Quelques éléments sur la violence

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Quelques éléments sur la violence et la violence dans la famille


  • Introduction

Il nous semble intéressant ici d’aborder le problème de la violence conjugale à partir des recherches proposées par des auteurs qui ont une position clinique vis-à-vis de la problématique. Par clinique nous entendons que les auteurs sont eux-mêmes spécialisés dans le traitement des difficultés qui surgissent dans la famille, particulièrement sur le plan de la violence qui s’y déploie. Dans son ouvrage sur la violence faite aux hommes, Yvon Dallaire présente le fait que dans les discours communs, les acteurs de la violence conjugale sont souvent nommés de manières distinctes, un des protagoniste étant désigné comme victime, l’autre comme bourreau. Suite à sa propre expérience de thérapeute, ce dernier propose au contraire, dans ce qu’il appelle une " schismogénèse complémentaire ", de considérer les rôles des acteurs de violence conjugale comme étant interactifs et relationnels. Ceci signifie que la violence conjugale ne se décline pas simplement sur le mode agresseur-victime, mais plutôt sur celui de victime-victime, de deux individus qui sont les co-créateurs d’une escalade débouchant sur l’explosion physique. Il s’agit d’une réaction en chaîne par laquelle la réponse de l’un des partenaires à la provocation de l’autre entraîne des comportements réciproques toujours plus divergents. Il s’agit donc d’un cercle vicieux.

  • Les recherches de Perrone et Nannini

C’est en partie dans ce sens que vont les recherches effectuées par Perrone et Nannini dans leur ouvrage " violence et abus sexuels dans la famille ". Les auteurs ont conçu leur livre comme un manuel à l’usage de tous les professionnels appelés à intervenir auprès des familles qui semblent faire de la violence une forme de destin. La violence y est présentée de façon originale dans ces deux expression : l’agression et la punition qui apparaissent clairement comme une forme extrême de survie relationnelle. Leurs présupposés considèrent que la violence n’est pas un phénomène individuel, mais la manifestation d’un phénomène interactionnel. La violence est ainsi un mode de communication particulier entre des partenaires. Deuxièmement, les participants d’une telle interaction sont tous impliqués et par là même tous responsables, au sens interactionnel du terme et non au sens " légal ". Quant au fait d’être victime (ou de se placer dans cette position et non dans celle du bourreau) ne change en rien la responsabilité de chacun. Les objectifs et les enjeux que ces deux auteurs proposent s’appuient sur l’idée que chacun doit devenir et se penser responsable de ses propres comportements.

  • La violence

Aborder la violence c’est tout d’abord tenter de la définir et bien que de prime abord elle semble facile à identifier, nous allons voir que cela ne va pas de soi. Il est en effet, très difficile de s’accorder sur la définition du mot " violence ", chacun ayant une appréciation individuelle de ce qui est violent ou de ce qui ne l’est pas Nous trouvons dans l’encyclopédie Universalis une insistance sur la difficulté à définir la violence sur le plan conceptuel : " La violence est aussi difficile à définir qu’elle est aisée à identifier ". Les dictionnaires la définissent comme force brutale, abus ou déchaînement de la force, cependant les médias parlent d’agression, de criminalité, de guerre, de terrorisme, de torture ou de formes d’oppression plus discrètes mais tout aussi dommageables comme l’exploitation économique... Pour l’encyclopédie Universalis, la violence est presque indéfinissable au même titre que des notions comme celles de chaos, de désordre, de transgression et " implique l’idée d’un écart ou d’une infraction par rapport aux normes ou aux règles qui définissent les situations considérées comme naturelles, normales ou légales ". Je retiendrais personnellement deux définitions proposées dans cet ouvrage, celle de Y. Michaud

"La violence est une action directe ou indirecte massée ou distribuée, destinée à porter atteinte à une personne ou à la détruire, soit dans son intégrité physique ou psychique, soit dans ses participations symboliques".

Rien de très éclairant sur ce qu’est la violence sur le plan conceptuel. Au travers de mes recherches et lectures, il apparaît pourtant clairement que la violence est au départ de bien des développements théoriques qu’ils soient d’ordre sociologique (exclusion, inégalité), médiatiques ou politiques (insécurité). La violence fait partie des phénomènes majeurs qui pose problème dans les sociétés depuis la nuit des temps et qui résiste toujours au travers des guerres et des ignominies quotidiennes auxquelles nous sommes confrontés directement ou indirectement. Sur le plan général des définitions, on retiendra l’idée que la violence est une utilisation de la force sur un autre ou des autres. Force implique forcément deux positions celles du fort et du faible, de celui qui pratique la force et de celui qui la subis. Il y a donc une position d’inégalité.


  • Violence et agressivité

Dans leur ouvrage, Perrone et Nannini présentent également la difficulté quant à s’accorder sur la définition de mot violence, chacun ayant une appréciation individuelle de ce qui est violent ou pas :

"Il est arrivé que certains parlent d’une " bonne violence ", qui aurait des conséquences positives. Souvent dans ce cas, la violence est confondue avec l’agressivité… L’agressivité sert à définir le territoire de chacun, à faire valoir " son droit ". Elle est une force de construction et de définition de l’individu. La violence, elle, fait éclater le territoire de l’autre et le sien propre, elle envahit et rend confuses les limites. Elle est une force de destruction de soi et de l’autre. Le consensus se fait lorsqu’on définit l’acte de violence comme : toute atteinte à l’intégrité physique et psychique de l’individu qui s’accompagne d’un sentiment de contrainte et de danger".


En dernière place des approches théoriques proposées dans l’encyclopédie Universalis nous trouvons un vague à-propos quant aux théories freudiennes de pulsion de mort conjointe aux pulsions de vie. :

"Intériorisée, elle présiderait aux comportements d’autodestruction ; tournée vers l’extérieur, elle deviendrait pulsion d’agression ou de destruction".

La définition de la violence est délicate, nous retiendrons le fait qu’il s’agit dans tous les cas d’une utilisation de la force, qu’elle soit physique, ou psychologique dans un rapport relationnel faible-fort. La frontière entre violence et agressivité n’est pas aisée à déterminer, cependant il apparaît que l’agressivité serait de l’ordre de la défense identitaire, alors que la violence reste dans le flou selon les diverses propositions.

  • Violence fondamentale

Nous retrouvons cette dichotomie entre agressivité et violence dans l’ouvrage de Jean Bergeret. Pour ce dernier :

"L’agressivité vise à nuire de façon très spécifique à l’objet, éventuellement à le détruire, surtout à le faire souffrir. La violence fondamentale, quant à elle, s’intéresse avant tout au sujet, à sa conservation. Le sort réservé par voie de conséquence à l’objet demeure assez indifférent au sujet".

Pour Bergeret, la violence fondamentale semble trouver sa place du côté du groupe des pulsions dites d’autoconservation.

Quant à Freud, il part d’entrée de jeu avec ce présupposé que l’être humain est animé d’une violence fondamentale. Je l’illustrerai par ses propos:

"…c’est que l’homme n’est pas un être doux, en besoin d’amour, qui serait tout au plus en mesure de se défendre quand il est attaqué, mais qu’au contraire il compte aussi à juste titre parmi ses aptitudes pulsionnelles une très forte part de penchant à l’agression. En conséquence de quoi, le prochain n’est pas seulement pour lui un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une tentation, celle de satisfaire sur lui son agression, d’exploiter sans dédommagement sa force de travail, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ce qu’il possède, de l’humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus ; qui donc, d’après toutes les expériences de la vie et de l’histoire, a le courage de contester cette maxime ?"

Pour Freud, l’homme est violence. Et face à cette violence, toute société a développé une autre forme de violence : la culture, transmise par les différentes voies de l’éducation :

"L’existence de ce penchant à l’agression que nous pouvons ressentir en nous-mêmes, et présupposons à bon droit chez l’autre, est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la sienne Par suite de cette hostilité primaire des hommes les uns envers les autres, la société de la culture est constamment menacée de désagrégation. L’intérêt de la communauté de travail n’assurerait pas sa cohésion, les passions pulsionnelles sont plus fortes que les intérêts rationnels. Il faut que la culture mette tout en œuvre pour assigner des limites aux pulsions d’agression des hommes, pour tenir en soumission leurs manifestations par des formations réactionnelles psychiques. De là donc la mise en œuvre de méthodes qui doivent inciter les hommes à des identifications et à des relations d’amour inhibées quant au but, de là la restriction de la vie sexuelle et de là aussi ce commandement de l’idéal : aimer le prochain comme soi-même, qui se justifie effectivement par le fait que rien d’autre ne va autant à contre-courant de la nature humaine originelle."

La condition de survie de toute communauté humaine se ferait donc au prix de cette violence imposée par la culture. Les humains doivent céder sur la satisfaction immédiate de leurs pulsions, pour une cohésion d’ensemble où ne règne pas la loi du plus fort. Et Freud de préciser :

"Si la culture impose d’aussi grands sacrifices, non seulement à la sexualité mais aussi au penchant de l’homme à l’agression, nous comprenons mieux qu’il soit si difficile à l’homme de s’y trouver heureux. En fait, l’homme originaire, étant donné qu’il ne connaissait pas de restrictions pulsionnelles. En revanche, sa certitude de jouir longtemps d’un tel bonheur était des plus minces. L’homme de la culture a fait l’échange d’une part de possibilité de bonheur contre une part de sécurité. N’oublions pas toutefois que dans la famille originaire, seul le chef suprême bénéficiait de cette liberté pulsionnelle ; les autres vivaient en esclaves dans l’oppression."

Cette thèse de la famille originaire, Freud la développe dans Totem et Tabou, au travers du mythe de la horde primitive, dans laquelle le chef avait tous les droits, était tout-puissant vis-à-vis des autres. Pour accéder eux-aussi aux avantages du " père " Freud nous raconte que les fils tuèrent le père puis le mangèrent. Afin de ne pas reproduire la situation dans laquelle un seul domine au détriment des autres, ils instaurèrent un interdit : l’interdit de l’inceste, autrement dit des règles, telles qu’on peut les retrouver dans toute société humaine.

  • La violence fondamentale prendrait forme par la pulsion :

"La vocation de la culture et de l’éducation est d’apprivoiser, de canaliser, de détourner, de " d’hommestiquer " cette pulsion qui se présente comme une force à l’état brut, et qui prend le relais de l’instinct animal, là où le langage est venu percuter la biologie des corps des êtres parlants."

Cette tension entre la pulsion et les nécessités de la culture, qui représente tous les dispositifs mis en place pour la protection de l’homme et la régulation des rapports qu’ils entretiennent, cette tension reste toujours présente.


  • Les rapports à la loi

Perrone et Nannini inscrivent aussi les rapports à la Loi comme étant au cœur de l’analyse de la violence. Leur propos n’est pas très éloignés des conceptions freudiennes :

"Ainsi la force physique se mit au service de la satisfaction du désir (ou de la contention de l’agresseur lorsqu’il fallait repousser sa pulsion). La force définit donc les relations. Ceux qui l’ont, peuvent assouvir leurs désirs avec les plus faibles, qui eux, deviennent leurs objets de plaisir. L’ordre, les hiérarchies, le pouvoir et la place des individus les uns par apport aux autres, s’organisent à partir de la force qui devient la première loi de l’homme. La force a toujours été utilisée par l’homme pour maîtriser et transformer la nature, et pour assurer sa survie dans la niche écologique, mais aussi pour dominer les plus faibles quand corps et biens pouvaient servir à satisfaire les désirs des plus puissants."


La loi, sur un plan plus large que celui du droit, est mise à l’œuvre pour la régulation des rapports des hommes entre eux. Proches des propos freudiens, Perrone et Nannini, voient la loi, comme une " domestication douloureuse ", prix de la socialisation. Ainsi la perte de liberté lui permet de faire partie du monde civilisé, à condition qu’une transformation s’opère dans son esprit dans le domaine de ses idées, de sa pensée, car il lui faut conserver la liberté, mais intériorisée en lui, grâce à un processus mental où participent de complexes assemblages cognitifs.

La suite à venir…