Entretien avec Muriel Testuz

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Entretien avec Muriel Testuz

Intervieweur : Peut-être que vous pouvez commencer par une petite description de votre parcours ?

Muriel Testuz : Vous tombez juste à un moment où l’on est avec des anciennes personnes qui étaient engagées sur la thématique des prisons et qui se sont réengagées depuis 2010, suite à l’évènement du décès de Skander Vogt, le jeune homme qui est mort par asphyxie en prison. Ça a en fait réveiller des mémoires.

Intervieweur : D’accord

Muriel Testuz : Et pour ce printemps, au mois de mars, on prépare un grand projet, suite à la venue d’une pièce de théâtre de Foucault, dont vous avez surement dû entendre parler, qui en 1971 s’était engagé sur la thématique de la prison. Et il y a beaucoup d’effets miroir avec ce spectacle qui s’appelle « Foucault 71 », qui est passé par Genève en décalage de quelques années. Il s’est aussi passé la même chose en Suisse Romande, quelques années avant en Suisse Allemande, partout ailleurs en Allemagne, avec partout les mêmes structures. C’est-à-dire, des évènements dramatiques qui ont fait un peu réagir la conscience et l’émergence de l’intellectuel. On est un peu dans une histoire qui recommence malheureusement. Voilà, c’était ça qui me passait par la tête.

Intervieweur : D‘accord

Intervieweur : Alors je vais commencé l’interview avec notre première question qui est : Depuis quand et avec qui, sous-entendu quel groupe, vous êtes-vous engagée dans la lutte pour les droits des prisonniers / détenus ?

Muriel Testuz : Alors si je revisite mes souvenirs, le Groupe Action Prison s’est fondé en 1975 à peu près suite au décès d’un jeune homme qui s’appelait Patrick Mole qui avait fui à vélomoteur et qui s’était fait tirer dessus un peu comme un lapin. Ça a été l’élément déclencheur, l’effet miroir par rapport à Skander Vogt. Moi, je n’étais pas encore dans le Groupe Action Prison, je vais apparaître un an après. J’avais dix-neuf ans à l’époque, j’habitais Lausanne et je connaissais beaucoup de jeunes qui étaient à l’institution « la maison d’éducation de Vennes. Je ne suis pas très sûre de la chronologie, mais il y avait un groupe qui se constituait, car ils n’allaient absolument pas avec cette maison d’éducation, qui va d’ailleurs être fermée trois ans plus tard. On va mener une bagarre. Et puis de liens en liens, je me suis retrouvée à connaître Michel Glardon,le fondateur des Editions d’En bas et qui va être le fer de lance du mouvement sur les prisons, l’intellectuel, le Foucault d’ici. Et c’est avec lui, c’est à ce moment-là, que je vais m’engager par une suite logique sur la thématique des prisons. Moi-même à l’époque j’étais au gymnase, aux études

Intervieweur : Quel était votre statut votre fonction ?

Muriel Testuz : Voilà, j’étais étudiante, peut-être même en rupture. Etudiante disons, mais je vivais déjà de manière indépendante, car à l’époque c’était plus facile de vivre de manière indépendante, donc c’était dans ce cadre-là que je côtoyais pas mal de « broussis » par mon histoire personnelle, des gens qui étaient en institution. Pour ma fonction, il faut imaginer que le Groupe Action Prison avait une structure, mais ce n’était pas comme un mouvement politique, c’était plus comme un ensemble de gens qui se cooptait, une espèce de mouvance avec des gens qui apparaissaient, d’autres disparaissaient et donc, il y avait des titres, donc au niveau de la dynamique du groupe chacun y amenait ce qu’il était ou ses qualités. Donc, c’est vrai que moi j’étais beaucoup en lien avec l’intérieur.

Intervieweur : D’accord

Muriel Testuz : Je ne sais pas si c’est clair mon histoire...

Intervieweur : Parfaitement clair, la question d’après est: Dans quel contexte s’est insérée cette démarche ? Mais du coup, vous nous avez déjà un peu répondu.

Muriel Testuz : Vous entendiez quoi par cette question ?

Intervieweur : Qu’est-ce qui vous a poussé à entrer dans cette association ?

Muriel Testuz : De nouveau, on n’entrait pas dans cette association action prison, d’autant plus qu’il se passait la même chose en France. Ce sont des gens qui se rencontraient et il y a eu à un moment donné une convergence. Mais dans un certain sens, c’est la justice qui m’a poussée.

Intervieweur : Après c’est vrai que ça peut être une question trop personnelle, voulez-vous passer à la question suivante ?

Muriel Testuz : Oui, j’essayerai de la reprendre.

Intervieweur : Alors la seconde question est : Y a-t-il un événement originel, pourriez-vous nous raconter un ou des évènements marquants que vous avez menés ou qui ont frappés dans cette période en faveur de ces droits ?

Muriel Testuz : J’ai essayé de me replonger dans les souvenirs, mais il faut se rappeler que c’était dans un contexte particulier, il y avait toutes ces fermetures, ces luttes pour fermer ces maisons d’éducation à l’époque, il y avait une espèce de découverte de ces bagnes d’enfants et c’était vraiment l’effervescence avec mai 68, le besoin de liberté et de libérer. Donc ça voudrait dire quoi, de parler de ça, maintenant. Et puis, c’est vrai que quand il y a eu cette affaire de Skander Vogt, moi, j’ai déjà réagis, et on s'est dit, là on ne peut pas rester comme ça, ça été comme un réveil de mémoire, un réveil de mémoire où on réalisait qu’il n’y avait plus personne. Ces mouvements avec leurs aspects positifs et peut-être naïfs par moment avaient jouer un rôle de contrôle des institutions, ils avaient permis de faire émerger ce qui se passait à l’intérieur, c’est le propre de ces institutions d’être fermées sur elles-mêmes et de rien laisser. Tout le boulot, c’était donc de rendre visible et puis, avec la mort de Skander Vogt, il fallait faire office de contrôle. Dire ça, ça ne va pas, là, vous ne pouvez pas. Il fallait rappeler que même en détention, on a des droits et le respect du droit il est inaliénable autrement, c’est la société elle-même qui se déjuge. Et puis, effectivement, la dynamique qui nous a fait redémarrer, elle était sur le même constat. Dans l’histoire de Skander Vogt, le premier écho après sa mort, c’était les autorités qui disaient que tout allait bien, qu’il n’y avait pas de problème et là, on s’est dit que ce n’était juste pas possible !!! On s’est retrouvé quelques-unes à dire qu’on ne pouvait pas laisser ça comme ça, mais on n’allait pas recommencer. On a plus envie, ce n’est plus notre histoire. On a fait le tour des « popotes » pour voir qui pourrait prendre et recommencer ce travail de surveillance pour toutes les autres structures et les autres domaines sociaux, que ce soit psychiatrique, handicapé. Il y a des espèces d’yeux qui surveillent et qui défendent les droits. Dans le domaine de la prison, il n’y a plus personne et surtout plus de Presse qui fait ce travail-là. Je pars à l’envers mais c’est là qu’on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de structure et que ça n’intéresse personne la question des prisonniers. C’est donc à cause de ça qu’on s’est remis en route, remis en place avec le bulletin d’informations sur les prisons en attendant qu’il y ait quelqu’un qui veut bien reprendre notre place, que nous cédons volontiers. Ce n’est pas un statut d’être détenu, c’est un statut administratif, mais ce n’est pas une identité contrairement à d’autres groupes sociaux victimes d’exclusions.

Muriel Testuz : Qu’est-ce qui m'a fait réagir, je pense que je fais partie des gens qui supportent mal l’injustice, je pense qu’il y a aussi une partie qui est valable pour plusieurs d’entres-nous, le monde de la prison de l’époque n’était pas le même que le monde de la prison d’aujourd’hui, l’imaginaire sur la prison n’était pas le même. C’était encore des détenus locaux si j’ose me permettent ça, il y avait un sentiment de proximité avec les personnes incarcérées. Il y avait une banalisation de la vie délictueuse, qui ne peut plus être pensée de la même manière aujourd’hui, et puis, il y avait aussi des objecteurs de bonne conscience en prison qu’on a plus. À l’époque, on était des gens qui objectaient pour la bonne conscience, vous le savez, les gens allaient en prison quand ils objectaient pour l’armée par l’exemple. Ça c’était très important car ça voulait dire que c’était pas des gens qui se considéraient comme des gens ayant commis des délits, ils n’avaient pas de culpabilité, ils avaient des moyens intellectuels mais ils vivaient les mêmes conditions que les détenus. Ils ont eu un regard sur ce qu’il se passait, il y avait eu une espèce de passage entre l’intérieur et l’extérieur, ce qu’on n’a plus du tout actuellement. Moi, c’est ce qui me frappe, nous on fait un travail autour des prisons mais sans les prisonniers. À l’époque, c’était faire sortir la parole de l’intérieur, défendre les droits de l’intérieur, faire le relais entre l’extérieur et l’intérieur, maintenant c’est plus du tout ça qu’on est entrain de faire. Et du reste, si on reprend les histoires de l’époque de Foucault, ça a été le même mécanisme, qui fait que les intellectuels ont commencé à s’intéresser à la prison, c’est qu’ils ont été mis en prison. Ça été aussi la grande désillusion de l’époque, parce qu’on allait sauver les pauvres, les détenus, les déviants, et on découvre qu’ils ne sont pas plus sympathiques, pas plus révolutionnaires que ce qu’on le souhaitait. Ça c’était un grand apprentissage. Mais ça été très formateur pour moi tout ce travail autour des prisons, je suis une qui a duré le plus longtemps. Parce que le Groupe Action Prison, il a existé de 1975 à 1980, avec le journal Passe-Murailles, après il a subsisté uniquement dans le Canton de Vaud avec Michel Glardon. Il fallait un certain nombre de composantes et des gens qui maintiennent et gardent l’intérêt sur la thématique parce que très souvent dans les moments de lutte il y a les moments en pic, excitants et après il y a tout ce travail de fond, de maintien. Comme je vous dis, c’était une mouvance, il y avait le Groupe Action Prison Vaud, les Genevois, les Neuchâtelois, les Suisses Allemands, un petit groupe qui a émergé en Valais et chaque groupe avait son profil, sa personnalité et il y avait toujours des prises de tête. Les Neuchâtelois étaient considérés comme réformistes, qui voulaient améliorer la prison et les Genevois qui voulaient supprimer la prison. Aujourd’hui, on a toujours ce même tiraillement, qu’est-ce qu’on fait avec cette prison. Est-ce qu’on dit: "La prison tue, tuons-la", qui était d’ailleurs un des slogans de l’époque ou bien est-ce qu’on dit c’est un mal nécessaire, quel est le projet de la prison. Je ne sais pas. De toute manière, tout ce qui enferme, humilie les gens, est mauvais, c’est pas un projet en soi la prison.

Intervieweur : Quels ont été les changements les plus importants auxquels vous avez assistés ?

Muriel Testuz : Il va falloir que je réfléchisse, mais il y a un des changements auxquels j’ai assisté. C’est la fermeture de la maison d’éducation qui va se réouvrir ce printemps. En 1979, on a obtenu la fin de la maison d’éducation de Vennes qui était le pénitencier pour mineur, après une grosse bagarre, on a réussi la fermeture de cette maison. C’était quand même quelque chose et aujourd’hui, ils vont réouvrir une maison d’éducation. Cette maison avait été construite au début du siècle sur l’architecture d’une partie de Bochuz (Prison vaudoise) et aujourd’hui, on ouvre une maison d‘éducation sur le modèle des [prisons de] hautes sécurités. Et entre-temps, il s’est passé un certain nombre de choses.

Intervieweur : Ce n’est pas un peu reculer du coup ?

Muriel Testuz : Oui, mais c’est ça, on s’est rendu compte avec notre retour sur la scène qu’il n’y pas de mémoire, c’est le problème dans ce domaine-là, on ne se souvient pas pourquoi on a fermé cette maison, des débats, des errances... Aujourd’hui, je ne sais pas à quelle évolution on assiste, les gens n’arrivent plus à penser qu’en terme de contrôle, j’ai l’impression. Le côté de torture avait été dénoncé dans les années 1980. Et maintenant, on répond qu’en terme de sécurité, il n’ y a pas d’espace de réflexion.

Intervieweur : C’est un peu comme une facilité ?

Muriel Testuz : Oui et non, car ça a un coup humain, social, il n’y a pas de questionnement par rapport à ça, mais du reste, il y a aussi une grande différence entre hier et aujourd’hui, c’est qu’à l’époque la Presse n’était pas organisée de la même manière, il y avait des journalistes spécialisés, comme Myriam Meuwly, Pierre Blanc et des chroniqueuses judiciaires. Ils avaient une culture de ce qui se passait. Maintenant, il n’y a plus ce travail de réflexion, de prise de distance, de penser et c’est l’actualité qui parle. Vous avez vu avec les dernières affaires, on ne parle plus que de ça. On oublie que ce n’est qu’un épiphénomène.

Intervieweur : Mais ça permet d’oublier le reste ?

Muriel Testuz : Oui, ça permet d’avoir des solutions simplistes. Regardez le film "Thorberg", il faut voir ce film-là, pour voir ce que ça veut dire d’être en prison, c’est un magnifique documentaire sur la prison de "Thorberg"

Intervieweur: Mais c’est en réalisant ce travail qu’on se rend compte finalement, c’est vrai comme vous dites qu’on n’y pense pas, qu’on n’y réfléchit pas et quand on n’a pas la culture on ne peut pas s’imaginer.

Muriel Testuz : Et on ne met pas de visage et tant qu’on ne met pas de visage, on peut prendre des décisions mais à partir du moment où l’on met des visages, on ne peut plus prendre les mêmes décisions. C’est marrant de voir dans nos bulletins, on fait attention de relayer des choses qui se passent sur d’autres prisons, et on voit que la culture de la prison n’est pas la même, c’est vraiment une culture et nous ne concevons pas la prison de la même manière en France avec les images qui dépassent l’étonnement et en Suède où c’est totalement une autre approche. C’est des prisons où l’accès aux familles est possible, d’autres qui coupent l’accès, comme les prisons de l’Amérique du Sud. C’est là, qu’on voit que la prison n’est pas une chose en soi, elle appartient à une culture.

Intervieweur : Y a-t-il des valeurs que vous avez eu le sentiment d’avoir portées en avant ? Et si oui, lesquelles étaient-elles ?

Muriel Testuz : Aujourd’hui, je n’ai rien à dire, ce que j’aime c’est avoir des relations avec les gens, c’était ça mon moteur.

Intervieweur : C’était vraiment le côté humain qui vous poussait ?

Muriel Testuz : Oui, voilà, la colère m’a poussée, je reviens à ça, mais quand j’ai appris le décès de Skander Vogt, j’ai eu honte !! J’ai eu honte parce que je me disais que nous, on savait, on avait les moyens de faire quelque chose avant. Pour les valeurs, on dira le respect de la dignité.

Intervieweur : C’est un peu aussi une sorte de solidarité ?

Muriel Testuz : Oui, faudrait que je réfléchisse là...

Intervieweur : Et au niveau des valeurs de l’association de façon plus générale ?

Muriel Testuz : Le respect des personnes. Il faut les considérer comme des personnes, car c’est quand même de la disqualification, ça, je ne peux pas, tout ce qui est l’humiliation, qu’on considère qu’il y a des gens qui ont moins de valeur, je ne peux pas.

Intervieweur : Donc l’égalité ?

Muriel Testuz : Oui, dans le sens philosophique du terme alors.

Intervieweur : Enfin, qu’en est-il aujourd’hui de cette lutte et des acquis et des risques de retour en arrière ?

Muriel Testuz : Je crois qu’on a évoqué, on est revenu en arrière, je ne sais pas si on est entièrement revenu en arrière mais en partie oui. « La soupe, c’est toujours les mêmes qui la brassent ». Pour pouvoir réfléchir, il faudrait aller chercher les ingrédients ailleurs et puis, si on prend le cas de Bochuz, c’est du cooptage des mêmes personnes. Le monde politique fait jouer un rôle à la prison qui a un rôle de façade. On l’a vu aussi avec le côté très coercitif de la prison, très hiérarchique, de contrôle. On voit aussi que les populations des prisons se sont modifiées et qu’il n’y a pas de réflexion, maintenant ce sont surtout des migrants, c’est le milieu populaire qui va en prison. Le monde de la prison a aussi peu évolué par rapport à l’époque. Elle est encore dans une mémoire ancienne, on voit que ça ne touche pas seulement les migrants, c’est aussi l’incarnation des toxicomanes en prison et maintenant aussi les personnes qui ont des déficiences psychiques qui se retrouvent en prison. Il n’y a plus de sens, on continue comme si on devait continuer comme avant.

Intervieweur : Du coup, pour vous, il faudrait continuer à lutter pour quoi ?

Muriel Testuz : Pour empêcher la prison de se renfermer sur elle-même, c’est ce qui s’est passé avec l’histoire de Skander Vogt, c’est le fait qu’il n’y avait plus personne à l’extérieur et qu’il n’y a plus de relais non plus à l’extérieur, car on n'a plus une Presse qui joue son rôle de distance critique. Au-delà du fait de se demander quelle est l’utilité et les dégâts causés par une prison ? S'il n'y a personne qui fait cet office de surveillance ,elle part toute seule en « vrille » et ne peut pas se requestionner.

Intervieweur : C’est par petit but qu’on arriverait à quelque chose de plus grand ?

Muriel Testuz : Mais quel pourrait être le but de la prison ? À part la supprimer, c’est ça un peu le paradoxe autour de la prison. On améliore, on améliore, mais on ne lui donne pas du sens pour autant. À part ça, ce n’est pas forcement mal vécu des séjours en prison mais l’institution elle-même est dans l’imaginaire des gens. Peut-être qu’il faudrait observer ce qui se fait ailleurs sur d’autres types de justice, car actuellement on est sur une réponse où on a envie de punir et ça ne satisfait ni les victimes, ni le détenus. Il faut donc réfléchir à d’autres formes de règlement sociétales.

Intervieweur : Il faudrait parler de réparation plutôt que de punition ?

Muriel Testuz : Oui, à part ça, c’est vrai que la prison n’est pas utile dans bien des cas, vous avez suivi ce débat sur l’introduction des peines amende ?

Intervieweur : Oui.

Muriel Testuz : Peine amende, qu’ils viennent d’arrêter avant même d’avoir évaluer les résultats. On sait très bien que c’est l’interpellation qui a le plus d’effets, c’est ça qui fait le choc pour la plupart des personnes qui ont fait des délits. Les gens récidivent indépendamment du fait qu’ils ont été en prison, ça ne produit pas grand chose.

Intervieweur : Si ce n’est comme vous disiez que ça touche énormément la dignité ?

Muriel Testuz : Oui et ça amène de la souffrance en plus, ça ne répare pas pour les personnes qui ont été les victimes. C’est vrai que je n’ai pas de réponse.

Intervieweur : C’est peut-être aussi un fait de société, les gens ont dans l’idée que quand on commet un délit on va en prison et que c’est normal.

Muriel Testuz : Oui et puis il faut que ça fasse mal. On n’a pas un système de pénitences qui fait qu’une fois que la pénitence est purgée elle est purgée. On a une pénitence qui dure au-delà.

Muriel Testuz : Ça reste inscrit à vie...

Intervieweur : Est-ce qu’aujourd’hui vous continuez de vous engager et si oui, sur quoi ?

Muriel Testuz : Là en ce moment, depuis 2010-2011, je participe à un petit groupe pour faire circuler l’information, les réflexions autour de la prison.

Intervieweur : Pour quelle population intervenez-vous ?

Muriel Testuz : On a mis en place un bulletin informatique de division et on a ouvert un site internet en début d’année. C’est un énorme boulot, mais en fait, on est interpellé par les médias mais on n’intervient pas. On a assez donné, mais il ne faut quand même pas rester dans le silence. C’est quelque chose en quoi je crois : faire circuler l’information, gardez des traces, maintenir la mémoire, c’est fondamental. Ce qui m’intéresse au-delà de la prison, c’est le fait que les gens se parlent, se rencontrent, échangent.

Intervieweur : Oui d’ailleurs, merci beaucoup de nous rencontrer. Aussi, vous pensez que ce silence, cet essoufflement de l’association, est dû à quoi ?

Muriel Testuz : Ça s’est arrêté de deux manières au niveau du "Passe-Murailles", le petit journal qu’on diffusait et qui entrait dans les prisons, il a été arrêté en disant, maintenant, c’est bon la Presse a repris le relais, il y a de nouveau des gens qui font ce travail, la question de la prison est redevenue publique. La deuxième chose est que le GAP, mené par des anciens détenus, est devenu l’ADPS, l’Association de Défense des Prisonniers de Suisse, menée entre autre par Jacques Fasel, qui avait été incarcéré lui-même pendant de longues années à Bochuz. Les détenus prenaient eux-mêmes en charge leur propre défense, un peu comme sur le mode syndical. Ça n’a pas duré très longtemps, pour ce qui est du GAP Vaud, on a continué à faire quelques dossiers, et puis après, on a récupéré la Ligue des Droits de l’Homme pour être simplistes et on a continué à travailler sur la thématique des prisons sous un autre nom. C’est des mouvements qui ont du sens dans un temps déterminé après on doit faire une mutation.

Intervieweur : On s’intéresse plus particulièrement au droit à l’intégrité physique et morale, pourriez-vous nous en dire quelque chose ? On s’est beaucoup basé sur les évènements à Champ-Dollon pour prendre l’exemple de Genève au niveau de la sur-occupation et des problèmes de violence physique.

Muriel Testuz : Ah oui, il y avait eu une plainte déposée et des gardiens condamnés il me semble.

Intervieweur : Ils avaient reporté de vielles pratiques, comme forcer la tête sous l’eau aux prisonniers, des actes de violences cruelles.

Muriel Testuz : Vous savez comment ils font à Bochuz ? Il y a eu des cas de « bastonnage » de gardiens sur les détenus qui mettaient des cagoules.

Intervieweur : Quelle serait alors votre opinion par rapport à ce droit-là ? Où est-ce qu’on en est ? C’est inscrit dans les Droits de l’Homme comme quoi tout prisonnier a le droit au respect de son intégrité physique et morale et on voit que ce n’est pas respecté ?

Muriel Testuz : C’est inhérent à ce genre d’institutions, on ne peut pas faire d’institutions coercitives sans qu’elles dégagent de la violence, de manière visible ou de manière beaucoup plus subtile, c’est propre à la prison. Tant qu’on n’aura pas une direction qui a une vision des détenus comme des personnes ayants le droit au respect, il y aura un effet de cascade sur les gardiens. Le monde pénitencier engage aussi le personnel qu’il trouve, avec ce que ça veut dire concernant les moyens et les dérives de personnalité. Dans le cas de Skander Vogt, ça a été le personnel qui a été condamné, ce n’est pas la direction. Moi je suis un peu naïve des fois, je pense qu’un personnel qui est bien dirigé et respecté lui-même. Comment voulez-vous travailler s’il n’y a pas de supervision ou de prise de distance. Pour une anecdote, une fois, il y a eu Skander Vogt qui était en colère et il y avait deux gardiens qui sont venus pour le calmer et un des gardiens a dû s’absenter pour téléphoner. Le gardien s’est retrouvé seul avec lui, il a réussi à le calmer en parlant et le gardien a été sanctionné car il était resté seul en cellule avec Skander Vogt.

Intervieweur : Alors que le résultat était là. Avez-vous encore des choses à nous faire partager ?

Muriel Testuz : Il faut que vous voyiez "Thorberg", c’est un des documentaires les plus forts et puis, c’est sur la réalité Suisse d’aujourd’hui ainsi que « Le juge espagnol ». Aussi « Miracle en prison », sur une prison en Inde où on a introduit la méditation. C’est intéressant dans sa démarche, car c’est les gardiens et les détenus qui font la méditation et ça change totalement la dynamique. On est les mêmes d’un côté ou de l’autre, ça change beaucoup de choses. Il faut voir des choses car sinon on a que son imaginaire.

Intervieweur : Merci on se fera un après-midi cinéma les filles. Aussi, la société a évolué, aujourd’hui on est plus centré sur soi.

Muriel Testuz : Il y a aussi toute une réflexion sur cette intrusion du monde de la psychiatrie, du monde du soin dans le monde carcéral. On a introduit un débat en se demandant s’il valait mieux des peines de type tarif (un délit ça vaut tant) ou est-ce qu’il vaut mieux des réflexions qui prennent en compte les individus et leur histoire et toutes les dérives que ça implique. On a de plus en plus de sanctions et de comportements considérés comme déviants alors qu’ils ne créent pas de victime.

Intervieweur : Oui nous sommes beaucoup plus stigmatisés aujourd’hui.

Muriel Testuz : Oui, la prison, elle est dedans/dehors, les frontières ne sont pas si claires que ça. Les luttes se sont des conjonctions avec les générations qui passent selon la conjonction d’événements, d’acteurs qui font qu’il y a quelque chose qui se noue. Il peut ne pas y avoir prise si on démarre des luttes au mauvais moment.

Intervieweur : Maintenant, c’est un fait, on a tendance à se bouger toujours trop tard.

Muriel Testuz : Je crois que l’histoire nous montre que ça fonctionne comme ça.

(Nous nous sommes arrêtées un moment pour regarder les différents journaux «Passe-Murailles» que Mme Testuz nous avait mise de côté).

Muriel Testuz : On peut voir que notre boulot était de relayer ce qu’il se passait à l’intérieur, aujourd’hui on relaye ce qui se passe à l’extérieur. C’est quand même incroyable ! On avait à peu près 1000 abonnés, c’était énorme pour l’époque. Il y avait des grands moments, des pics avec de grandes manifs ! Aussi de grosses révoltes, c’était le passage de Saint-Antoine à Champ-Dollon. Ça a toujours été un peu le débat, mieux vaut des prisons vétustes qui laissent des parts d’ombre ou des prisons en lumière ?

Intervieweur : Champ-Dollon est très en lumière, on voit tout et de très loin. Il rajoute trois bâtiments, elle est éclairée comme un stade de foot !

Muriel Testuz : C’est marrant de voir comment les Suisses romands gèrent différemment cette question des personnes ayant des troubles psychiques. Est-ce qu’on met l’hôpital dans la prison ou une prison dans l’hôpital ?

Intervieweur : À Genève, il y a la Clairière pour les mineurs. On a bien entendu parler de ça avec les faits divers.

Muriel Testuz : Le rôle de la Presse a énormément changé.

Intervieweur : Aujourd’hui, c’est l’actualité flash et on essaye de faire peur.

Muriel Testuz : Ce qui a aussi changé, c’est que l’extérieur a aussi changé les espaces, on est une société qui permet moins les gens en marge. On nous met dans une case dès qu’on sort de la norme.

Intervieweur : Un grand merci pour tout ce que vous nous avez transmis ce soir, cela nous a aussi beaucoup touché. Cela fait écho avec un cours intitulé « mémoire et altérité » sur la transmission du passé et vous nous l’avez bien fait ressentir et fait voir. Merci !