-numeriques-qui-ecrivent-l-histoire-sociale

Descartes, R. (1637/2008). Discours de la méthode. Paris : Librairie Générale Française.

George, S., Michel C. et Ollagnier-Beldame, M. (2013). Usages réflexifs des traces dans les environnements informatiques pour l’apprentissage humain. Intellectica, 59(1), 205-241.

Leroux, G., Monteil, J. et Huguet, P. (2017). Apprentissages scolaires et technologies numériques : une revue critique des méta-analyses. L’Année psychologique, 117(4), 433-465.

Mayer, R. E. (2010). Apprentissage et technologie. Dans H. Dumont, D. Istance et F. Benavides (éds.), Comment apprend-on ? : La recherche au service de la pratique (pp. 191-211). Paris, France : OCDE.

Mulet, J., Sakdavong, J.-C. et Huet, N. (2017). « Quels tuteurs informatisés pour réduire les comportements d’évitement de la recherche d’aides des apprenants ? ». Distances et médiations des savoirs, 19|octobre 2017, récupéré de http://journals.openedition.org/dms/1954.

Notes et liens externes

1 « En 2017, 45 000 gigabits de données s’échangeaient chaque seconde dans le monde, contre 100 gigabits par jour en 1992 », extrait d'un article publié dans le journal Le Monde (23 novembre 2020) : L’OMC s’inquiète du protectionnisme numérique.

2 Lire à ce propos la synthèse des études scientifiques sur les effets des écrans établie par Michel Desmurget et intitulée La fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants.

3 « Deux tiers des enfants en âge d’aller à l’école dans le monde n’ont pas accès à Internet chez eux », extrait d'un article publié sur ONU Info